J’en ai mal aux seins. Souvent la bêtise des gerces me porte au bocal. Je me sens frémir de la coiffe dans ces cas-là ! Le plus dramatique, c’est qu’ayant des mœurs orthodoxes je suis obligé d’en passer par elles. Je me déguise en crème d’andouille toutes les fois que je le peux, c’est-à-dire très souvent. Le grand jeu, les mignardises, les grandes envolées de voix et les prouesses du slip, oui, tout ça et le reste je le regrette lorsque je me retrouve dans le civil près d’une bergère comme July de Meschoses-en-Salade !
Ulcéré, je douille mon orgie et je mets le cap en direction de la lourde, profitant d’un moment d’inattention de la championne du zizi-panpan et de la caméra réunis !
Le soleil est accablant. Bien que je longe le port, aucune brise ne me parvient du large. La mer est inerte, le ciel est d’un bleu presque blanc… Les vieux bahus roulent lentement dans le fracas de leurs ferrailles. Des gens harassés passent en traînant péniblement leurs ombres sur les trottoirs brûlants…
Je mijote les révélations du Gitan de tout à l’heure, l’homme au lampion bidon et à la guitare nostalgique… Quel genre de pèlerin est-ce ? M’a-t-il fait ces confidences par simple avidité ? Il y a un mystère… Un grave…
Je suis triste à la pensée de cette paëlla que je viens de tortorer en Suisse alors que le Gros bouffe peut-être avec les anges… Est-il vivant ou mort ? Faut se rancarder d’urgence…
Je prends les petites rues et je finis par trouver ce que je cherchais : un marchand de fringues amerlocks… J’entre dans sa boutique et je m’offre une combinaison avec une tinée de poches à soufflets, une chemise à carreaux, une bâche tricotée…
Il me fait un paquet, je ressors avec ça sous le bras… Dans une boutique voisine j’achète des lunettes de soleil — air connu —, c’est simple mais efficace. Je ne peux pas me déguiser en pet de lapin, hein ? Alors il faut bien que je sacrifie aux bonnes traditions ancestrales de la maison Parapluie.
Tout va bene, les troupes sont fraîches et bien nourries. Le piment de la paëlla me picote un peu les parois, mais ça stimule…
Je fonce à mon hôtel… Mais au moment où je vais pour y pénétrer, une bagnole moins démodée que les autres stoppe devant et une armada de poulardins espagos débarque en faisant des moulinets avec leurs longues matraques. Je me dis que ça n’est pas le moment de m’insérer dans ce tableau, car je risque fort de me faire poser des questions embarrassantes, notamment au sujet du revolver que je porte dans mon holster. Je leur dirais bien que c’est un scapulaire, étant donné leur croyance religieuse, mais je doute qu’ils acceptent l’explication…
Je fais demi-tour et j’entre dans un bar. Je bois un café très fort et très mauvais, je le paie, et je fais semblant de me tailler, mais, profitant d’une seconde d’inattention du barman, je pousse la lourde des gogues et je tire le verrou.
En un clin d’œil je change mes frusques contre celles dont je viens de faire l’emplette. Le papier me sert à envelopper mes vêtements à moi. Je retire le verrou, entrebâille la porte et coule un regard en vrille à l’intérieur du bar… Un couple est au comptoir, parlant avec le barman… Ça risque de s’éterniser. Je me colle les lunettes sur le naze et délibérément je m’avance vers la rade. Faut croire que mon aspect s’est modifié car le garçon ne sourcille presque pas.
— Vino negro ! lancé-je, car je suis certain de bien prononcer ces deux mots !
Le raton en veste blanche me sert un glass de rouquin, je file un ticket de cinq pesetas, j’empoche la mornifle du loufiat après lui avoir balancé son bouquet et je me taille… Tout s’est bien passé. Seulement mon paquet de nippes m’embarrasse…
Je le laisserais bien dans un autre rade, mais je ne pense pas que ce soit prudent. Alors aux grands maux les grands remèdes… Je m’arrête devant une bagnole à l’arrêt, je promène la main sous l’essieu et la ramène noire de cambouis. J’écarte les bords du paquet et je fais (à contre-cœur) une tache à mon veston et une autre au futal. Puis je replie le total et je m’annonce dans une teinturerie en disant qu’il faut me nettoyer le costar pour le soir. La vieille m’explique qu’en express ça me coûtera un poil plus chérot. Je dis d’accord et je me casse, les mains libres, les nerfs tendus, bien décidé à retrouver le gros Béru, même s’il a été débité en tranches.
Il n’y a plus le guitariste dans le bistanche à Tejéro. Je pense que le gratteur de jambon s’est emmené en villégiature tandis que je fais mon rodéo dans le quartier maudit. L’établissement — si je peux employer un terme aussi pompeux pour qualifier le bouge — est vide. Il doit pas faire un gros chiffre d’affaires, le zig à la verrue poilue ! Ici on se contente de peu…
Je baisse la visière de ma bâchouse et je pénètre dans l’allée située à gauche du bistrot. Je manque défaillir tellement ça chlingue ! On a l’impression de partir en voyage dans l’intestin d’un chacal… Le monde pourrissant ! Voilà l’image par laquelle je traduis ma sensation… Ça pue le pourri, le moisi, l’aigre, le rance… Ça pue tout court ! C’est le voyage au bout de la nuit…
Je prends ma petite lampe de poche ayant la forme d’un stylo et j’en promène le faisceau autour de moi.
J’avise un escalier branlant à gauche… Au-dessus il y a des gens qui hurlent et qui se foutent sur la gueule, ce qui explique leurs cris.
À droite, une porte de fer… Ça ne ressemble pas à une porte de cave… On dirait plutôt la lourde d’un transformateur électrique.
Je l’ausculte et je trouve la serrure. Alors vous l’avez deviné, c’est à sésame de jouer la romance des rossignols.
Mais ce petit dégourdi se laisse intimider pour une fois. Lui qui est si convaincant avec les clenches de toutes natures, il balbutie avec celui-ci… J’ai beau titiller dans le trou, me forcer au calme, rien ! Zéro ! La lourde reste close, la serrure inerte…
Furax, au bout de cinq minutes je me penche et je colle le pinceau lumineux de la lampe à l’orifice. Alors immédiatement je me fais inscrire au club des mous de la théière because je suis en train de « guignocher » non dans un trou de serrure, mais dans un trou produit par l’absence d’un rivet…
J’y passe le petit doigt, je tire et la porte s’ouvre sans faire d’histoire… Je remise mon sésame et considère d’un regard flottant le rectangle noir qui s’offre à mes investigations (comme disent mes confrères qui se prennent au sérieux). Les mots du guitariste me reviennent, comme dans un film les voix off.
« Votre ami est certainement dans un sous-sol, et non loin de l’endroit où vous l’avez cherché… »
Qu’est-ce que ça signifie, au juste ? Non loin de l’endroit ? Bonté divine, si j’avais pu tenir le gratteur de cordes dans un endroit peinard, je lui aurais arraché des précisions… Son carreau de verre pour commencer, je le lui faisais sauter avec une fourchette à escargots… Ensuite il avait droit à la Valse de Sibélius…
Un coup de boule dans le placard, ça met les gnaces à la raison, et une série de mandales aident un bègue à parler couramment… Mais ce qui est fait est fait, suivant le principe de Félicie ma brave femme de mère, qui se prétend fataliste mais qui sanglote lorsqu’elle a loupé une mayonnaise.
Je m’engage dans le rectangle noir, ramène la porte sur moi et me mets à descendre un escadrin aux marches extrêmement brèves.
Ce qu’il y a de curieux, c’est ce bruit qui soudain me parvient. Ça ressemble au grondement que produit la roue d’un moulin…