Je ne lui laisse pas le temps de réaliser sa douleur. Bing ! Un coup de crosse sur la noix et il part à la renverse sur le plancher. Je me dresse, le feu en poigne. C’est la grosse crise dans la strass ! Les mecs me poussent des exclamations sauvages et brandissent leurs pognes à qui mieux-mieux, fortement intimidés par mon apparition, mon feu et mon comportement avec leur pote.
Seulement, au lieu d’exploiter la situation, je suis handicapé par mes flûtes ankylosées. Ma sacrée jambe droite est inerte et je bascule en avant. Cette embardée suffit pour rompre le charme. Le mec le plus près de moi s’élance. Je baisse ma seringue pour lui donner le bonjour de Tu-Tues, mais avant que j’aie pressé sur le composteur, je bloque une baffe en pleine hure et illico il y a une éclipse totale de lune pour votre copain. La mandale est une réaction de petite fille, mais expédiée avec cette force on peut la considérer come un acte défensif.
Je titube. Une abominable douleur me vrille soudain la quille. Le raisin en se remettant à circuler dans mes veines me cause une douleur effarante. Soudain une grêle de coups s’abat sur moi comme un orage. Il pleut du gnon et j’ai beau ruer dans les brancards, je ne puis me dégager. Le gros que j’ai cabossé revient à lui, et à moi par la même occasion. Il se dresse, fait reculer un de ses potes et me cloque un coup de latte en vache. Pas moyen d’esquiver. C’est le bouquet final.
Je m’affale sur le dossier du fauteuil, pantelant, et je dégueule comme une fontaine en poussant des grondements de lionne en rut !
Comprenant que je suis groggy, ces messieurs suspendent la séance. Le gorille me tire en arrière et je tombe assis dans le fauteuil. Tout m’indiffère, je ne suis plus qu’une immense nausée. La douleur est tellement intense qu’elle dépasse mes possibilités.
Je sens comme une grosse vague noire et froide me submerger.
Vlouff ! J’y vais de mon viron dans l’au-delà !
Une douche glacée me ramène aux réalités. J’ouvre un store et je vois le sans-filiste armé d’une bouteille d’eau minérale. Il m’en déverse le contenu sur la frime…
Il annonce à ses copains que je suis de retour… Je m’ébroue. Mon bas-ventre n’est plus qu’une boule de feu. Ça me brûle à bramer ! Je voudrais m’asseoir dans un baquet rempli de glace pilée… Je souffre, madame ! Je souffre terriblement.
Le zig qui manipulait le poste clandé a un grand visage allongé, basané, marqué de petite vérole. Il possède des yeux intenses et tendres, d’un noir scintillant dont l’éclat est insoutenable.
— Français ? demande-t-il.
— Non, d’origine arthritique… Mon père était bull-dog et ma mère lampe à souder avant de changer de sexe !
Il suit péniblement ces lumineuses explications. Puis il se visse la tempe d’un index mécontent. Ses compagnons hochent la tête avec scepticisme. Il y a le gorille déjà cité… Un petit d’un mètre vingt avec une tête de nain… Et un autre, plus âgé avec des fringues rapées et une paire de lunettes rafistolées avec du chatterton.
— Vous êtes un ami de l’homme ? demande le sans-filiste…
— Quel homme ?
— Le gros ?… Le francese…
— Devinez…
Il sourit fort cordialement, puis il tire sur sa cigarette et, ayant ravivé l’incandescence de ladite, il me l’appuie sur la joue.
Je vais pour me dégager, mais le gorille m’immobilise les poignets.
Douleur sur douleur, ça donne un truc bath… Je manque de retourner au pays du cirage noir.
Il retire sa cigarette et, sans s’être départi une seule seconde de son air gentil, se remet à la fumer…
— Vous devez parler, affirme-t-il… Nous trouverons un moyen, soyez certaine…
— Certain, rectifié-je, donnez-moi le genre masculin, je ne suis pas celle que vous pensez…
Une fois encore il se frappe la tempe.
— Vous jouez au fou ou bien vous l’êtes ? questionne-t-il.
— Je joue principalement au poker…
Il se tourne vers ses potes et leur dit quelque chose… L’un d’eux, le petit nabot, sort… Les autres se tiennent en demi-cercle et me contemplent sans rien dire… On ne lit de l’animosité que sur la bouillotte du gros que j’ai matraqué.
Enfin le nabot revient avec une corde dont on a dû se servir pour amarrer le Normandie au temps où il sillonnait les mers.
En un tournemain, je suis saucissonné.
— Vous préférez comme ça ? demande le grand gars.
— Modérément, fais-je, ça me gêne pour me gratter…
— Je gratterai pour vous…
— Merci…
Il tire sur la cigarette. Puis il l’approche de moi.
— À votre service, murmure-t-il.
CHAPITRE XVII
Le coup de la cigarette on me l’a déjà fait, dans mon job à grand spectacle, vous pensez ! — et, soit dit entre nous et la colonne Morris du boulevard Montmartre, c’est le genre de plaisanterie qui réussit toujours à impressionner les épidermes sensibles… Je serre les chailles pour ne pas y aller de ma beuglante et je sens des larmes grimper dans mes lampions à toute vibure.
Afin de dominer ce petit malaise passager, je cesse de respirer. Il faut toujours compenser une douleur par une autre, plus grave. Cesser de respirer est un truc infaillible. Vos éponges bloquées réclament de la matière première et ça vous occupe les sens. Lorsque, au bord de l’asphyxie, je m’octroie enfin une goulée d’oxygène, ça y est, la crise est passée. Je ne sens plus la brûlure.
Le grand mec pâle ôte sa cigarette de mon épiderme. Il y a une tache brun rosé sur ma main, surmontée d’un petit dôme grisâtre.
Les autres types ont l’air plus incommodé que moi par l’odeur de couenne grillée qui flotte dans la pièce sans fenêtre. L’un d’eux dit quelque chose. Le grand qui me torture va écraser son mégot dans un cendrier. Il revient vers moi, pensif comme Lamartine sur les bords du lac… À tout hasard, pour s’entretenir dans le bon climat, il me balance une prune à la pommette. Il cogne avec une sécheresse inouïe ! Je bloque son taquet sans broncher…
— Vous semblez à court d’imagination, fais-je… Je croyais pourtant qu’au pays qui vit fleurir l’Inquisition, on devait en connaître un brin dans ce genre de turbin ?
— Pourquoi ne voulez-vous pas parler ?
— Mais je parle…
— Répondez à mes questions, sinon vous serez repêché dans le port, demain… ou un autre jour…
— Posez-les…
— Que nous voulez-vous, vous et votre ami ?
— Prendre de vos nouvelles, c’est tout !
Cette fois il perd son visage aimable. Il tire un ya grand comme ça de sa pockett et l’ouvre d’une seule main. Il fait miroiter la lame à la lumière de la lampe électrique. C’est une sacrée lame, acérée et luisante… L’extrémité est pointue comme un passe-lacet.
Il me dit :
— Vu ?
— Très joli couteau, conviens-je. Vous le vendez combien ?
Pour une fois il a la réponse suave :
— Je ne le vends pas, je le donne…
Et d’approcher son lingue de ma gargante. La pointe se pose délicatement sous mon menton. Il appuie un tout petit peu. Je sens un léger trait de feu. Est-ce que ce gnacouet va me cisailler la boule ? Comme dit l’autre : venez chez moi, nous ferons une petite décollation !