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De quoi se marier !

Il retire sa lame et me la montre. Il y a une grosse perle de mon précieux raisin tout au bout. Le mec essuie la navaja après mes frusques.

— Cessons de plaisanter. Si vous choisissez le silence, vous l’aurez complet !

Belle tournure, hein, les mecs ?

Quand je pense que vous ligotez ma prose en peinards, bien calés contre votre oreiller, avec les roberts de votre nana à portée de la paluche pour des fois que vous auriez des besoins d’infini ! Oui, quand je pense à ça, ça me fout en renaud !

Cette fois le grand pâle va me suriner, vite fait sur le gaz ! Un coup trop appuyé et ma carotide se rompt comme un vieux lacet trop tendu.

D’un autre côté, faut pas que je me fasse de berlues. Si je l’ouvre, ce sera du kif. Ces foies blancs ne peuvent pas laisser sur ses fumerons un poulet qui a constaté chez eux la présence d’un poste émetteur et auquel ils ont fait le coup de la cigarette !

J’ai une idée !

— Je ne parlerai qu’à Luebig, dis-je…

Si je pensais les impressionner, c’est un peu raté sur les bords ! Je l’ai dans le sac.

Le type, sans la moindre hésitation, fronce les sourcils.

— À qui ? fait-il.

— Vous avez entendu…

— Répétez, je ne connais pas ce nom !

— À d’autres, cherchez pas à me vendre du film bon marché.

Il répète :

— Je ne connais pas le nom que vous venez de dire… Quel est-il ?

— Luebig !

Je renouche les frites des autres mecs. Toutes sont imperméables comme si elles sortaient de chez C.C.C.

Franchement ils ne connaissent pas Luebig. Du coup j’en ai le tracsir !

Où est-ce que j’ai porté mes grandes lattes ?

Pour en avoir le cœur net j’attaque :

— Bon, écoutez, je joue cartes sur table. Mon ami et moi nous faisons partie d’un gang de Paris et nous cherchons à mettre la main sur un certain Luebig… Ce zig vit en España. Il était avec une pépée qui s’appelle Léonora Werth, vous devez la connaître ?

Il hausse les épaules.

— Non plus…

— Là vous charriez, elle a débarqué cette nuit dans votre crèche… C’est elle que mon pote suivait…

J’ajoute :

— Une rousse, assez belle ?

Il sursaute, me regarde fixement.

— Lucia ? demande-t-il.

C’est à mon tour de faire « non » avec la calbombe…

Le grand attire ses aminches dans l’autre angle. On dirait une mêlée de rugby. Et ça jacte, et ça jacte…

Enfin, tout le monde sort, à l’exception du gorille qui se colle dans un fauteuil pivotant, les lattes sur le burlingue. Il prend son feu sur sa braguette et allume une cigarette. Le silence s’étale comme une onde amère.

CHAPITRE XVIII

Si quelque chose me tue, moi, c’est bien l’inaction. Au bout de vingt minutes je commence à m’énerver vilain, ficelé comme un saucisson. Et puis ce gros type aux yeux sanguinolents n’est pas un vis-à-vis agréable. Je préfèrerais avoir la vue sur la mer…

Il fume deux cigarettes et se lève. Il se met à tourner en rond d’une façon qui montre assez que les séjours en cellule l’ont marqué. Ce naveton graisseux doit faire une virée au placard comme d’autres partent en vacances à La Baule.

Il fait sauter son feu dans ses mains et s’arrête de temps à autre afin de me contempler d’un air qu’il veut méditatif.

— Tu parles français, mec ? je lui demande…

Il hoche la tête.

— No

— English ?

— Yes

C’est pas que mon anglais soit fameux, mais il est suffisant pour me permettre de demander du thé à une barmaid. Seulement, comme dit Chose, c’est duraille à caser dans une conversation. Et puis, comme j’ai horreur du thé, vous parlez d’un avantage !

— I give you many money ! fais-je tout à coup…

Ça lui fait dresser les manettes au cher homme. Il a ses lampions qui s’illuminent comme des vitrines de Noël. Le fric, le blé, l’oseille, l’artiche ! Synonymes magiques ! Le pèze, la soudure, le carbi !

Il s’approche de moi.

— I have many money in my pocket

Je n’espère pas négocier avec lui. C’est le genre grosse brute qui ne se laisserait pas amadouer. Mais ce que j’espère, c’est éveiller sa cupidité. Mon rêve serait qu’il se rue sur moi pour me fouiller. Vous allez comprendre pourquoi…

Il salive comme un boxer, ce tas de couenne. Le voilà à deux doigts de l’apoplexie… Il avance vers ma précieuse personne une monstrueuse main velue. Ses doigts boudinés frémissent. Il grelotte…

Je sens sa dextre s’insinuer entre mes liens pour arriver jusqu’à la poche intérieure de ma vestouze… Heureusement je suis ligoté serré, et re-heureusement sa patte est épaisse comme deux châteaubriant superposés.

Il ne peut la glisser comme il le souhaiterait entre les ficelles.

— Relâche les cordes, hé, patate ! fais-je… Il pige à cause sans doute de l’intonation et des circonstances qui parlent…

Après une courte hésitation, il commence à tirer sur mes liens. Je prends l’attitude du pauvre gars mort de frousse. Ça l’excite. Les faibles excitent toujours les brutes. Ils leur donnent la réconfortante impression d’être des souverains à l’apogée de leur puissance.

La corde qui m’entrave le buste et les bras devient molle. Toujours amorphe, le gars San-Antonio. Je retiens mes muscles mais je sens que j’ai une certaine liberté de mouvements.

« Viens-y, petit, dis-je mentalement au gorille. Cherche-le, mon beau pognozoff… Tu vas être marron. Marron, car j’espère bien pouvoir placer ma manchette auvergnate, et marron aussi si je ne la place pas, car je n’ai conservé sur moi qu’une somme insignifiante. »

Son mufle fait un bruit de soufflet de forge, à Zigomar. L’idée qu’il va peut-être alpaguer une pincée conséquente lui vrille la soupape.

Il avance sa main droite, seulement, pas crèpe, il garde la gauche en retrait avec le pétard plaqué contre la hanche. Ainsi organisé, il est chiche de me plomber au moindre geste insolite.

Je me demande si je dois essayer quelque chose ou bien voir venir et j’opte pour la première solution, comme toujours.

Vous savez, on ne se refait pas. Entre une cuterie et une chose sensée, je n’hésite jamais longtemps. C’est comme ça !

Sa grosse main écarte ma veste et plonge sur le compartiment intérieur. Prestement elle harponne mon larfouillet. Comme piqueur on ne fait pas mieux. Il n’a pas appris ça aux cours par correspondance de l’École universelle, Toto-la-Ripette !

Il a alors un geste instinctif pour ouvrir le portefeuille. Il faut se gaffer de l’instinct. Il a quelquefois du bon, mais plus souvent encore du mauvais…

Le gorille emploie les deux mains. Un simple réflexe, je vous dis… Mais qui lui est fatal car moi qui n’attends qu’une faille à ses fortifications, j’y vais de grand cœur…

Ce crocheton au foie, c’est du nougat de Montélimar dans un écrin de velours ! Toute la sauce ! Vingt ans d’expérience… Médaille d’or de l’Exposition internationale de Bruxelles… Plofff !

Je l’entends se dégonfler. Il pousse un ahanement de bûcheron prenant un chêne centenaire sur ses cors au pied. Il est penché en avant. J’y vais d’un coup de boule dans la pomme… Alors là, il commence à entendre la Neuvième de Beethoven… C’est le gros arrivage dans les clapoirs. Ses dents jouent aux dominos.