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Je pose lentement ma serviette sur la table. Je me lève.

— M’man, fais-je, tu as pour fils le cornichon le plus volumineux de Paris et de sa périphérie !

— Où vas-tu ?

— Où veux-tu que j’aille, voyons ? Visionner ce film… Tu es une championne de la déduction.

Elle soupire. Elle regrette son exposé qui écourte ce repas.

CHAPITRE III

Je mets le feu à la strass en voulant à tout prix récupérer l’opérateur du labo. Enfin, on parvient à contacter le mec chez lui par le bistrot d’en bas et il radine, rouscaillant parce qu’il devait aller voir La Route fleurie avec sa femme et sa belledoche ! Lui, Bourvil, c’est son superman. Il dort avec sa photo sous son traversin.

Je le laisse vitupérer dans sa cabine après lui avoir demandé de me passer le film en stoppant chaque fois que je le lui ordonnerai.

Retour au meeting. On arrive à la bouille de Luebig. Je glapis « stop ». La bobine s’arrête, ce qui me permet de repérer celle de l’espion. Il est dans un paquet de quidams et tous lèvent la hure à s’en ficher le torticolis. C’est fatal, puisqu’ils regardent des avions. Il y a des femmes dans le groupe, mais pour savoir si l’une d’elles est en compagnie de Luebig, c’est midi… Et même midi et quart ! Lorsque des gens sont intéressés par un spectacle, ils oublient la présence des êtres chers.

— Continue ! je gueule.

Le film se poursuit. Il y a un temps mort. Le visage de Luebig disparaît. La bande s’achève sans qu’on le retrouve. Ça n’était vraiment qu’un éclair sur l’écran. Le déporté qui l’a repéré n’avait pas les lampions dans sa poche-revolver, je vous l’annonce ! Un peu aiguë, la vue du monsieur… Le regard d’aigle vérifié par les frères Lissac ! On peut l’enrôler dans l’aviation pour le repérage !

Le gnace de la cabine passe sa tête par un guichet qui lui permet de communiquer avec la salle.

— Ça boume ? il me demande.

Mon air préoccupé lui fait rengainer sa rancœur.

— Passe-moi la bande encore un coup, fils !

— Vous y prenez plaisir, grommelle-t-il.

— Je ne m’en lasse pas, fais-je. Je veux apprendre les paroles !

Comme la bande est muette, il comprend que c’est une facétie et il la trouve déplacée étant donné l’heure industrielle, comme dit volontiers Bérurier.

J’ai tout de même droit à une seconde séance. Il arrête au « stop » habituel.

Je bigle vachement la foule proposée à mon œil de faucon.

Luebig paraît seul. Derrière lui il y a une femme, de trois quarts. Devant lui une autre. À côté, des hommes : un petit vieux sur sa gauche, avec des lunettes d’écaille ; un gros jouflu à droite.

— Bon, écoute un instant !

L’opérateur se pointe.

— Fais-moi tirer un agrandissement de ces cinq personnes, lui dis-je. Dis au labo de faire fissa. Je veux ça d’ici une heure, j’attends dans mon bureau. Toi, tu peux aller rejoindre Bourvil.

Content d’être débarrassé de moi, il met les adjas en sifflant.

Je vais ligoter les journaux du soir, les nougats sur mon burlingue, en attendant qu’on me développe le bout de film commandé.

J’en suis au douze cent quatre-vingt cinquième épisode d’Arabelle, la dernière Sirène, lorsque Mongin, le petit préparo du labo, entre dans mon bureau, surexcité. Il tient une photo de format grandissimo à la main. C’est tout frais et ça se gondole comme une matinée enfantine à Medrano.

— Je viens de découvrir un drôle de truc, fait-il…

Je le regarde. C’est un grand gars rouquin comme une botte de carottes avec un nez tellement gros que lorsqu’il se mouche, il a l’impression de serrer la main à un ami !

Le genre de petit mec qui veut arriver et qui ne rechigne pas pour faire des heures supplémentaires, vous pigez ? Il raterait l’enterrement de son grand-père pour cirer les pompes de ses supérieurs.

— Quoi, mon vieux Mongin ?…

Il met le doigt sur le petit vieux situé à gauche de Luebig.

— Cet homme-là…

— Et alors ?

— C’est lui le mort du passage à niveau de Villennes.

Je renifle posément, histoire de donner du dégagement à mes éponges.

— J’arrive de vacances, lui dis-je, et je n’ai pas bouquiné les baveux de ces quinze derniers days, accouche un peu…

— On a retrouvé le cadavre de ce vieillard il y a dix jours, sur la ligne Paris-Rouen, à la hauteur du passage à niveau de Villennes.

— Voyez-vous ! Crime ?

— On ne sait pas… Il était déchiqueté… On penchait plutôt pour l’accident ; le vieux habitait, dans le coin, une petite bicoque délabrée au bord d’un bras de Seine. Miro comme il était et sourdingue, rien d’étonnant à ce qu’il ait voulu traverser la voie au moment où le dur s’annonçait…

Je médite… Peut-être s’agit-il d’une coïncidence, mais l’expérience m’a appris à me méfier des coïncidences.

— Tu me donneras l’adresse de ce zig et son blaze…

— Facile…

— Tu n’as rien à branler maintenant ?

— Je rentre chez moi. J’étais resté pour terminer une expertise.

— Ça t’ennuierait de jeter un regard aux sommiers pour voir si tu trouves dans nos fichiers un des zouaves qui sont là-dedans ?

— Pas du tout…

— Je t’attends là…

Il s’éclipse, heureux de rendre un nouveau service à une légume de mon importance.

Je reste en tête à tête avec une feuille blanche. Rien de plus évocateur, rien qui vous excite davantage l’imagination.

Je prends une pointe Bic. J’écris : Luebig… C’est un nom qui m’excite, sans que je sache pourquoi… Je le récris en caractères couchés, puis en imprimés…

Et je réfléchis. À côté de ce mystérieux personnage se tenait un petit vieux qui devait se faire ratatiner par un train quelques jours après le meeting.

Sur ce, Mongin se la radine, l’air suave.

— Rien de neuf, fait-il… Aucun des cinq personnages de la photo ne figure aux sommiers. Pourtant, je viens de faire une constatation.

Je ne bronche pas. Entre Mongin et Félicie, j’arriverai à un résultat. Ce soir, mes cellules grises ont campo, ce sont celles de mon entourage qui font du rab.

— Vas-y…

— Je viens d’examiner la photo à la loupe…

Il me tend la loupe…

Je me la branche sous le pifomètre. Et j’ouvre grandes mes lentilles pour essayer de ne pas être plus truffe que mon subordonné.

Je tombe pile dessus, ce qui me satisfait doublement. La femme qui se trouve devant Luebig porte sur la tête, car le temps était spongieux ce jour-là, un capuchon en tissu écossais.

Or, Luebig tient sous le bras droit, celui qui est caché, quelque chose qu’on aperçoit à peine et qui doit être un imperméable de dame. Cet imper est écossais itou. Conclusion, on peut parier une heure d’oubli contre Vingt ans après (d’Alexandre Dumas père) que, suivant les déductions savantes de ma brave femme de mère, Luebig se trouvait bien en compagnie de la bergère placée devant lui. On la voit de profil. C’est une femme assez grande, plutôt jeune, car elle est mince, mais qui doit pourtant draguer autour des trente-huit carats.

— Mongin, fais-je, tu es l’homme qui remplace le céleri en branche. Sois un amour, tire-moi la gonzesse ci-jointe toute seule. Agrandis-la encore si tu peux, je veux me la faire mettre sous verre…

Il rit.

— Entendu.

— T’as pas bouffé ?