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— Pas encore, mais ça n’a pas d’importance…

— On ira consommer quelque chose de léger après, promets-je. Quelque chose de léger… Une choucroute garnie par exemple !

Il s’éloigne en se gondolant comme un morceau de carton mouillé.

Pas gland, ce Mongin. Il est vrai qu’il a du nez. Un tarin comme le sien pourrait faire une belle carrière comme patate dans un champ de betteraves.

Dix minutes plus tard, il s’amène avec une nouvelle épreuve.

— Voilà…

Je regarde la souris. Elle est choucarde. Gentil petit lot. À moins que sa poitrine ne se gonfle avec une paille, elle a ce qu’il faut pour garnir une main inoccupée.

Elle doit être blonde ou châtain clair, si j’en juge d’après les mèches qui dépassent le capuchon. Elle porte un tailleur de tweed… C’est tout.

Je cloque le portrait avec la photo du groupe dans une grande enveloppe commerciale. Puis, saisi par la bougeotte, je me lève.

— Tu viens, fils ?

— Le temps de poser ma blouse, monsieur le commissaire.

— Tu as pensé à me trouver l’identité du vieil écrasé ?

— Tenez, la voici.

Je lis sur la feuille qu’il me tend :

« Théodore Schwob, 12, chemin des Saules, Villennes. »

Brusquement me voilà plein d’entrain. Je trouve que la vie est belle, les femmes bien roulées et l’avenir éclairé par une lumière bleue.

— Sus à la choucroute ! dis-je, comme Mongin revient.

Il m’emboîte le pas, confiant dans le destin de la préfecture de police !

CHAPITRE IV

Il est près de minuit lorsque je regagne ma crèche au volant de ma bagnole. J’ai la citrouille pleine d’idées, toutes plus biscornues les unes que les autres ! Des idées, je vais vous dire, il en faut. Dans mon métier, elles sont même indispensables ; seulement, quand il y en a trop, on chope facilement une migraine de génisse !

J’arrive au bois de Boulogne et je vais pour piquer sur Saint-Cloud, lorsque je remarque le clair de lune. Il est presque aussi important que celui de Werther. C’est pas de la gnognote ! On dirait que la lune s’est branchée sur le courant lumière. On y voit comme en plein jour… Il fait bon rouler…

Alors, histoire de faire passer la choucroute, je m’offre l’autoroute de l’Ouest… Peu de circulation… Quelques représentants de retour de province foncent sur la capitale… Moi je roule en père peinard, un coude passé par la portière…

Vingt minutes plus tard je débouche à la sortie de cette voie, où une rangée de lampadaires donne au croisement l’aspect d’un film de Carné, et je chope la route conduisant à Villennes-sur-Seine.

La Seine est rutilante sous les étoiles… Elle glisse somptueusement dans un miroitement couleur d’écailles…

J’arrête ma guinde à un croisement, près de la berge, et je me repère. J’ai un bol fou, car je suis juste à l’entrée du chemin des Saules où feu le vieux Schwob avait sa crèche…

Derrière moi, il y a le passage à niveau où l’homme se fit ratatiner par un rapide… Je laisse ma voiture sur le bord du fossé et je me mets en quête du numéro 12… Pas marle à dénicher… C’est une petite construction sans étage, couverte d’ardoise… M’est avis qu’il s’agissait d’un pavillon de chasse situé au fond d’un parc. La voie ferrée a coupé le parc et on a vendu le morcif de terrain avec la masure. Schwob l’a fait réparer, mais il y a un certain temps, car elle n’est plus très fraîche…

Les volets sont clos… Dans la lumière blafarde de la lune, ce pavillon a quelque chose d’inquiétant. J’ai comme l’impression de l’avoir déjà vu sur la couverture de Mystère-Magazine !

Sans façons (la façon n’est pas fabriquée dans mes ateliers), je pousse le portillon de bois, lequel se laisse faire une douce violence. Je suis une allée semée de graviers pointus que la mauvaise herbe tapisse déjà et je gravis les deux marches d’un perron symbolique. Une porte ! Mon sésame en a raison en deux temps, trois mouvements…

Je pénètre dans le pavillon. Ce dernier ne se compose que de deux pièces et une cuisine. Il y a une chambre et une salle à manger, avec, chose curieuse, un lit de fer dans cette dernière. Le lit est fait, ce qui prouve que quelqu’un y pieutait voici peu de temps. Celui de la chambre étant également fait, je conclus que deux personnes au moins piogeaient dans ce gourbi… Et, chose naturelle, vu mon état d’esprit, je suis prêt à vous parier une lampe Pigeon contre une usine à gaz que la seconde personne n’était autre que Luebig… Il y a des moments où mon bocal émet sur ondes courtes. Je vois des choses par-delà les choses… À côté de moi, le fakir Duchenock passe pour un marchand de rahat-loukoum.

Je farfouille scientifiquement. Dans la strass, il y a plein de papiers tue-mouches, ce qui m’émeut, car ça me rappelle ma jeunesse. Je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais le papier tue-mouches est en voie de disparition. Maintenant on se les farcit au D.D.T., les mouches… Mais les autres fois, il en allait autrement, comme on dit à l’Académie française ! Je me souviens que le samedi, Félicie changeait les papiers gluants. On décrochait les noirs pour en mettre des neufs. C’était vachement jouissif de les étirer… Je guettais la première bestiole qui allait s’embourber les lattes sur la bande vierge… Elle s’étirait à en crever, puis se prenait les ailes et menait un raffût du tonnerre de Zeus ! Ah ! oui, c’était le bon temps. On menait une vie pépère ; le kil de rouge valait vingt-cinq sous et pour dix balles on montait une nana rue Caumartin… Enfin, pas d’attendrissement, ça n’est ni l’heure ni le lieu. Seulement, ces saloperies de papelards sont fixés trop bas et je suis obligé de me détrancher pour ne pas m’y coller les tifs.

Cette idée de tifs collés m’en amène automatiquement une autre. Je vous le dis, les gnaces, ma centrale fait du turbin à la chaîne ! Ça défile sous ma coupole comme les bandes de papier perforé dans une machine à sténographier.

Je regarde le bas des bandes de papelard et, effectivement, je constate qu’il y a çà et là des cheveux plaqués dessus. Les habitants de la carrée se sont laissé avoir par la glu… Je déniche quelques tifs blancs et d’autres bruns… Puis, et ça m’intéresse, deux longs cheveux roux… Des cheveux teints, car la racine est foncée… Bref, des cheveux de femme…

À ce moment, je stoppe mes investigations, car j’entends comme un glissement au dehors. Je prête l’oreille : rien.

Alors je cloque mes trouvailles dans une vieille enveloppe de mon percepteur. Ensuite je poursuis mes recherches… Dans la cuisine il y a un lavabo avec une armoire de fer au-dessus. Dedans, des objets de toilette. Je déniche deux brosses à dents… Un flacon d’eau de Cologne de luxe « pour un homme ». Je doute que le vieillard se soit parfumé, car si j’en juge à l’état délabré des lieux, il devait pas se cailler le raisin pour des questions d’élégance.

J’ouvre les armoires. Il n’y a que des fringues usagées. Les fringues d’un même personnage, celles du père Schwob très certainement… En bas de l’armoire, il y a des paires de pompes, j’en avise, des nu-pieds, d’une pointure nettement supérieure aux autres. Sans doute un oubli du pensionnaire mystérieux. Je les enveloppe dans un morceau de papelard à la traîne et les colle sous mon bras. Ça m’apprendra au moins la pointure de Luebig, si c’était Luebig qui logeait céans.

Sur un buffet, une coupe rococo en porcelaine bleue… Dedans des paperasses… Ce sont des notes de gaz et électrac, des factures de boucher… Je remarque que les côtelettes de veau étaient commandées par deux…

Je m’empare de ces notes. J’enfouis ça pêle-mêle dans mes vagues, me promettant de les examiner de plus près par la suite…