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— Où ça ?

— En Espagne…

— Il vous a laissé son adresse là-bas ?

— Non. Il ne nous a même pas parlé de ce voyage d’agrément, mais, fortuitement, j’ai surpris une conversation au téléphone.

Fortuitement ! La petite dame ne peut s’empêcher de rougir un brin.

Le mot « Espagne » m’a fait vibrer d’un tendre émoi. Illico j’ai pensé au billet de tramway déniché dans le complet de flanelle.

— Il a habité longtemps ici ?

— Une huitaine…

Je me livre à un rapide calcul mental sous le regard attentif du gros Béru. Il est parti avant-hier et il est resté huit jours ici… Il serait donc venu s’installer à l’hôtel au moment de la mort de Schwob… Mordez si ça s’enclenche bien…

— Il vous a montré des pièces d’identité ?

— Une carte d’électeur…

— C’est-à-dire une pièce d’identité sans photographie…

Elle ne répond rien.

— D’où était-il censé venir ?

— Mais… Il… il n’a pas parlé de ça, bafouille-t-elle.

Elle a les yeux embués par la curiosité et l’inquiétude.

— Il a… fait quelque chose de mal ? s’enquiert la dame grassouillette.

— Non, dis-je, au contraire ; jusqu’à preuve du contraire, il a fait quelque chose de bien…

C’est pourtant vrai. Me voilà sur les talons d’un gars qui a rendu service à la police. Vous ne trouvez pas ça cocasse, vous, avec vos cervelles de moustiques ?

— Comment était-il ?

— Grand, dit-elle. Mince… élégant… Trente ans environ.

— Vous avez loué sa chambre depuis ?

— Non, elle est libre…

— Bravo !…

— Pourquoi ? demande Bérurier.

— À cause des empreintes…

— Les empreintes ?

— Dame !… Vous permettez que je passe un petit coup de grelot, madame ?

— Mais comment donc !

Elle permettrait itou que je passe la main dans son corsage, si j’en manifestais l’intention.

Je fais le numéro du labo et je sonne Mongin. Je l’ai, essoufflé, à l’autre bout de la ficelle.

— À vos ordres, monsieur le commissaire.

— Viens relever une collection d’empreintes à l’hôtel Modèle, rue de la Gaîté… chambre… Attends…

— 34 ! dit la dame fondante.

— Bon, j’ai entendu, s’écrie Mongin, soucieux d’économiser ma salive. J’arrive immédiatement.

— Attends, c’est pas fini. Lorsque tu auras œuvré ici, va chez Schwob, à Villennes… Là-bas, également, tu auras du pain sur la planche. Tu compareras naturellement les empreintes recueillies entre elles et tu vérifieras si elles figurent aux sommiers, vu ?

— Vu…

Je raccroche. La dame est en train d’adresser à cette gonfle vétuste de Bérurier un sourire polisson. Je recule un tantinet et je vois que mon Oliver Hardy lui caresse le creux de la main d’un index boudiné… Faut toujours qu’il cherche à se placer chez les grognaces sur le retour, ce tas de saindoux…

La quinquagénaire languide, la charcutière moelleuse, constituent son terrain de chasse.

Je lui offre un second coup de pompe dans les moltebocks. Cette fois, il barrit comme s’il créait à la scène le rôle de Jumbo.

— Qu’est-ce qui t’arrive ? lui demandé-je, tu te coinces les valseuses dans le tiroir-caisse ?

Il grommelle des choses imprécises dont le sens global ne m’échappe pourtant pas !

Je reviens aux choses sérieuses.

— Lefranc avait beaucoup de bagages ?

— Une grosse valise…

— Il vivait complètement seul, ici ?

— Je ne l’ai jamais vu accompagné…

— Il recevait du courrier ?

— Non…

— En tout cas, des coups de fil ?

— Oui, fréquemment…

— Voix d’homme ou de femme ?

— Les deux…

— Sa profession ?

— Courtier…

— En quoi ?

— Il ne l’a jamais dit !

Je gamberge un peu… Pendant que je tiens cette chère loueuse de bidets, il faut que je la confesse dans les moindres recoins.

Cette fois, c’est Bérurier qui, voulant assurer sa position, questionne :

— Il se prénommait comment ?

Question très simple à laquelle je n’avais pas pensé…

— Attendez, fait la bonne dame.

La voilà qui ouvre un grand livre épais comme un matelas Dunlop. Elle le feuillette d’une main experte.

Enfin, son doigt vagabond s’arrête.

— Lefranc Germain, lit-elle…

J’en ai les miches qui font bravo ! Germain ! Le prénom du grand rouquin qu’hébergeait Schwob.

— Et il était roux ! dis-je, certain de produire mon petit effet.

Là, je l’ai dans le sac !

— Non ! dit Mme Plumard, brun !

CHAPITRE VIII

Un coup de bignou au consulat général d’España m’apprend qu’aucun Germain Lefranc n’a fait de demande de visa ces derniers temps. Cela me surprend à moitié, car j’ai dans l’idée que le zig s’appelle Lefranc comme moi je m’appelle Dugland-Lajoie !

Seulement, pour dégauchir son véritable blaze, c’est midi.

Je me prends la bouilloire à deux mains, car il me semble que nous pénétrons triomphalement dans une nouvelle impasse, Bérurier et moi. Tout notre petit populo a l’air de s’être évaporé…

Le Gros et moi cassons une croûte dans un petit restaurant du centre. Béru se tortille deux bouteilles de bordeaux sous prétexte que ce vin « ne fatigue pas ». Le repas fini, on dirait qu’on vient de passer sur sa frime le coup de minium d’entretien…

— Tu ne trouves pas qu’il y a du mou dans tout ça ? demande-t-il.

Je considère son baquet conséquent et j’admets que pour y avoir du mou, y en a !

— Et la gonzesse ? soupire-t-il.

— Quelle gonzesse, cher vieux boy-scout ?

— Celle du meeting, avec le survêtement à carreaux ?

— Eh bien ?

— Faudrait la rechercher…

— Tu crois ?

— Bédame !

— Et tu as des projets ?

— Non…

— Une idée ?

— Tu sais bien que je n’en ai jamais ! rétorque-t-il avec humeur.

Il plisse les paupières et demande :

— Tu as la photo de la fille ?

— Dans ma bagnole…

— Va la chercher…

— Tu veux la mettre au-dessus de ton lit ?

— J’aimerais mieux mettre l’original dedans…

En soupirant, je me lève pour aller piquer la photo de la nana. Je la ramène au Gros qui, maintenant, tel un financier au repos, vient d’allumer un cigare comme on n’en voit que dans les films américains. Il s’empare de l’image d’une main qui tremble un peu (trop de vin blanc dans son passé !). Puis le Gros s’abîme — ce qui ne lui est pas difficile — dans une contemplation voisine de l’hypnose.

— Tu la trouves à ton goût ? demandé-je.

— Comment qu’elle est roulaga, balbutie-t-il. T’as vu ces meules, gars ?

— Très expressives, conviens-je.

— C’est bien simple : on en mangerait…

— C’est simplement pour t’exciter après boire que tu m’as demandé cette photo ?

— Non, je voulais vérifier une chose…

— Voyez-vous… Et peut-on savoir quoi ?

— Tu vois le bas de la photo ?

— Comme je vois ton air c…

Il ne souligne pas l’irrévérence de cette comparaison.

— Tu aperçois le sac que tient la donzelle ?

— Bien entendu…

— C’est un sac en bois et raphia…