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— Ça n’est pas une mort de tout repos, conviens-je sans parvenir à détacher mes yeux de mon sosie.

Ce qu’on m’apprend de cet homme m’impressionne désagréablement. Il me semble que c’est un peu de moi qu’il est question.

— Y a des mecs qui ne sont pas bordés de nouilles, malgré leurs origines, conclut Fisher, et pourtant ce Fratelli avait tout pour voir la vie en rose : du pognon à volonté et comme maîtresse l’une des plus belles femmes des Etats-Unis.

— Hélas, il avait aussi des ennemis, je suppose ?

— Faut croire.

Je rends le cliché à Martin Fisher, mais il secoue la tête.

— Non, non, gardez, ça amusera vos copains. Une ressemblance pareille, ça ne rencontre pas tous les jours.

— Merci du souvenir, mon cher, maintenant dites-moi un peu ce que vous escomptez de moi ?

— Un miracle, répond Martin.

— Ah oui ? De quel genre ?

Il rallume son cigare qui se met à puer la caserne.

— Du genre Lazare, mon vieux.

V

L’ACCEPTATION

Il est arrivé en droite ligne du paléolithique, Martin Fisher, mahousse à ce point, avec ses grands bras d’arracheur d’arbres, sa trompe d’animal préhistorique, et ses immenses yeux à facettes, aussi gros sans doute que la loupiote tournante aménagée sur sa carriole.

— Ce que nous avons à vous proposer est absolument dingue, assure-t-il, mais d’après ce qu’on sait de vous, la fantaisie est votre hobbie, non ?

— Vous dites « nous » avons à vous proposer, Martin, qui sont les autres ?

— Des copains à moi. C’est sans intérêt pour vous. En tout cas rassurez-vous, l’affaire est bizarre, mais honnête. J’aime bien le pognon, mais vous n’entendrez jamais dire que le gros Fisher s’est compromis dans des trucs malsains. J’appartiens à cette catégorie d’individus pour lesquels la prudence tient lieu d’honnêteté, si vous voyez ce que je veux dire ?

Il commence à me plaire carrément, ce pégreleux. Sa désinvolture, son intelligence matoise m’amusent.

— En ce cas, allez-y, vieux, je vous tends mes deux oreilles.

Il tute quelques petites gorgées de prédicateur soucieux de mouiller la meule avant que d’attaquer sa péroraison. Clappe de la langue. Et sa langue, grand Dieu, tu la verrais, jamais plus tu ne consommerais de langue de bœuf de toute ta garcerie de vie. Elle ferait dégueuler un crocodile affamé.

Il la promène sur ses lèvres en museau de vache pour récupérer des gouttelettes de breuvage.

— Votre sosie, San-Antonio, travaillait dans l’exportation du matériel de l’armée non utilisé.

— Ce que nous appelions, après la Libé, les « surplus américains » ?

— Exact. Il gagnait des tas de fric avec ce filon, cet enviandé de Rital. Il aurait dû s’estimer heureux et profiter de la vie. Surtout qu’il était beau gosse dans son genre.

— Pas de pléonasme, ricané-je, puisque vous reconnaissez qu’il était mon sosie.

— Ne vous balancez pas des coups de pied pareils dans les chevilles, vieux, sinon vous ne pourrez plus marcher.

On se marre. Deux potes, je te dis. On fait la belle équipe, nous deux ; le tandem suprême, comme l’éléphant et son cornac.

— D’après le début de votre phrase, ce ravissant jeune homme s’est laissé aller dans du louche ?

— Et comment ! Il travaillait pour le compte d’une nation étrangère. Vous devinez laquelle ?

— Avec une imagination comme la mienne, Martin, je peux tout imaginer, y compris ce qui n’existe pas.

— En fait, ce sacré macar dirigeait le réseau de la Côte Est. Il a fait un fameux dégât et le pentagone ne le porte pas dans son cœur. Le plus surprenant, c’est qu’on vient de découvrir seulement maintenant, plus de quinze ans après sa mort, ses véritables activités. A la suite de la désertion d’un haut personnage soviétique. Un Popof que le démon de la cinquantaine travaillait et qui s’est entiché d’une poulette de Boston au point de demander le droit d’asile et d’abandonner sa mégère moscovite et ses descendants. Ce qu’a raconté ce zigoto remplirait l’annuaire des téléphones de New York, mon vieux. Quand un type comme ça se met à en croquer, faut lui foutre un édredon sur la gueule pour arriver à le faire taire.

— Et il a révélé les anciens agissements de votre Fratelli ?

— Preuves à l’appui. Un vrai cinoche.

— Comment êtes-vous au courant de cela, ça n’est pas de votre ressort, à vous, chef de la police d’une ville de Pennsylvanie ?

— Imaginez-vous qu’il s’était planqué à Noblood-City avec sa Bostonienne. Et je suis la première autorité à qui il s’est adressé pour annoncer qu’il choisissait la liberté. En preuve d’allégeance, il s’est mis à jacter. Et il m’en a déballé tant et tant que le gars qui a tapé le rapport est obligé de se faire masser le poignet par un kinési pour retrouver l’usage de sa main.

— Vous êtes certain qu’il ne vous a pas bidonné ? C’est un truc fréquemment employé par des gars chargés de s’implanter dans un pays. D’abord inspirer confiance en jetant du lest à tout va : et ensuite tisser leur toile.

Ma remarque désoblige Fisher. Il supporte mal la contradiction.

— Ecoutez, San-Antonio, cet aspect de la question ne fait pas partie de vos oignons. Nous avons des types hautement qualifiés dans ce pays pour décider si le noir est bien noir, et le blanc véritablement blanc.

— O.K., moustique. Poursuivez !

Il enfonce son auriculaire dans sa grande bouche et se met à piocher entre des molaires qui, une fois extirpées, fourniront des presse-papiers fort pratiques. En ramène une chose effrayante qu’il chiquenaude à travers la pièce. Le relief de saucisse s’accroche à un rideau blanc et l’on ne voit désormais plus que lui dans l’appartement. M’est avis que le pourtant célèbre Alexandre-Benoît Bérurier a trouvé son maître au plan dégoûtation.

— Tout ce préambule pour vous amener au résumé suivant, San-Antonio, reprend le pachyderme avec agacement.

Soudain, je le devine pressé d’en finir. Il se dit qu’il ne va pas ergoter cent dix ans avec un enculé d’Européen à la gomme. Droit au but. Et fissa. Le chemin le plus courbe d’un point à un autre, c’est la ligne droite, comme l’assure Béru.

— Sachez une chose, vieux. Et me cassez pas les roupettes avec vos « comment » ou autre « oui, mais ». Sachez que le jour de sa mort, vous m’entendez bien ? Le jour de sa mort, Fratelli a reçu deux millions de dollars des Soviets à répartir dans son réseau. Or, ces fonds n’ont jamais été distribués. En outre, on ne les lui a pas volés. Commencez pas à me demander comment nous savons qu’on ne les lui a pas volés, NOUS LE SAVONS, point à la ligne. Conclusion, il les a foutus dans une planque à lui. Une planque sûre. Et je vous parie votre culotte contre la mienne qu’ils y sont encore !

Il se tait, se place en biais pour balancer une louise qui lui titillait l’orifice.

— Qu’est-ce que vous dites de ça ? me demande-t-il.

— Qu’entendez-vous par « ça », Fisher ? Parlez-vous de l’affaire Fratelli ou de la dégueulasserie que vous venez de lâcher ? Si c’est de l’affaire, elle me trouble, si c’est de l’autre chose, elle m’incommode.

Il ricane.

— Je parle des deux millions de dollars. Le reste, il n’y a plus rien à en dire.

Je commence à y voir comme sur un écran en vistavision dans son jeu. Les circonstances ont placé Fisher dans le circuit des confidences de ce Russe transfuge. Il a été amené à piger que deux millions de dollars somnolaient peut-être encore dans une cachette et, avec la participation plus ou moins occulte de personnages haut placés, il rêve de la dénicher. Oui, c’est fastoche à piger, mais ça n’éclaire pas ma lanterne quant au rôle qu’on aimerait me voir jouer dans tout ça. D’ac, je ressemble à Fratelli, mais ils ne vont pas m’amener à déclarer qu’il n’est pas mort et que je suis lui, non ? Auprès de qui, juste ciel ?