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Je retapisse l’immeuble où le seigneur Meredith a ses bureaux. Du marbre noir, des vitres fumées qu’on voit rien à travers quand on mate depuis l’extérieur.

La raison sociale est écrite en caractères dorés grands comme ma pomme. Le hall tapissé de glaces, avec des appliques à grand spectacle, laisse présager le luxe auquel il conduit. Un groom vêtu d’un uniforme bleu, à épaulettes d’argent, noir et hautain, tles cabines sitôt que tu te présentes et t’informe de l’étage où tu dois te rendre en fonction de la personne demandée.

Il me voit arriver, imperturbable, le menton en avant comme s’il se trouvait déformé par le port d’une jugulaire.

— Quel service ? il me demande.

— Mister Meredith soi-même.

— Auriez-vous rendez-vous ? balbutie ce valeureux officier du Strategic Air Command, signifiant merveilleusement par ce conditionnel incrédule l’improbabilité de la chose.

— Dans quatre minutes exactement, rétorqué-je.

Il décroche un téléphone mural, compose un seul chiffre, me demande mon nom, le répète, répond O.K., raccroche et m’offre l’éclat de ses trente-deux dents taillées dans l’ivoire le plus noble.

— Par ici, sir, vous allez prendre l’ascenseur particulier.

Il me fait contourner le bloc des six ascenseurs réservés aux communs mortels et ouvre une porte en glace donnant accès à un ascenseur plus petit, tendu de peau de suède rouge, comme un écrin Cartier, et meublé d’un canapé à deux places.

Je m’y dépose sans parcimonie. Sur l’une des parois, il y a une toile de Renoir, contre une seconde, vissée sur une console, une mignonne statuette de Mayol ; quant à la troisième, elle est dotée d’un dessin de Toulouse-Lautrec. Le plancher est garni de fourrure, tu t’en doutes. Ajoute un humidor à cigares, en laque noire, avec des coins en or et tu jugeras. On pourrait passer une heure ou deux dans ce boudoir ascensionnel, mais il ne met que dix secondes pour me hisser au vingt-huitième étage qui est celui du bureau personnel de Fredd Meredith (avec deux « d », pourquoi pas ?)

A l’arrivée, une délicieuse hôtesse m’accueille. Uniforme jaune, coiffure croquignolette, genre béret à tresses. Sourire peint à l’huile, œil de biche en train de se faire enfiler, pommette délicate à la japonaise.

— Si vous voulez bien me suivre, elle susurre avec de telles inflexions que tu as l’impression de te passer le vent tiède, un séchoir à cheveux sous les testicules.

Je la suis.

La suivrais jusqu’en Alaska sans m’en apercevoir, because son prose fascinant. De ce fait ne peux te décrire l’antichambre immense qu’elle me fait traverser. Toujours est-il qu’à l’autre extrémité, se trouve un tunnel de détection, avec, assis de part et d’autre, deux messieurs aux formes géométriques, plutôt roux de peau et de poil.

— Vous voulez bien passer par ici ? m’invite la gonzesse à cul, en me montrant le détecteur, lequel est identique à ceux qu’on trouve dans la salle d’embarquement de la plupart des aéroports.

Je franchis ce faux porche très volontiers. Un sifflement modulé retentit, ce qu’entendant, les deux mastars bondissent de leurs sièges et m’accaparent avec dextérité. J’ai droit à une fouille expresse d’une promptitude folle. L’un m’ôte mon stylo de bazar, l’autre le paquet que je tiens sous le bras.

D’un geste ils m’enjoignent de repasser.

J’obéis, et cette fois dans le silence.

Ils ont déjà éventré mon paquet. Rassurés par son contenu, ils me le rendent ainsi que le stylo.

— Je suis désolée, mais c’était vraiment nécessaire, me murmure la souris jaune.

— Naturellement, admets-je de bonne grâce.

Et puis elle fait coulisser une porte et je pénètre dans l’antre de Fredd Meredith, l’homme-le-plus-riche-que-moi.

T’en préciser les dimensions ? Pourquoi fiche ? En quoi ça te concerne, dis, chétif ? Tu connais le Palais des Sports ? Bon, alors ça te suffit pour que tu te fasses une idée de la chose. C’est fabuleusement grand, au point qu’une petite voiture électrique permet au magnat de se rendre de sa porte au bureau sacramentel posé sur une estrade dans le fond en rotonde de la pièce. Pas un bureau : un trône inca. Des marches de marbre recouvertes de tapis made in Iran. Une construction baroque, faite de bois précieux, de moulures d’or, d’incrustations de nacre. Avec un ciel de bureau par-dessus que tu te croirais au sacre de Napo, en velours bleu parsemé de minuscules boîtes de conserves en or. Féerique. Mais c’est pas tout. Sur la gauche : un orgue gigantesque. Aux claviers, un petit individu barbu de blanc, en habit, joue le Grand Largo de Haendel. Attends, tu n’es pas au bout de mes surprises. A droite, il y a un autre trône, plus petit toutefois que le trône bureau, mais tout aussi fastueux, qui consiste en une cuvette de W.-C. sculptée dans le marbre le plus rarissime. Et te dire si c’est wonderful : ça représente un cygne. Un cygne grandeur nature, dont le col tourne le dos à l’usager. Œuvre de grande classe, due à un artiste italien, j’en mettrais ta main au feu. C’est majestueux comme l’architecture mussolinienne.

Assis sur ledit, Fredd Meredith, en pleine défécation, le pantalon sur les chaussures, les coudes sur les ailes-accoudoirs du cygne, me regarde survenir, l’œil scrutateur, les sourcils unis par l’attention qu’il me porte. Autour du trône est une rampe désodorisante qui dégage une délicate senteur de rose trémière.

Deux sièges font face au cygne-cuvette. Deux fauteuils. L’un est occupé par une vieille infirmière en uniforme protestant, laquelle tient un récipient dans ses bras.

Très terriblement sidéré, je trébuche jusqu’au pied du chiotte impérial. J’ai déjà rencontré une foultitude de jobastres au cours de ma véhémente carrière, mais des chieurs de cette ampleur, encore jamais.

Meredith doit avoir dans les soixante-quinze bougies. Il est chauve, avec une tronche en forme d’ampoule électrique. Sa mâchoire est très allongée, ses pommettes particulièrement bombées et son crâne énorme. Son regard est d’un vilain bleu malsain.

— Vous l’avez ? me demande-t-il en guise de salut, d’une petite voix fluette.

Je m’incline, tel un messager exténué devant un monarque.

— Oui, monsieur Meredith.

— Donnez, donnez vite !

Je passe sous la rampe désodorisante. Mon sens olfactif le déplore.

— Veuillez excuser l’état du paquet, il a été défait par les honorables gentlemen de l’antichambre.

Le paquet, il s’en fout. De ses mains parcheminées il plonge dans le carton. Et son geste, feutré de respect, assoupli par l’émotion, devient lent et énorme comme un ralenti au cinéma.

Il s’empare de l’objet. L’élève à deux mains, regard extasié, lèvres humides.

Prenez et buvez, car ceci est mon sang !

— Oui, fait Fredd Meredith à voix mourante, oui, c’est elle, c’est bien, bel et bien, tout à fait, extrêmement, parfaitement elle. Elle, telle qu’elle fut. Elle, la chère chose sublime. Oui : je la tiens, la vois, la possède.

Il abaisse un peu la petite maquette de locomotive que je viens de lui apporter. Il pleure. Le bonheur de cet homme est confondant. Oh ! oui, pleure, tendre-milliardaire défécateur. Pleure devant la merveille convoitée depuis tant et tant d’années et qu’un homme venu d’ailleurs te remet sur ton trône glorieux, ô chieur de cygne.

Meredith interpelle (à tarte) sa garde-tinette, l’infirmière presbytérienne.

— Miss Alexandra, dit-il de sa voix d’eunuque enrhumé, je vous présente la fusée de Stephenson à chaudière tubulaire, inventée par le Français Marc Seguin en 1829. Rarissimiste ! Introuvabiliste ! Prodigiotissime !