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J’inspecte ma chambrette délicate. Une salle de bains aux murs recouverts de papier fleuri et aux appareils roses m’invite aux ablutions.

Je m’avise dans la grande glace surplombant le lavabo en forme de conque. Ma parole, je suis en pyjama. Un bath pyj’ de soie blanche gancé de noir. Hello, San-Antonio ! Ça va, la vie ?

Je me vote un sourire confidentiel. Je suis rasé de frais. Mais quelle est cette cicatrice rose à ma pommette gauche ? Quand donc me suis-je payé cette bavure ? Et puis aussi…

Oh, merde ! Voilà que j’ai de la moustache. Une fine baffie à la Menjou. Moi qui n’ai jamais porté ni barbouze ni bacchantes ! Tu parles d’une histoire ! Je tire sur les poils, pensant qu’ils vont me rester entre les doigts ou que toute la moustache va venir avec, mais que tchi ! Ça me fait mal et m’emplit les yeux de larmes.

Bon : je suis devenu moustachu.

Aussitôt, le naturel prenant le dessus, je me dis : combien de temps faut-il pour laisser pousser une telle moustache ?

Plus d’une semaine, non ? J’ai le système pileux luxuriant, certes, mais tout de même…

Ces sortilèges devraient me tourmenter, pourtant il n’en est rien et je les accueille avec bonhomie. Même si cette réalité n’est qu’apparente, faut « faire avec » comme dit Bérurier ; pour le moment, je m’en contente volontiers. J’accepte sans rechigner de m’éveiller dans une maison inconnue, vêtu d’un pyjama de soie blanche, la pommette marquée d’une cicatrice, les lèvres surmontées d’une moustache à la Craque Câble (comme dit également Sa Majesté, tiens, où est-elle en ce moment ?).

Je me fais couler un bon bain. Sont qualifiés de « bons » bains, les bains qu’on a très envie de prendre.

Je virgule de la drogue parfumée à l’essence de pin dans la baignoire, manière de corser mon plaisir. La musique serine dans la salle de bains, équipée d’une phonie, les mêmes naninanères que dans la chambre. C’est suave, pas gênant, ça ne t’encombre pas les trompes. Cela ressemble à un léger parfum dont l’air est imprégné parfois, aux abords d’un massif de lys ou de roses. Oui, il s’agit d’un « parfum sonore ». La formule me botte, je répète : « un parfum sonore ». Zou : la baignoire est déjà emplie et une chaîne montagneuse en mousse frémissante la domine. Je me dessape pour m’y glisser voluptueusement. Jusqu’au menton. C’est bath. Môme, je rêvais souvent de me prélasser sur un nuage, y a fallu que je prenne l’avion pour réaliser vraiment que les nuages ça n’existe pas.

Envol super des violons. Yen a au moins combien dans cet orchestre ? Une douzaine ? Ils s’enfoncent en toi pour t’arracher l’âme, comme une fourchette à escargots extrait le gastéropode persillé de sa coquille brûlante. « Nana nani nananère. » Ça te plonge dedans. Et t’imagines pas le combien cette musique ajoute à la volupté du bain.

Je place un gant de toilette sur le rebord de la baignoire afin d’y appuyer ma nuque. Je ferme les yeux et fredonne l’air en circulation. « Nana nani nananère. » Ça ferait chialer une brique d’émotion merveilleuse.

— Vous aimez cette musique ? m’interroge une voix câline.

Je rallume mes falots et j’aperçois la fille. Bon, je ne veux pas te raconter qu’elle est belle, c’est beaucoup mieux que ça. Beaucoup mieux que ce que tu serais capable d’imaginer. Beaucoup plus tout. Brune, les cheveux mousseux, la peau bronzée, des yeux d’un bleu tellement pâle qu’ils paraissent presque blancs à contre-jour. Ça, c’est ce qu’on peut rapporter à son propos, la description du premier degré, quoi. Mais la vraie n’est pas esquissable. Des tas de gonzesses sont brunes, avec la peau sombre et des yeux bleu pâle. Des chiées possèdent ces lèvres follement sensuelles, délicatement ourlées comme ils écrivent dans leurs foutus livres à la con, ces auteurs cons qui font croire aux cons que la littérature c’est comme ça et pas autrement, bande de malfaiteurs des lettres ! Naufrageurs de la pensée. Dynamiteurs de la véritable expression, mille fois maudits, conspués et chiés en glaireuses projections éclaboussantes par ceux qui savent ou qui sentent la réalité de dire. Non, pour t’en revenir, on ne raconte pas cette fille, son charme immédiat qui te court-circuite tout entier, depuis la moelle épinière jusqu’aux plus mignons replis de l’anus si orfèvrement cannelé, moi je trouve.

Elle s’exprime avec un léger accent espagnol, mignonnement zézayeur, juste pour dire d’ajouter. Elle est court-vêtue d’une simple blouse blanche en nylon qui lui arrive à mi-cuisse, s’échancre puissamment, s’ouvre merveilleusement large.

Ce qui frappe, tout de suite après son étourdissante séduction, c’est sa gaieté. Elle est joyeuse comme est joyeux un chaton.

Elle décroche une brosse en forme de couronne pourvue d’un manche de plastique.

— Voulez-vous que je vous frotte le dos, Jimmy ? Les hommes adorent ça, je crois ?

Déjà elle s’est placée derrière moi et les crins de la brosse se mettent à me fourbir la superficie, calmant par magie les menues démangeaisons qu’ils y font naître.

— Ça vous plaît ? demande-t-elle.

Mézigue, un peu berluré, je me tiens penché en avant. P’t’être que des fois, bien intentionnée comme elle paraît être, elle accepterait de me mignarder sous les roustons, ce qui ne mange pas de pain, tu conviens ?

— Il fait un temps merveilleux, déclare-t-elle, moins chaud qu’hier. Ça vous dirait de prendre le petit déjeuner sur la terrasse, Jimmy ?

— Breugh heurmph grrr oui, parviens-je à répondre.

La musique se fait de plus en plus suave. La fille en blouse blanche sent divinement bon. Le bain est (attends que je trouve un adverbe convenable…) miraculeusement (je suis allé au pressé) tiède.

Moi, à ce régime-là, comme disait un marchand de bananes, je veux bien signer un contrat de cent piges renouvelable pas taciturne reconstruction (Béru).

— Vous avez raison, approuve ma frotteuse d’échine. Sans doute aimeriez-vous le prendre en compagnie de Mlle Abigail, elle dort encore, mais je vais aller la réveiller.

Je renifle pour me donner le temps de réfléchir. Las, je ne réfléchis à rien. Je suis paumé. Tu ne sais pas retrouver le canard dans un pâté de canard, n’est-ce pas ? Tout est méli-mélo. Dans ma tronche, ça ressemble à du pâté de canard ou autre.

Je m’extirpe d’à travers les muqueuses une onomatopée qui peut passer pour un acquiescement.

— O.K., dit la déesse brune en s’arrêtant de m’astiquer le socle à sommeil ; je vais la préparer. On se retrouve en bas dans vingt minutes, Jimmy ?

C’est seulement au bout d’un temps d’incertitude que je murmure :

— Pourquoi m’appelez-vous Jimmy ?

La fée brune sourit avec trente-deux chailles que j’aimerais te faire visionner pour que tu saches au moins une fois dans ta miséreuse vie ce que c’est qu’une denture, pauvre porteur de chicots.

— Mais, parce que vous vous prénommez Jim, répond-elle.

Elle disparaît.

IX

ELLE

Bon, je m’appelle Jim. Dans l’état d’euphorie où je volplane, rien ne peut me surprendre profondément. Juste un peu, comme ça, en surface. Car enfin, je sais parfaitement que je ne me prénomme pas Jim. Mais qu’une merveilleuse créature m’assure le contraire ressemble plutôt à un gag.

Je quitte ma chambre pour déboucher sur une galerie surplombant une immense pièce luxueusement meublée, avec des différences de niveau, des meubles drôlement modernes et des peintures dans le goût du jour, c’est-à-dire truquées. On vit l’époque où, pour renouveler l’art, on s’abandonne aux gadgets. L’autre jour, un peintre réputé qui faisait une exposition à Zurich a expédié des paquets ficelés à la diable. Son œuvre, c’était ça : des paquets. Un geste ! qu’il assurait dans son catalogue irraisonné, le gus. Les douaniers suissagas ont ouvert les paxons, par devoir. Et le génial exposeur de « gestes » s’est arraché les tifs, de désespoir. Mais il avait tort de se biler, somme toute, au lieu de son geste à lui, on a exposé le geste d’un douanier, ça se tenait. D’autant que les gestes du Ouin-ouin étaient beaucoup plus spontanés que le sien, non ?