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Elle a les yeux qui révulsent, Abigail. Je l’envape suave. Très terrible frisson, haut en bas, bas en haut, va-et-vient. Tu parles que ça lui démange : seize ans de bouteille ! Je te parie la prise de la Bastille contre une prise de tabac, ou bien une prise de conscience contre une prise d’aération, ou une surprise contre une méprise, au choix, que ça va être la toute suprême affaire plumardière, la mademoiselle. L’explosion sensorielle ! Gare aux éclats ! Ce qui me chagrine confusément, c’est d’avoir la primeur de la culbuter au bénéfice de ma ressemblance avec son ancien mec. Ça diminue mes mérites : toujours ce foutu orgueil, tu vois ? Mais enfin, comme l’a si bien dit le général de Gaulle à la bataille de Marignan : seul le résultat compte.

Je la pilote, sans visibilité, jusqu’au premier dodo à portée. On aborde. Sans cesser de lui trépigner de la menteuse, je la déloque. C’est un boulot magistral, le décarpillage d’une frangine. La manière que ça t’agace les doigts, ses froufrous ; qu’ils s’impatientent sur les boutons, tes radis, sur les agrafes surtout, minusculement pernicieuses. Et puis tu la tronçonnes peu à peu. Exit la jupe, exit le corsage. A bas les collants, le slip chez Plumeau ! Mon habitude, à ma pomme, c’est de toujours terminer par le soutien-loloches. Les couleurs qu’on ramène. Ensuite tu laisses aller le bestiau, là que l’induisent ses sens, il suit son bonhomme de chemin.

Nous voici en plein émoi. Elle décrit tout l’alphabet avec son corps harmonieux, Abigail. Le « V », surtout. Et le « Y » à la perfection, sans te parler du « Z ». Le bas de la gamme, quoi ! Mézigue, des jours sans limer, tu te rends compte de cet arriéré ? Dans les cas trop impétueux comme le nôtre, je préconise de pas finasser. Inutile de jouer les complications. La fioriture, faut la garder pour le second tour de scrutin.

Ce vertigineux enfourchement, madoué ! La grande embroque en rase campagne. Je lui pique des deux avec une effrénance si forte qu’elle se met à crier, la chérie. Une bruyante ! Tout l’hôtel doit entendre, et la vieille en mauve va se bricoler une partie de veuve clito expresse pour se dompter la nervouze. Elle hurle, Abigail, à la lune. Comme les loups dans la toundra (j’y suis pas allé, mais j’ai lu des récits). A me casser burnes et tympans. Ça lui contracte le bigornuche de beugler tous ces décibels et elle m’étrangle le chauve à col roulé.

— Non, non, je lui supplie. Moins fort, ma chérie !

Mais elle a décarré. Atteint le point de non-retour. Elle fonce à mach 3 ou 4 vers les zéniths.

Je lui applique ma main sur la bouche, salope : elle me la mord au sang ! Une vraie tigresse ! Drôlement embarqué, l’Antonio. Elle va la boucler, sa gueule, cette péteuse, oui ou classe ? Mais qu’est-ce qu’on leur enseigne dans les instituts américains, aux jeunes filles de la High ? On ne peut donc pas les apprendre à se refréner ? Ça ressemble à quoi de mugir comme une conne, à tous les échos ? Clamer au monde entier qu’on prend son pied ? Tu sais qu’elle mériterait une fessée ?

Ses clameurs sont si formides qu’on se met à tambouriner à notre porte. Des voix anxieuses demandent ce dont. Je m’arrache pour aller répondre que mademoiselle s’est pris le doigt dans la porte d’un placard. Mais des curieux, plus curieux que d’autres, plongent une tronche dans l’appartement et aperçoivent Abigail, étalée sur le page, avec le tiroir ouvert. Alors les figurants se gèlent. Y a réprobation. On me considère comme un vieux dégueulasse qui doit infliger à sa jolie duègne des sévices pas narrables, lui cloquer des boules d’escalier dans l’espace Cardin, des jumelles marines, des tisonniers chauffés à blanc, toute une panoplie hautement inquisitrice. Lui faire subir le supplice du pal et du Népal. La gamme complète des dingueries de vieux kroums à jamais débandés.

Ça murmure. On rumeurt. Les regards s’électrifient. Y a de la flétrissure dans l’air. Du dégât en perspective. Mme Pomponnette se détache du groupe pour m’avertir que c’est pas le genre de son établissement. Va falloir déguerpir. Elle me montre ses autres pantoches : rien que des birbes, du ridé soleil, du croulant, du coulant, du plâtreux ; la sucrette, la bavoche. Branli-branleur. Pépé-mémé. Passe-moi ma béquille, t’auras ta tisane. C’était pendant l’horreur d’un profond ennui. Je réponds qu’oui qu’oui : on va s’en aller. Promis, juré.

Et dans mon in petto décapotable, double carburateur, je fulmine contre cette gosse. Si je pouvais m’attendre à une pareille chose. Hystéro, elle est ! P’t’être que c’est ça qui a rendu Fratelli dingue d’elle. Sa bruyance. Il aimait faire l’amour avec une sirène d’usine, le Rital-espion. Ça lui portait aux sens. Tous les goûts sont dans la nature des choses.

Je reviens dans la piaule, lourde d’un coup de tatane furax. La môme est toute penaude au bord du lit. Ne sait comment s’excuser. « Je ne me rends pas compte, mon tempérament prend le dessus. »

Je la renverse sur le page.

— Que faites-vous ?

— Je termine ce que j’ai commencé, ma chérie. Les pannes de secteur ne sont pas bonnes pour l’organisme.

Elle repart en gueuleries insoutenables. Vraiment plus fort qu’elle. Quand je pense que j’ai eu calcé des nières dans des cinoches, des vieux Alcazar de quartier encore pourvus de loges. Fallait drôlement self-contrôler. Retenir la vapeur. Motus et vivendi ! M’en fous que les fossiles de la pension nous maudissent. Je tringle à leur santé.

La chère âme jouit en catastrophe. On se retrouve par terre, sur le tapis de basse laine, tout surpris d’y être. On filochait si tant follement qu’on est tombés du lit comme deux feuilles mortes, sans seulement s’en rendre compte.

Abigail se blottit contre moi.

— Mon amour, c’était merveilleux.

— Vous savez que je ne suis pas Jimmy Fratelli, objecté-je doucement.

— Je sais. Et je vous le répète, c’était merveilleux.

Allons, on tient le bon bout. Bientôt elle ira faire des bras d’honneur sur la tombe de son ancien amant.

Elles sont comme ça. Et ça se termine toujours ainsi, les passions.

Et donc, vu la tournure des choses, nous devons modifier nos batteries d’épaule et changer nos fusils. Pendant que je règle la mini-note à une taulière hermétique, parme jusque dans son maquillage, la vociférante Abigail va louer une bagnole à l’Agence Hertz voisine.

Une heure plus tard, nous roulons en direction de Vaginston (comme dit aussi Béru).

Une circulation dense. Quatre voies sur l’autoroute. C’est la môme qui pilote. Elle conduit très mal. Dix ans sans toucher un volant, ça te flanque des stigmates. Parfois elle donne trop de sauce et la Chevrolet bondit. D’autres fois, elle freine pile au ras d’un pare-choc.

Avant la capitale étatsunienne, nous stoppons dans un motel qui se nomme Pine Lodge Motel, because deux pins plus rabougris que parasols végètent de part et d’autre de l’enseigne lumineuse disposée en arceau.

On nous loue un pavillon de deux pièces, en forme de chalet suisse, situé à l’extrémité du groupe de constructions. Et je m’en félicite, tu ne peux pas t’imaginer comme, vu qu’ici, Abigail pourra pousser sa goualante à satiété sans trop rameuter les populations urbaines et orbaines.

Nouvelle installation.

— Peut-être serait-il mieux de ne pas aller au restaurant, préconisé-je. J’ai remarqué un magasin à grande surface dans le secteur je vais y faire l’emplette de quelques denrées consommables et vous les cuisiner à la française, chère fleur de mes sens.