Aussi taudis, aussi étoffé : je pars aux provisions, tel un gentil mari pendant que sa femme s’occupe des chiares.
Mon rôle d’égrotant est dur à tenir, compte tenu de ma superbe vitalité qui intéresse tant tellement les dames. J’ai beau m’efforcer aux petits pas, j’ai tendance à allonger mes compas. Ayant collé la tire au parking du supermarket, je m’accroche à un caddie (de Gascogne) à la débandade sur l’immense étendue goudronnée.
Juste avant que je ne franchisse l’immense porte du big magasin, une voix ricaneuse me retentit dans les trompes d’Eustache.
— Alors, grand-père, comment vont ces foutues artères ?
Je me détronche. Et, fatalitas, me trouve face à face avec Martin Fisher.
La déconvenue me ruisselle le long de la raie culière.
Je lui décoche un petit sourire malheureux, le même que doit fournir un écolier pris en flagrant délit de branlette par le proviseur.
Il a joué sa partie superbement, ce tordu, chapeau !
— Dites donc, continue le Mammouth en me posant une main de cinq kilogrammes sur l’épaule, vous êtes le docteur miracle ! La môme complètement guérie, sa permettant même de conduire une bagnole après seize ans de sirop, bravo !
Il porte un nouveau galure, plus épastouillant encore que le premier, avec le poil bien lustré et, me semble-t-il, un bord plus large. Fier conquérant, le flicard. Le bide gros commak, soutenu par une ceinture de cuir plus large que la courroie de transmission d’une batteuse. Il rit graisseux, regarde graisseux et de la mousse jubilatoire fleurit dégueulassement ses commissures.
— Je crois effectivement que j’ai des dons, articulé-je, comme si j’avais trente caramels mous dans la bouche.
— Elle a fait allusion au trésor ?
— Pas encore. Je ne brusque rien.
— Elle vous a suivi sans difficulté ?
— C’est elle qui m’a supplié de la faire évader de chez elle ; elle hait son vieux.
— Je vois !
Il voit ballepeau, ce gros con. Il croit voir seulement. Sa jubilation fait peine à constater. Si je m’écoutais, je lui filerais mon caddie dans les roupettes et je le planterais là.
— Va falloir s’occuper de notre petite histoire, à présent, cher ami, reprend l’éléphant. Ces trucs, moins on les laisse traîner, mieux ça vaut. D’autant qu’elle n’a plus grand-chose à vous refuser, hé ? Quelle séance, à Atlantic City ! Elle a foutu l’émoi dans tout le quartier avec ses cris de lionne dépucelée ; j’ai jamais entendu une fille gueuler aussi fort, vous la sodomisiez avec une brosse à chiendent ou quoi ?
— Je suis monté un peu fort, réponds-je.
— Je vois.
Il rigole encore, et sa bouille ressemble à une énorme motte de beurre au soleil.
— Vous ne savez pas, confrère ?
— Allez-y !
— Faudrait que cette affaire soit solutionnée dans les plus brefs délais. Le vieux Meredith a lancé cent flics privés sur vos talons, et vous aurez beau vous déguiser en ancien combattant de l’American Legion, vous serez vite repéré. Déjà, vous avez un petit aperçu avec moi.
— Les privés n’ont pas vos dons exceptionnels, Martin.
Il repousse son grand bada à la noix afin de dégager son front de penseur.
— Les privés d’ici ne ressemblent pas aux vôtres qui passent leur temps à regarder des couples adultères par des trous de serrure et à noter l’adresse du pied-à-terre sur un carnet. Aux States ils sont fortiches. Je vous fous mon billet qu’en moins de quarante-huit heures la Cad’ du père Meredith stoppera devant votre nid d’amour. Croyez-moi : il faut agir vite.
— Je ferai ce que je pourrai.
Fisher change d’expression, son regard se met à ressembler à deux huîtres dans du vinaigre.
— Non, dit-il, vous allez faire ce qu’il faut. Je veux le magot avant demain soir, l’ami. C’est une question de vie ou de mort.
— Pour qui ? je demande.
Il remet son bitos au ras de ses sourcils.
— Devinez.
Puis il décrit une rotation pesante et emmène promener son nombril.
XII
APRES LE ZIZI. PAN, PAN !
Dans la vie, il existe les circonstances.
Sans elles, on cafouillerait. Ainsi, je vois nous deux, Abigail et moi, dans ce motel, s’il ne se produisait pas une circonstance très particulière dont tu vas avoir l’imprimeur plus loin, pas très, on risquerait de molasser dans des torpeurs, à bouffer mon frichti inspiré de Félicie et à se payer des parties de fesses. D’accord, je veux l’accoucher de son secret, miss Meredith, seulement il faut pas se pointer avec des bottes d’égoutier, non ? Mules de velours, pas coulés, regards feutrés. Et surtout attendre qu’elle veuille bien s’exprimer sur la question.
Je lui sers une nouvelle portion d’asperges qui la déguise en bande sonore sur la Révolution de 1789. Excepté deux-trois voisins intéressés et qui viennent rôdailler près de notre cambuse, la séance s’opère sans incident particulier. Elle a un tel besoin d’amour qu’elle en devient dingue, mam’selle Sautopaf.
Une fois ses sens calmés, comme on dit dans les récits convenables, où ça baise avec des capotes et des adjectifs mondains, elle blottit son visage dans les poils luxuriants de ma poitrine luxurieuse.
— Ne me laissez plus jamais, supplie-t-elle.
Plus jamais !
Là, elle exige un peu trop, la mère. Moi, les adverbes tels que « toujours » ou « jamais », je m’en gaffe comme de la vérole. Si tu les prends au pied (voire même à la ceinture) de la lettre, ils t’embarquent trop loin, ces petits misérables.
Voilà pourquoi je m’abstiens de jurer mes grands Dieux, me contentant de l’apaiser d’une embrassée farouche qui lui coupe le souffle, ce qui est toujours ça de gagné, car quand une greluse se met à déconner sur les « tu m’aimeras éternellement », grouille-toi de lui clore le bec par n’importe quel moyen, ne serait-ce qu’en y fourrant ton zob.
Et puis on décide de se dodofier. La môme s’aperçoit qu’elle a oublié sa chemise of the night dans la voiture. Une parure mousseuse, achetée à Atlantic City. Galant, je renfile mon bénouze afin de la lui chercher.
Dehors la nuit est gigantesque. T’as des nuits beaucoup plus vastes que d’autres. Généralement, je raffole des petites nuits campagnardes de chez nous, quand la lune « boit », comme on dit dans la famille, c’est-à-dire lorsqu’elle paraît se diluer dans des nuages filandreux et que les arbres se dressent tout noirs et immobiles sur un fond de ciel encore bleuté. Ici, elle n’en finit pas. Y a pas de confins. Elle part à l’infini. C’est une noye sans limite, en coupole étoilée (cloutée d’étoiles, diraient mes chosefrères).
Les bungalows sont presque tous éteints. La maison-mère, là qu’il y a le bureau et la salle de restaurant, est encore éclairée et de la musique s’en échappe. Une voix de femme noire tire-bouchonne dans les pénombres, accompagnée par les accents déchirants d’un saxo. Une vraie atmosphère de film.
Je gagne le parking en éventail situé derrière les constructions et me dirige vers ma guinde. Quelle n’est pas ma surprise — et mon inquiétude — lorsque j’aperçois une silhouette à l’arrière de notre Chevrolet de location (qui fait le larron). Un homme est tranquillos installé sur la banquette, immobile. Aussitôt, l’Antonio, homme d’action émérite, s’accroupit et gagne, à genoux, la portière arrière gauche de la tuture.
J’avance ma patoune vers la poignée. Je me dis que je n’ai pas d’autres armes que mes poings et ma promptitude, mais que bien utilisées, celles-ci doivent suffire. Doucettement je saisis la poignée nickelée et, vlout, dans une détente féline, je délourde et me précipite à l’intérieur pour cueillir le passager clandestin.