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On parvient au douzième. Les couloirs sont larges comme la piste number ouane de Roissy-Charles de Gaulle. Moquette à fleurs, ça représente des dahlias et c’est joli que tu ne peux pas t’en faire une idée. Faut le voir pour le croire. Tous les trois mètres, y a des appliques à six branches, style Louis XV nouillorkais : très bath. Les portes sont dorées, avec des poignées de verre fumé, tellement fumé qu’il te pique les yeux quand tu regardes trop attentivement.

Au beau mitan du couloir, imagine-toi une double porte. Devant, se tiennent deux chambrières saboulées de rouge et blanc, l’une est noire, l’autre blanche. La blanche est très brune et la noire très blonde, comme il se doit.

Elle s’incline à mon passage. Légère flexion de la jambe droite. On joue « Les Petites filles modèles » chez cette vachasse de Mme de Fleurville, laquelle guérit si bien les morsures de chien enragé avec de l’eau salée, que c’en est à se demander ce que Pasteur est venu faire chier la bibite au monde avec ses vaccins de mes fesses !

Je pénètre dans un appartement que les bras m’en tombent et m’en tomberaient même si j’étais manchot depuis la seizième génération.

Ah, ils font bien des choses, là-bas, ces poètes. Mon Dieu, Seigneur, comme ils savent ! Comme ils prouvent ! Comme ils imposent magistralement leur sens inhumé (ou inné, si tu préfères, je m’en fous, merde, des nœuds pareils, on va pas chipoter !) de la décoration. Cette archiclasse ! Cette réussite apogétique ! Cette faramineuse branlette ! Et le luxe, nom de Dieu, le luxe ! Oh ! Maman ! Viens voir le comment ton fils est accueilli en terre américaine. La Fayette, grand con, tu ne pouvais pas rester à Chavaniac, Auvergne ? Je vous demande un peu : un marquis ! Ben retournes-y voir, mon vieux Marie-Joseph ! Va mater le résultat ! J’entre en un lieu qui pourrait s’intituler « Le Palais du Tapis », ou « Tout pour la Moquette ». Tant tellement qu’en a épais, des couches superposées, des à franges, des en soie, des façons iraniens made in Chicago, des Chinois made in Hong Kong. Que ça regrimpe contre les murs, bordel ! Toutes les couleurs répertoriées jusqu’à ce jour sont offertes en une formidable palette de laine ou de soie tressées. T’en trouves sur les tables, sur le dossier des chaises. Et alors, bon, après l’orgie de tapis, t’as une débauche de verre filé, mais qu’a pas filé assez vite ! Des lustres à faire crever de jalousie Murano. Des lampes sur pieds, des appliques, des pendeloques, tout ça que si tu oses un éternuement, ça te fait le carillon Westminster dans le Landerneau. Les canapés sont grands chacun comme la place Vendôme. Y en a des ronds, des carrés, des ovoïdes. Et puis les tableaux, je te recommande : viens un de ces jours avec une hache qu’on casse la croûte ! Le chef de la déception me guigne du coin de l’œil. Il attend mon sursaut, ma trémolance d’époustouflement. L’obtient.

— Pourquoi ? lui susurré-je sombrement. Oh, pourquoi ?

Il me sourit grand comme un Brie entamé.

— For you, sir !

Pour moi ? Merci. Merci. J’espère qu’ils auront un jerrican d’essence et des allumettes !

Merci pour cette magnificence de chiotte ! Merci pour cette grandiloquerie à pompons. Bravo ! De toute beauté. Réalisation ex-tra-or-di-naire.

Il m’oblige à traverser les steppes de l’Asie minable, pour faire coulisser, sur simple pression d’un bouton, une cloison qui sépare de la chambre. Alors là, chapeau ! Louis XIV pensé par un décorateur américain. Les fastes de la royauté absolue. Blanc ! De bas en haut, d’est en ouest. Et puis un trône de quatre marches lumineuses. Dessus, un lit rond, sommé d’un ciel de lit, surmonté d’un aigle blanc aux yeux lumineux. Fourrure, fourrure, et refourrure. Ours blanc ou polyester ? Mystère. Et des glaces. Une chiée de gigantesques glaces. Enfin quelque chose qui réfléchit !

Le bi-tronche me désigne son nez dans l’un des miroirs, et il appuie dessus.

— Ici, la salle de bains, monsieur.

Il a déclamé monsieur en français.

Nouveau coulissage. La glace cède la place à d’autres. Un palais de marbre blanc délicatement veiné de rose me surgit dans les rétines.

Puis, on m’apporte mon imper et ma valoche.

Puis, on me laisse seul avec mon étonnement.

Il est aussi grand que cette suite démente…

Au milieu de la chambre, sur une table basse, en tu sais quoi ? Glace ! Trône une somptueuse corbeille de fleurs immaculées (c’est leur conception de l’accueil) à laquelle est épinglé ce mot :

« Martin Misher, chef de la police de Noblood-City, souhaite la bienvenue à son éminent confrère le commissaire San-Antonio. »

Gentil, non ? Délicat. Une corbeille de fleurs blanches, comme à une jeune mariée. Je comprends qu’il s’agisse d’une ville pacifique, si les flics passent leur temps à s’adresser des roses et des lys ! Ou alors, peut-être qu’il take du rond, le Martin Fisher ? Peut-être que n’importe quoi ? Va-t’en savoir dans un pays pareil.

Je commence à défaire ma valoche en chantonnant. Une fois que mes hardes sont rangées dans la penderie invisible, je procède à un examen de mon royaume pour en apprécier toutes les ressources. J’y déniche des téléviseurs géants, astucieusement dissimulés derrière des tableaux, des chaînes Hi-Fi, des bars pleins de bourbon et de champagne, la Bible, des revues pornos, des vibromasseurs, des godemichets à fleurs, toute la panoplie du voyageur soucieux de ses aises physiques et spirituelles.

Mais le fin du fin, le plus bathouze, c’est dans la salle de bains que je le déniche. Tu vas voir, non, je te jure, ça mérite d’être conté menu et par le menu.

Voilà que je passe dans cette partie utilitaire de ma suite (au prochain numéro) afin de m’y ablutionner un tantisoit mains et museau, c’est pas que les escarbilles de charbon soient abondantes en avion, mais tu sais ce que c’est ?

La baignoire est ronde, faut descendre des marches pour y entrer et y a de la lumière au fond, ainsi que du miroir encore afin d’en fausser la profondeur et te permettre de vérifier que t’as l’oignon bien fourbi et les poilducs par paquets de dix. Et puis le lavabo représente une énorme fleur stylisée, very bioutifoule très beaucoup ! Et un compartiment spacieux est réservé à la douche. Il est muni d’une porte en glace aussi, mais sans tain du côté in pour qu’on peut voir depuis dedans, préciserait l’Emir Bérurier. Et tu peux pas imaginer jusqu’où va se nicher le confort : un strapontin est posé dans la douche, afin que tu puisses morfler, assis, l’assaut cribleur des deux cent cinquante-trois jets dont se hérissent les parois.

Or, donc, j’open la porte et que découvré-je, assise sur le strapontin, nue et les jambes croisées, rousse et souriante, roulée sublime avec plein de petites taches de rousseur autour du nez ? Une gonzesse, mon vieux crabe des sables. Une vraie, authentique, vivante, complète, avec des loloches surdilatés, le cul du siècle, un maquillage extra. Elle n’est pas entièrement à loilpé, force m’est de préciser pour la beauté véridique du prodigieux récit, ayant en sautoir un large ruban rouge, kif le grand cordon de la Lésion d’une heure, sur quoi duquel est marqué : « Bienvenue, San-Antonio. »Pour lors, j’en ressens des picotements partout, y compris là où tu sais. Jamais je n’ai bénéficié d’un tel accueil. Que de délicatesse ! Quelle suprême attention ! Jusqu’où ont-il poussé le raffinement, mes homologues nobloodois ! Mais c’est Byzance, les Mille et une Nuits !