Выбрать главу

Le para de Le Pen ronchonne qu’il aimerait le savoir. Ce qui m’incite à lui demander la permission d’entrer dans son chenil-ranch. Il passe un peignoir de bain en tissu-éponge bleu des mers du Sud et vient nous accueillir.

On s’annonce de plein foot dans un livinge tel qu’en rêvent tous les gaziers affligés d’un F3 ou 4 lorsqu’ils ont bu trop de rhum ou de perniflard.

Y a du rouet en forme de lustre, des canapés bas, en bois massif, et puis tout à lavement, comme dit Sa Seigneurie, plus des photos aux murs représentant des chiens, des chiens et encore des chiens, tous bergers, tous allemands avec des airs à te bouffer les couilles si tu les regardes de travers, et le cul si tu te sauves.

Louis Manzardin nous fait asseoir civilement. Lui-même se sélectionne le meilleur de ses fauteuils, croise les jambes et se met à s’éplucher des peaux mortes autour du gros orteil gauche.

La lourde du fond s’entrouvre sur une petite femme brune, du genre pruneau, aux grands yeux fiévreux et au teint bistre. Elle n’est vêtue que d’une chemise de noye style baby-doll, pas plus grande qu’un abat-jour de lampe de chevet, qu’heureusement elle a passé un slip, sinon tu lui voyais la chaglatte comme je te vois.

— Je me doute que cette visite intempestive peut vous surprendre, je leur dis-je, aussi je plonge dans le vif du sujet: Catherine Mahékian, ça vous dit quelque chose?

— C’est ma sœur! s’exclame la dame Manzardin.

Ce qui te prouve donc que les déductions béruréennes étaient fondées et ce qui me surprend d’autant moins qu’elle ressemble, en plus maigre, à la femme en fuite.

— Elle ne séjournerait pas chez vous, par hasard?

— Quelle idée! s’exclame le dresseur de fauves.

— Vous avez eu de ses nouvelles aujourd’hui?

— Pas le moins du monde, aboie l’homme aux cheveux en brosse (à chien), comme sur la défensive.

— Vous la fréquentez beaucoup? insisté-je.

— Elle! s’écrie le chenileur, on peut pas s’encaisser, les deux! Laura va la voir à Paris, ou bien lui écrit, mais moi, cette belle-sœur, moins je la vois, mieux je me porte.

— Est-il indiscret de vous demander l’objet de cette antipathie profonde?

— Ses grands airs. Elle me prend pour une espèce de brute sans cervelle et me parle comme je n’oserais jamais parler à l’un de mes chiens. Alors, comme j’en ai rien à cirer, hein? Chacun chez soi et Dieu pour tous!

La chétive Laura opine sur son bout de siège où elle a perché son maigre dargiflard. Elle est soumise à son dur. Il en a fait sa chose, sa maîtresse-servante. Le grand coup de bite du soir pour se faire pardonner les houspilleries incessantes de la journée, j’entrevois.

— Vous êtes arméniennes, toutes les deux? questionné-je, tourné vers la Cosette du para.

— D’origine, mais nous sommes nées en France.

— Comment vit votre sœur?

— Elle est peintre.

Le dur ricane:

— Parlons-en de ses décalcomanies. J’aurais ça sur mes murs, ça me foutrait la chiasse!

— Il en faut pour tous les goûts, laisse tomber Bérurier d’une voix conciliante d’homme sage.

A cette assertion, je comprends que le sieur Manzardin ne lui est pas très sympa. Il a ses tronches, l’apôtre. Au premier contact, il détermine qui lui convient et qui mérite son poing dans la gueule.

L’éleveur de molosses hausse les épaules.

Je reprends:

— Elle n’est pas mariée?

— Pensez-vous! Elle, c’est le gigot à l’ail!

— Louis, je t’en prie! proteste sa brebis bêlante.

— Eh! dis, Laulau, viens pas me chambrer avec les mœurs de ta frangine! Qui est-ce qui passe ses nuits Au tuyau de Pipe ou à la Mandoline Bleue, qui sont des boîtes de gougnes notoires?

— Elle recherche du folklore!

— Pas à peindre, à lécher! rigole ce facétieux goujat. Remarque, si elle aime bouffer les artichauts sans leur enlever les poils, c’est son affaire!

L’intéressante discussion en est là quand un ronflement de taumobile retentit. Des lumières de phares éclaboussent la porte-fenêtre.

— On vient! dit Louis Manzardin. Vous attendez des confrères, messieurs?

— Non, dis-je sèchement en m’approchant de la croisée la plus proche.

Dans la clarté lunaire (c’est pleine lune) j’avise une R 5 rouge. Mon cœur, mes tripes, mes claouis, mes clés, mes cheveux bon-dissent.

LA VOILÀ!

On va se la gaufrer en plein, la perverse. Nous arrive toute rôtie dans les pognes! Un vrai velours! Bravo, Béru! Ce groin qu’il a eu, le Patapouf, en me proposant de venir draguer dans ce chenil!

— Je crois que lorsqu’on parle du loup…

Mais une forme cabriole devant moi, me bouscule, ouvre la croisée et hurle:

— Va-t’en! Va-t’en! La police!

Juste comme elle venait de couper son moteur. Qu’aussitôt, fais-lui confiance, elle remet les gaz. Je saute par-dessus la barre d’appui et fonce à m’en fracasser le menton à coups de genoux. La petite chignole manœuvre en vitesse sur le terre-plein. Je l’atteins. Je la touche. Nos yeux se croisent, à la fille et à moi. Oui, oui, le portrait robot est une réussite. Le triomphe de mon pote aux sandales puantes. Il a même su recréer le regard terrible, froid, implacable.

Je tâtonne pour ouvrir la portière! Putain d’elle! Où sont les bonnes vieilles poignées d’autrefois qu’on pouvait saisir à pleine main. De nos jours, faut éviter la résistance à l’air! Tout est encastré. Dans le prose! Ma main glisse le long de la carrosserie, l’automobile de la Mahékian bondit. Elle ronfle à s’en arracher le moteur. Ses feux rouges s’éloignent toute vibure dans la venelle aux glycines. Disparaissent.

Courir jusqu’à ma propre tire et me lancer à sa poursuite? Elle a pris trop d’avance. Je ne saurai quelle direction prendre.

— Vache! Vache! Vache! trépigné-je.

Et je rentre dans la maison où il se passe des choses. Bérurier est en train de se colleter avec Manzardin, et crois-moi, ça chie dru. Pas manche, le para. Il sait se battre. Un orfèvre. La manière qu’il porte des une-deux à la face du Gros. Le dentier d’Alexandre-Benoît-le-Grand gît déjà sur le carrelage. Mon pote a une pommette ouverte comme une orange à laquelle tu viens d’enlever un quartier. Son pif raisine. Il tente de charger son tagoniste, mais la technique de l’autre le maintient à distance. Alors il encaisse, stoïque.

Moi, je dégaine l’ami Tu-tues. Le Mastar s’en avise, ayant toujours l’œil clair.

— Touche-le pas, il l’est à moi! hurle-t-il.

Je remise ma rapière. Qu’il en soit fait selon les vœux de mon cher et vaillant camarade.

Louis ajuste de plus en plus ses coups. Béru vacille. Mais je devine que s’il en prend plein la margoulette, c’est pour mieux mijoter son affaire. Laisser croire qu’il est débordé, qu’il va s’écroulaga.

Ça chicorne à outrance. Faut être l’enclume béruréenne pour tenir encore debout.

Et Manzardin s’excite. Il gronde:

— Fumier de flic! Je t’apprendrai à gifler ma femme! Tu vas voir ta sale gueule de pourri ce que je vais en faire.

Et tout soudain, il parle plus parce que Sa Majesté vient de passer à l’offensive en lui décochant sa talonnade magique dans le bas bide. Un coup exclusif à Messire l’Enorme. Il chique le gars soûlé de gnons, pivote de trois quarts et vlan! place sa botte secrète (c’est le cas d’y dire!). Louison, il moufte pas. Mais la douleur le foudroie. Il reste figé, bras ballants, à grimacer. Bérurier part au régal. Son deuxième coup favori (comme il dit): la boule dans le pif. Cent vingt kilogrammes viennent de prendre leur élan pour que la tête de bronze du Terrific s’encastre entre le nez et le menton de Loulou. Là, il s’écroule, le paratonnerre. Floc! Béru, c’est pas le genre magnanime, qui tend la main à son adversaire terrassé pour l’aider à se relever. Le shoote dans le temporaclass="underline" une fois, deux fois, trois fois. Extinction des feux! Salut aux couleurs! Groggy au champ d’honneur, l’éleveur de clebs. Bras en croix, la respiration incertaine à travers des lèvres et un pif disloqués.