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Le Gros tombe son bénouze, histoire de remettre ses burnes en place selon une ordonnance éprouvée. Il m’explique que lui, les couilles déplacées, et il peut pas fonctionner.

J’attends patiemment qu’il ait achevé son petit ménage intime. La chose étant réglée, il s’assied (que je préfère à il s’assoit) face à moi au bureau.

— J’ouïs, déclare l’Immense.

Je pousse vers lui le petit objet brillant que j’ai retripatouillé de mon mieux.

— Tu sais’ce que c’est que ça, Gros?

Il se penche.

— Ben, une bouc’ d’oreille, non?

— Exact. Regarde-la à travers cette loupe.

Il s’exécute puis, indécis murmure:

— C’est toujours la même, mais en plus gros, non?

Faut de la patience avec sa pomme. Pas craindre de marcher dans le fumier et la sottise. Moyennant quoi, t’arrives à du positif.

— Maintenant, regarde cette photo d’un des garçonnets disparus.

L’Arrondi étudie le cliché et s’égosille:

— Merde! Le môme porte la même bouc’ d’oreille!

— Non pas la même, celle-là, Gros!

— Et où est-ce t’as trouvé la bouc’?

— Dans le chenil de Manzardin.

— Sans charre!

— Textuel.

— Et t’en conclusionnes quoi-ce?

Je pousse un gros soupir et me voile les yeux de la main.

— C’est tellement abominable que d’en parler me semble une monstruosité, mon pauvre Alexandre-Benoît.

— Faut pas avoir peur des mots, Tonio, seul’ment des gensss.

Comme il dit vrai, le bon obèse. Quelle sagesse se cache en ce tas de saindoux! (Merde, un alexandrin; je l’ai pas fait exprès.)

— Ce que je pense, mon vieux pote, ce que je crains c’est que les restes des garçonnets martyrisés n’aient fini au Chenil du Vieux Lavoir. Il y a une énorme broyeuse à viande, là-bas. Cette petite boucle d’oreille a dû passer dedans et j’ai eu beaucoup de mal à lui redonner forme.

Le Mastar se dresse à demi.

— Tu croyes que ces salauds f’raient bouffer les cadav’ par leurs clébards?

— J’en suis hélas convaincu.

— Mais qu’est-ce qui t’a mis le pucelage à l’oreille, Sana?

— Le fait que Blérot figure sur le carnet d’adresses des Manzardin. Il ne faut pas que l’affreux para vienne nous raconter qu’il ne fréquente pas sa belle-sœur puisqu’il connaît ses amis de messes noires!

— Bon, alors on y retourne et je te garantis qu’ils vont cracher la vérité, ces deux infec’.

— Moment, mec!

— Quoi, moment? Je vais l’massacrer jusqu’à c’qu’y s’affale, ce fumier, y n’mérite pas d’viv’.

— Pour l’instant, il est neutralisé et à dispose. Auparavant, il faut que nous mettions la main sur sa belle-sœur.

— T’aurais une piste à suiv’?

— Yes, monsieur. Toujours grâce à ces fameux carnets d’adresses.

— C’t-à-dire?

— Ce qui est intéressant, c’est les noms et adresses que nous trouvons également sur les deux. Par exemple, dans le carnet de la fille Mahékian, il y a le numéro de Blérot. Or, Blérot figure aussi sur le carnet des Manzardin. Imagine-toi, mon vieux tirlipoteur, que j’en ai déniché un second qui est commun à l’un et à l’autre.

Je lui tends une fiche où j’ai griffonné: «Docteur Skinézi. Le Val Chanté, Menuet-le-Roi, Yvelines.»

— Tu crois que…?

— Je ne crois rien, je m’attends à tout. Il se peut que ce soit un toubib qu’aient eu les deux sœurs, par exemple. Ou bien, une simple relation familiale… Mais tu es d’accord qu’il faut voir, non?

Oui: il est d’accord. Le contraire m’aurait surpris.

Rien, en Yvelines, ne ressemble davantage à un village qu’un autre. Partout c’est la même église, les mêmes maisons de pierres apparentes, ex-métairies aménagées en résidences secondaires. La même auberge recouverte de lierre ou d’ampelopsis. Le même bistrot. La même bascule publique. La même école.

A l’entrée de Menuet-le-Roi, un panneau signalisateur nous indique la direction du Val Chanté, maison de repos pour personnes âgées.

Nous l’empruntons jusqu’à la grille rébarbative qui en interdit l’accès, de nuit. Un interminable mur torturé par des plantes grimpantes au point que la nature a peu à peu gain de cause et que ce sont les briques qui cèdent à sa poussée profonde.

Une maisonnette de gardien, près du lourd portail. Dans le fond, au sommet d’une pelouse en pente, se trouve un ancien château du dix-neuvième transformé en établissement paramédical. On distingue des lumières bleutées dans les zones de circulation, mais la clinique ou assimilée est absolument silencieuse, et comme inerte dans le clair de lune somptueux (le même que celui de Mériflour-le-Bas, pourtant distant d’une trentaine de kilomètres).

— Et maintenant, que vais-je faire? bécaude le Gros, de cette voix de fausset qui contribue tant aux giboulée de mars et qu’il appelle lui-même une voix de faussaire.

Question épineuse. L’endroit est si intensément paisible que l’on hésite à y porter la vérole.

Je m’abstiens de lui répondre, étant perdu dans l’océan des incertitudes. Comme toujours, le hasard tranche pour moi. Enfin, quand je dis «comme toujours», j’entends: «comme souvent». Voire simplement: «comme parfois».

Une loupiote se met à cracher dans la maisonnette flanquant l’entrée. Puis une fenêtre s’ouvre. J’entends une vieille dame, grommeler:

— Mais il est chiant ce con. Puisque je te dis qu’a personne, Ernest, bordel!

Le con chiant riposte:

— Je t’assure, mémé, que j’ai entendu s’arrêter une auto!

Mémé continue ses regimbances:

— C’t’enfoiré, il rêve et y croye que c’est la réalité! Espèce d’enculé de sa mère, putain!

L’enfoiré se fenestre et lance dans le calme de la nuit:

— Il y a quelqu’un?

Je déponne ma portière.

— Oui, monsieur Ernest, fais-je, il y a nous, c’est-à-dire deux officiers de police!

— Ah! je savais bien! triomphe le concierge. Tu vois, mémé, qu’a quéqu’un. La police!

Mémé, comme virago, tu trouveras jamais pire. Elle aboie depuis sa couche que je suppose matrimoniale, à moins qu’elle ne soit concubinaire:

— Et qu’est-ce y viennent nous casser les couilles au milieu d’la nuit, ces enviandés de poulets. Je voudrais qu’ils crèvent la gueule ouverte, ces salauds!

— Chaque chose en son temps, chère mémé! lui crié-je. Auparavant, nous aimerions parler à Ernest.

— Je viens, messieurs! promet l’urbain gardien qui, la preuve en est, ne dort que d’une oreille, comme dit Béru.

Effectivement, il donne peu après la lumière extérieure et se montre à nous au-delà des grilles. Délicieux personnage, minuscule, presque chauve avec toutefois une couronne de cheveux blancs. Il porte une liquette qui doit lui tenir lieu de pyjama, et a passé un pantalon de velours à grosses côtes, râpé à l’emplacement des genoux. Ses bretelles lui battent les talons comme il se doit et il se traîne à l’intérieur de grosses charentaises en haillons.

Avec difficulté, il entrebâille le portail et nous prie d’entrer. Nous pénétrons dans une espèce de guitoune de garde-barrière qui pue l’aigre et où s’empile un capharnaüm tellement indescriptible que je vais pas me faire chier la bite à tenter de te le décrire. Le clapier est divisé en deux parties. Une espèce de cuisine-séjour au premier plan, puis une partie chambre à coucher séparée de la première par un grand rideau coulissant sur un fil de fer mal tendu.