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Mon ardeur à le courser ne fait que s’exacerber. Peu à peu, je gagne du terrain. Très peu. Il joue son va-tout, le disciple d’Hippocrate. Roule à fond de plancher.

On déboule maintenant sur la nationale. Il oblique à droite, et non pas sur Paris comme je m’y attendais.

Des poids lourds nocturnes circulent dans les deux sens. Il les double avec une folle témérité. Je le suis toujours, tantôt lui rendant du terrain, tantôt lui en reprenant. Ça va pas durer jusqu’à la Saint-Troudeballe, si? Sa petite chignole n’est pas de taille. Elle peut fournir des coups d’accélération ardents, mais rouler en continu à cette allure démente, moi je la vois craquer avant longtemps. Tandis que ma tire à moi est conçue pour. Elle fatigue pas. Cent quatre-vingt-dix à l’heure, elle assume; n’en a rien à branler. Peut se permettre des heures et des heures de grand tourisme sans baisser de régime.

La clarté de l’aube se développe dans mon rétro, se colore de rose pâle. La circulation commence à s’épaissir un peu. Des motocyclistes engoncés, des livreurs mal réveillés…

Je t’aurai, salope! Je t’aurai!

Note que j’ai du répondant sous la pogne: les Manzardin surveillés par Pinuche et la collaboratrice du docteur coincée dans son labo et gardée par Béru. Ça représente des biscuits de rechange, ça. Mais c’est le médecin que je veux. J’appuie, j’appuie, ne me réservant qu’une élémentaire prudence dans les cas de dépassement parce que si je plantais le fils unique de Féloche dans le fion d’un vingt tonnes, elle serait vachetement inheureuse, m’man.

Voilà une file de gros culs. Ils sont trois, avec remorque, à constituer une énorme chenille processionnaire sur la route. D’autres voitures se pointent à notre rencontre. Le doc n’hésite pas: il double. Salaud! J’appréhende qu’il se fasse zinguer dans l’opération. D’autant que la nationale décrit une courbe un peu plus loin. Je freine, j’attends. La Mini rouge est minuscule à côté des mastodontes qu’elle dépasse. Plus basse que leurs énormes pneus. Les chignoles qu’elle croise lui font des appels de phares éperdus et klaxonnent à s’en découiller les batteries. Mais ouichtre, Skinézi n’en a cure. Il disparaît dans le virage.

J’enrage, je désespoire, j’ovieillessennemise. Tu sais qu’il va finir par me biter, cet infâme avec son audace?

Revoilà la ligne droite. Je m’apprête à doubler le convoi à mon tour. Non! Voilà une bétaillère! La laisse passer. Et à présent, je peux, moui? Pas encore, cette fois c’est un car plein d’assoupis qui s’annonce.

Quand, enfin je parviens à sauter les trois camions, devant moi la route est déserte. Plus de feux rouges à l’horizon. J’appuie! J’appuie! Parviens à un carrefour. Putain d’elle, et d’Adèle! Que faire? Je te disais qu’il allait me le fourrer profond, le sagouin!

Un jeune homme à mobylette, avec son cassedale sur le porte-bagages va son petit bonhomme de chemin en pétant une fumée huileuse.

Je pile à mort.

— Hep! Dis-moi, gars, tu as vu passer une Mini rouge qui roulait à près de deux cents?

Le gentil garçon (boucher?) ralentit.

— Non.

— Mais si, t’as pas pu la rater, elle vient de te doubler il y a quelques secondes!

L’éberlué me flashe comme si j’étais un Martien en culotte courte qui se taperait un rassis dans une salle de concert classique.

— Mais y a pas de Mini rouge qui viendre de me doubler! certifie-t-il avec un tel air de loyauté que j’en ai les testicules tout crispés.

Pas de temps à perdre. Faut le croire.

Je le crois.

Alors, avec une rare témérité, j’exécute un rebrousse-chemin sur la route. Des coups de freins, des appels de phares, des mugissements d’avertisseurs, des imprécations. Tout ça de bonne guerre. Je fonce en sens inverse, mais à allure légèrement plus modérée. J’aperçois ce que je cherche: un chemin à ma droite, peu après l’endroit où le doc a doublé les camions. Je l’enquille résolument (pas le toubib: le chemin). Ce fumier aura profité de l’écran momentané composé par la grande courbe et les gros véhicules pour tenter une manœuvre de diversion. Maintenant, il a combien d’avance sur moi? Trois minutes? Tant que ça, tu crois? C’est vrai que le temps de doubler à mon tour, de rouler jusqu’au carrefour, de raconter ma vie au vélocyclo-motoriste, de virer et de revenir…

Allez, courage, grand!

Sur un chemin, la sensation de vitesse est accrue. Les talus défilent plus vite. Et les barrières te font des signes pour t’inviter à ralentir. Mais fume!

Voilà un village.

Et, à l’entrée d’icelui, un paysan à moustache blanche, sur un tracteur.

Je stoppe en catastrophe.

— Pardon, monsieur, auriez-vous-t-il vu une petite auto rouge qui, que, quoi, dont, où?

S’il l’a vue! Cré bongu, pour sûr qu’il l’a vue, c’t’auto de malheur, le père Denis! Même qu’elle a manqué faillir l’emplâtrer dans le virage du bureau de tabac.

Je n’attends pas la fin de son reportage et repars dans une clameur de pneus, en laissant quatre centimètres de gomme sur le goudron du chemin.

Il a encore accru son avance, le monstre! Cette fois, je me dis textuellement autant qu’en aparté ceci:

«Tantonio, il est temps de mobiliser la troupe. Si tu continues cette courette tout seul, tu finiras par avoir un baobab dans le bab. Il te promène avec sa petite guinde passe-partout, le toubib. Alors décroche ton biniou, prends ta voix la plus autoritaire et donne des ordres pour que soit quadrillée cette région si agréable au demeurant.»

Bon, je décroche mon tubophone intérieur et enfonce les touches d’appel. Un préposé à voix soucieuse, hostile et bien timbrée me dit de m’annoncer. Je virgule mon numéro de code, puis mon nom. Explique que voilà, je me trouve en train de courser un sale pékin dans les environs de Houdan. Signalement et numéro minéralogique de la tire. Que les brigades volantes se mettent en place dare-dare (voire même Dard-Dard) et qu’on m’avise.

Ouf! T’as fait ton devoir, l’Antoine. Tu ne pouvais pas différer plus longtemps, ramener cette chasse à l’homme à une simple compétion de chignoles: Mini surgonflée contre Maserati.

La conscience apaisée, je trace de plus rechef. Mais la merde ambulante c’est qu’en rase cambrousse, y a plein de chemins qui s’entrecroisent, façon toile d’araignée. Je vais pas, à chaque embranchement, chercher un nabus pour lui demander s’il a ou non aperçu une Mini rouge!

D’autre part, je ne peux guère poursuivre «au pif». Ça marche une fois, ensuite tu l’as dans le prosib, mon kiki.

Je sillonne la campagne champêtre, comme dit le Gros, essayant de garder une ligne à peu près droite conduisant à Dreux. Pourquoi m’imaginé-je que Skinézi va tenter de rallier une ville? N’a-t-il pas un autre plan? Car si c’était d’une cité qu’il rêvait, il pouvait filer sur Paris tout proche au lieu de choisir la route de l’Ouest. N’empêche qu’il m’a eu. Sa témérité a été payante.

Un groupe de travailleurs émigrés circulent à pince. Je m’arrête. Ont-ils vu…, etc.

Non, ils n’ont pas vu.

Donc, je me fourvoie.

Demi-tour… Puis une autre route qui ondule à travers les prés fleuris fraîchement dégagés de la noye. Car à présent il fait jour tout à fait. Ce sera le beau temps pour la journée. Des chiées de pégreleux vont s’en réjouir. Inouï, l’intérêt que mes temporains accordent à la météo. Je les entends… Ils se téléphonent d’un continent à l’autre. La deuxième chose après «bonjourçava», c’est «quel temps vous avez?» Comme si on en avait à cirer du temps qu’il fait à Paris quand on lézarde en Andalousie! Et même du temps de Paris lorsque tu t’y trouves! Ils n’ont pas pigé que le temps, c’est toujours à recommencer beau, pas beau, pluie, brouillard, neige, canicule! C’est tout pêle-mêle dans la grande sphère qui tourne. Elle crache son numéro: «Vent frais avec légère précipitation orageuse en début d’après-midi.» Toute leur vie, ils seront passionnés. Ne parleront que de ça. Ne serait-ce que pour le constater.