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«— Il fait pas beau, hein?»

«— Non, il fait pas bon pour la saison.»

«— L’année passée, il faisait plus doux!»

Je crois rêver. Le temps les fait perdre leur temps.

«Le fond de l’air est frais.» «Il va peut-être pleuvoir.» «Il y a plus d’été.» «Tiens, il neige.» Et même, ce pur chef-d’œuvre: «C’est un temps qui amènera la pluie.» Oh! qu’il amène la pluie, mais qu’il emporte les cons, ces feuilles mortes de la vie. Qu’il les emporte dans «la nuit froide de l’oubli» là que Prévert accumulonçait ses feuilles mortes, bougre de bougre!

Là, le ciel est rose. Je te jure qu’il va faire beau, t’es content? Mais moi, je m’en torche l’oigne. Skinézi s’est volatilisé.

Ecœuré, je m’arrête dans un élargissement du chemin propice au stationnement. Je consulte mon calepin à couverture noire; qu’ensuite je compose le numéro de Mme Yvette Bonatout, la pipelette de la rue de Rennes. Elle rouscaille quand je m’annonce. Paraît que son sergent de ville pionce toujours, terrassé par le jet soporifique que Pinuche lui a balancé dans les naseaux.

— Comme ça, il vous fout la paix, rebuffé-je. Voulez-vous monter dire à mon collaborateur du sixième qu’il m’appelle à bord de ma voiture immédiatement.

Elle a tendance à maugréer, ce morning, l’Yvette. Hé! dis, faut pas qu’elle se prenne pour la Dame aux Camélias, sinon je te vais lui rabaisser le caquet. Ça se laisse tromboner en levrette par le premier Bérurier de passage et ça voudrait chiquer les bourgeoises blasées!

— Remuez votre gros cul, comme quand vous vous faites enfiler sur mon bureau, ma petite grand-mère, ne peux-je me retenir de lui vanner (que tant pis si c’est mufle; moi aussi, j’ai mes tracas).

Aussitôt, elle cesse de renauder et je raccroche. Les coquelicots sont de toute beauté. Enormes, un peu pavots. C’est délicat comme fleurs. Toutes les champêtres ont une fragilité pudique. Les églantines, les boutons-d’or, c’est bernique pour la mise en vase. Les foins poussent. A peine l’hiver barré, la nature répond «présent». On vit dans des régions tempérées qui stimulent la végétation.

Je regarde onduler les herbes dans la brise du matin. J’ai une pensée ardente pour les petits garçons morts si atrocement. Je les crèverai tous, leurs bourreaux, parole! Bon, j’ai voté pour la suppression de la peine de mort, et je suis prêt à recommencer, mais si je refuse la loi du talion à la société, je me l’accorde à moi. La société doit garder les mains propres; moi, non. C’est mon problo, ma conscience.

Le voyant de mon biniou palpite. Il a pas traîné, le Rouquemoute.

— Heureux de vous entendre, commissaire! débite-t-il. Je commence à devenir fou, tout seul dans cet appartement maudit. J’ai beau me consacrer à mes analyses, je ne parviens pas à chasser de mon esprit les atrocités qui y furent commises.

— Je te comprends, Blondinet. Personne ne s’est plus manifesté?

— Non.

— Alors casse-toi. Tu connais Mériflour-le-Bas?

— J’y ai campé à l’époque où je faisais du cyclotourisme avec ma femme, nous n’avions qu’un gamin à l’époque.

Je lui dis de s’y rendre et de rejoindre la Pine au Chenil du Grand Lavoir, en lui précisant ce que la Vieillasse est en train d’y faire. Je lui fais part de mes épouvantables suppositions et lui ordonne de procéder à des investigations pour vérifier si elles sont fondées.

— Pendant que tu y seras, et si c’est positif, fais un peu de sérum de vérité aux époux Manzardin; il faut en profiter pendant qu’ils sont à notre complète disposition car, une fois livrés au juge d’instruction, ce sera trop tard.

— Entendu.

— Ensuite tu iras rejoindre Béru à Menuet-le-Roi, qui se trouve dans le même coin. Une dame est enfermée dans un laboratoire dont j’ai saccagé la porte. Elle ne peut en sortir car toutes les fenêtres sont garnies de barreaux. Arrangez-vous pour pénétrer dans la maison d’habitation et commencez à fouiller.

— A vos ordres, commissaire.

Un collaborateur aussi docile, tu peux fumer! Mari unique, poulet unique! Mathias, c’est le gazier type qu’il conviendrait de canoniser un jour, pas que j’oublie d’en parler à Sa Sainteté!

Notre prise de congé est bouffée par le vrombissement d’un avion de tourisme qui passe deux cents mètres au-dessus de moi.

Je sonne le P.C. de la volante.

— Commissaire San-Antonio, avez-vous du nouveau?

— Rien encore, il faut que tout se mette en place, monsieur le commissaire.

— N’attendez pas que mon gars soit à Saint-Jean-de-Luz pour poser vos collets!

La placidité indifférente des pandores me coupe les bras. Pour eux, c’est une besogne, tu comprends? Comme soudeur à l’arc ou mareyeur. Y a pas de raison qu’ils fassent des infarctus chaque fois qu’on leur demande de coiffer un forban. Y a que mézigue pour avoir la rate au court-bouillon quand je tente de pêcher un requin!

Bon, en route. Mais pour où? Maintenant que mon médecin maudit possède près d’un quart d’heure d’avance, j’ai le bonjour d’Alfred!

J’embraye sans conviction. J’aurais aussi bon compte d’effeuiller des marguerites en attendant qu’on m’appelle. J’opte pour la route de gauche, simplement parce que je distingue des maisons groupées à quelques encablures.

Lorsque je les atteins, je constate qu’il s’agit d’un énorme corps de ferme avec des chiées de granges, d’écuries, de hangars… Mais personne en vue.

Alors, bon, casse la tienne, comme dit Béru: je poursuis mon errance, de cette allure qu’empruntent les dimanchiers quand ils investissent l’Ile-de-France ou le Vexin.

Mon estomac gargouille. Je prendrais bien un gros petit déje, avec un bol empli ras bord, tartines de pain de campagne beurré, larges comme des feuilles de nénuphars. Mais je crains que les pandores ne m’appellent pendant cette pose-caoua.

Encore une dizaine de kilomètres dans le printemps. De gros bourdons poilus font la ramasse du pollen le long des haies, ces goinfres. Le miel, eux, fume!

Vadrouille faisant, je parviens à l’orée d’une grande plaine immobile et sans voix. Une plaine vide, si j’ose risquer cette exquise boutade qui devrait normalement faire marrer un bossu. A l’autre bout de cette étendue plate, j’aperçois quelques hangars d’avions aux toitures arrondies et des biroutes de couleur flottant au sommet de mâts. Un aéro-club. Un bout de tour de contrôle… Une guitoune servant de bar et peut-être de bureau. Un parking cerné d’une barrière blanche. Et alors, oui, alors, mon cœur délicat ne fait qu’un tour, mais quel! N’avisé-je pas, stationnée parmi d’autres véhicules, une petite tire rouge? La distance ne me permet pas de déterminer s’il s’agit d’une Mini. Dans le doute je fonce.

Au fur et à mesure (comme dit mon tailleur) que je m’approche du terrain d’aviation, la certitude se fait. Pas d’erreur, il s’agit bien de la chignole du docteur. Mais alors, ce zinc qui, il y a un instant, est passé au-dessus de moi? Etait-il piloté par Skinézi? C’est ce que tu penses également, Clément?

Pas de doute: voilà bel et bien la Mini qui m’a semé. Je laisse ma pompe à son côté pour foncer au club-house. J’entre; c’est une petite salle avec un bar, quatre tables, des trophées en tout genre sur les murs: coupes et fanions. Un poste de téloche est fixé dans un angle de la pièce, à deux mètres cinquante. Des photos d’aviateurs célèbres garnissent le bar. A part ces héros, je ne vois personne. J’attends un poil de seconde que j’estime trop long et vais pousser la porte qu’une plaque émaillée qualifie de «service». Je me trouve en face d’un solide quinquagénaire aux cheveux gris et au teint hâlé, portant une veste écossaise dans les tons beige Mitterrand; quinquagénaire devant lequel une dame est agenouillée. Un bref instant, je crois qu’elle est en train de recoudre un bouton de sa braguette, mais son mouvement de nuque régulier infirme cette proposition et force m’est d’admettre qu’elle lui cisèle une pipe de toute beauté. Le monsieur m’adresse une mimique d’excuse d’abord, puis de supplication.