Quand je rallume mes lampions, j’aperçois Stanislas Gude par la baie vitrée qui marche rapidement vers un hangar.
— Alors vous êtes commissaire? demande l’angélique Mathilde.
Elle a cette dolence qui m’excite chez certaines. Un peu conne et molle, mais avec un je-ne-sais-quoi qui vous flanque l’envie de se la faire illico.
— A ton service, Mathilde chérie, je réponds. Ainsi, M. Stanislas vient t’aider à faire l’ouverture, le matin?
Elle rougit, son regard ondule.
— Pas tous les jours, bredouille l’évanescente.
— Démarrer la journée par une belle pipe comme tu lui en as taillé une, ça prédispose.
— Il vous l’a dit? sursaute-t-elle.
— Non, je l’ai vu, mais je me suis retiré pudiquement.
Je souris.
— Approche!
Follement docile, ou alors, disons-le: subjuguée, elle s’approche. Je faufile ma sinistre sous sa jupe puisque je tiens de la dextre ma deuxième tartine.
— J’étais certain que tu ne portais pas de culotte, Mathilde.
— Vraiment?
— Oui, vraiment. T’es une vraie gonzesse, juteuse comme je les aime. Dommage que je sois sur le pied de guerre, sinon je t’embroquerais sur une table. Je pratique une botte secrète phénoménale, soit dit sans me vanter. La tringlette du siècle, avec l’accompagnement au complet. Si je t’entreprenais, tu filerais droit à l’extase, ma poule. Je te ferais chanter la chatte, douée comme je te sens.
— Ben, il faudra revenir, déclare-t-elle simplement. Un lundi, par exemple. Le lundi, M. Stanislas ne vient jamais.
J’enregistre l’invite.
— O.K., je me rabattrai ce prochain lundi, et après ma visite tu pourras prendre un de ces bains de siège que préconise la mère Rika Zaraï dans son traité de botanique. Et faudra pas chialer la fleur de coriandre ou de perlimpinpin si tu veux pouvoir t’asseoir avant la fin du septennat. Tu m’excites tant tellement que je te ferai fumer le fion kif un volcan réveillé en sursaut.
Elle halète, la tendre femme. Clôt à demi les yeux. Roucoule du nez. Une fois lancée sur son orbite, elle doit payer, la gueuse! Son et lumière sur l’accroc de Paul, comme dit le Gravos. Du tout grand orgasme avec défilé des majorettes. C’est bon de se poser des jalons, dans la vie. Ça balise, aide à avancer. Ainsi gagne-t-on son ciel ou son néant par sauts de puce (voire de pucelage) d’un pied sur l’autre, d’un pied à l’autre. On se fait des promesses, on s’organise des croisières dans le frifri des belles. Je sais que lundi prochain y aura grande représentation solennelle de mister Dupaf aux miches de dame Mathilde, et ça vaut toutes les réceptions à l’Elysée, Jacques Attali me le disait l’autre jour.
— Paré! annonce Stanislas Gude en passant sa belle tronche par l’entrebâillement.
— J’arrive.
Je roule une brève galoche à Mathilde.
— Je te dois combien pour le brique faste?
— Vous me réglerez lundi.
Elle me tient avec une dette, la rouée. Elle a tout de suite pigé que j’étais honnête.
On glisse sur du velours. Le ciel étincelle. Temps à autre, Gude dégoise un truc plus ou moins codé à je ne sais qui dans son crachoir à trous.
Je l’ai mis au fait de l’enquête, entraîné par un irrésistable courant aérien de sympathie.
Outré, il est.
Il me parle de ses enfants qui se mettent à lui fignoler des petits-enfants: tous mâles! Bravo!
— Vous êtes doué pour les maths? l’interromps-je.
— Il en faut un peu quand on est passionné d’aéronautique.
— Mettons que Skinézi possède une demi-heure d’avance sur nous et qu’il se rende à Southampton, est-il pensable, vu la différence des zincs, que nous y parvenions en même temps que lui?
— Vous rigolez: nous y serons bien avant lui. Il se déplace à 140 à l’heure avec son monomoteur, et nous à 700 avec notre jet; logiquement on devrait lui flanquer plus d’une heure trente dans la vue.
— Fasse le ciel qu’il aille bien à Southampton.
— Si on l’a repéré au-dessus de Lisieux, c’est qu’il filait sur l’Angleterre. S’il filait sur l’Angleterre, c’est pour se poser là où il a l’habitude de se rendre, logique?
— Ça le paraît. Mais sait-on jamais?…
— Bien sûr, sait-on jamais.
— Pouvez-vous demander par radio à mes services s’il y a du nouveau à son propos?
Stanislas opine. Il branchouille, clabatouille et me passe le casque.
— Branché! A vous!
J’obtiens la voix virile du lieutenant Jolicœur. Non, R.A.S., on n’a plus capté le Cessna nulle part, mais c’est presque normal car ces légers coucous ne laissent pas chouille de trace sur l’écho radar; et il est probable que mon «client» vole assez bas. S’il plafonne au-dessous de cent mètres, y a rien à espérer question repérage.
Bon, merci. T’as pas un frein que je le ronge? J’ai fini le mien.
Stanislas Gude jacte encore dans son micro. Puis interrompt le contact.
— Vous connaissez l’aéroport de Southampton? je lui demandé-je.
— Naturellement. D’ailleurs, j’y ai conduit le docteur Skinézi un jour que son coucou était à la révision.
— Ah! bon. Racontez voir un peu, cher monsieur et déjà un peu ami.
— Eh bien, un matin il arrive au club, très affairé, court à son hangar et trouve son zinc décarpillé avec deux types en train de le désosser. Le voilà qui fait un foin du diable car cette révision n’avait été prévue que pour le lendemain, mais pour une raison de dispatching, on avait dû l’entreprendre avec vingt-quatre heures d’avance. Jamais je n’avais vu ce petit bonhomme dans un tel état. «Je dois être à Southampton avant midi. Avant midi, vous m’entendez!» trépignait-il. Pour le calmer, je lui ai proposé de l’y conduire avec mon propre avion. Ça l’a calmé et il a accepté.
— Une fois à Southampton, l’avez-vous attendu?
— Bien sûr. Il m’a demandé de l’attendre dans une auberge ancienne des environs et m’a offert un copieux déjeuner.
— Il est resté longtemps absent?
— Un peu plus d’une heure. Il avait pris un taxi.
Je réfléchis chouchouillet.
— Avait-il un bagage?
— Oui: une sorte de beauty-case carré qui paraissait très lourd pour son faible volume.
— Il y a, je pense, un service des douanes à Southampton?
— Naturellement, mais très relâché pour les gars d’aéro-clubs comme nous. Il n’intervient que si nous débarquons avec des paquets. Le paquet rend le douanier fiévreux sous toutes les latitudes.
Il interrompt notre converse pour exprimer des renseignements à des tours de contrôle.
Et moi, je mate l’horizon infini sous le soleil dans lequel nous glissons presque silencieusement. Moelleux comme sensation, suave. Je ferme les yeux pour savourer. Et puis cela se déguise en sommeil. Mais en sommeil conscient. Tu sais? Tu roupilles tout en gardant le contact avec la réalité. Tu sais où tu te trouves et en compagnie de qui, mais malgré tout, tu en écrases et des rêves se superposent à la notion de réel.
Je m’imagine très bien à je ne sais combien de pieds d’altitude, piquant sur l’Angleterre; pourtant je dors, pourtant je rêvasse… Je vois le frigo tragique dans la grande armoire de ce sadique, rue de Rennes; les restes effroyables de l’enfant saccagé. La chaîne au mur, les éclaboussures… La grande broyeuse du chenil, et les fauves écumants aboyant à tout-va. Je vois la femme de Vazimou-le-Grand, la collaboratrice du docteur Skinézi, inquiétante. Un regard qui m’incommodait. Et puis le petit docteur qui n’a pas l’air d’un docteur et qui drive son zinc, en ce moment, quelque part sous nous. Une association, pis que de malfaiteurs: une association de monstres.