«V’là les notaires morts d’honte. Qu’esclament comme quoi, l’paysan d’à côté fait rien qu’à laisser traîner des déchets inavouables que leur loulou s’empresse de mastéguer quand il sort faire son angélique pissou. La notaresse cramponne le cador-fanfreluche et le virgule au jardin. Bon, l’incendie est clos. Quand voilàlà-t-il pas qu’y m’arrive une nouvelle vague. Autant en apporte l’auvent, mon pote! Une complète Berezina. Moi, affolé, j’me chapitre à outrance. J’m’exode! Me supplille. Je m’prends aux parties. Me parle les yeux dans les yeux. «Alexandre-Benoît, t’as utilisé ton joker; doré de l’avant, tu n’peux plus t’permett’d’loufer. Si tu largues c’nouveau pet, t’es banni à vie d’chez l’notaire!» Et d’me coincer la nusse, d’m’la rend’ étanche comme si ça s’rait le couverc’d’un sous-marin! S’l’ment l’homme propose et le trou du cul dispose! Un vent de force 5, c’est pis qu’la toux. Tu peux pas l’réprimander. Quand y veut aller vive sa vie, faut qu’il aille. J’en bichais mal au cœur d’à force de me coincer l’fion. L’impression comme quoi j’allais mourir, en tout cas fulgurer dans mon bénoche.
«Et là, alors, viens pas m’dire qu’la Providence existe pas, je te croiererais pas, Tonio. Juste à l’instant que j’allais larguer les calamars, qu’est-ce j’vois? Le toutou qui gratte à la porte-fenêt’! «Permettassiez, j’écrie en bondissant, y m’fend l’cœur, c’t’amour.» Et j’l’ouv’. Y n’était qu’temps, ma nuée ardente a déferlé su’l’salon. Tous les trois, on a égosillé que, décidément, fallait qu’y soye malade, Loloche, pour continuer à nous empoisonner pareillement. L’notaire a téléphoné au véto de Vaux-le-Gaillard, et moi je leur ai pris congé rapidos d’un air dégoûté; que mercille beaucoup pou’la Verveine; ell’n’était point d’trop, vu les monstres gerbes qui vous prenaient chez eux!»
Bérurier rit immense.
Il se tord un peu en biais comme s’il entendait placer un échantillon de ses bulles puantes. Mais le souffle lui manque et il sursoit à ce projet.
— J’eusse aimé t’montrer, par curieusité, me déclare-t-il d’un ton marri, mais j’sus en cale sèche.
— Ce sera pour une autre fois, le rassuré-je. Avec toi, on n’attend jamais très longtemps ce genre de performance.
— C’est vrai, il admet. J’sus sûr qu’si je boirais une p’tite bière, j’redeviendrais performant.
Puis, changeant de converse avec ces sautes d’humeur qui lui sont familières:
— T’as pas l’air joyce, mec. Peines d’cœur?
— Non; mais je crois bien que j’ai tué un homme.
Il hausse les épaules.
— C’est des choses qu’arrivent. Tout l’monde peuvent pas êt’ moine et passer sa vie en prières. Ce gus, tu l’as repassé au soufflant, en bagnole, à la dérouille?
Je lui raconte l’affaire du petit Toinet et de son sadique.
Le Vigoureux serre ses deux grands poings de bœuf marqués de roux.
— C’est ça qu’t’appelles tuer un homme! Hé dis, t’s’rais pas en manque d’couilles, ces temps? J’eusse été à ta place, le gars, j’en faisais un hamburger!
Je vais à la fenêtre. On voit la Seine, façon carte postale. Elle fait plus vieux que son âge, aujourd’hui. Quand un glandu vient pas empaqueter ses ponts pour épater le touriste, elle redevient lutécienne, la chérie. Un bateau-mouche, blanc et plein de vitrures, passe avec son chargement de tordus. Je perçois la voix dans le haut-jacteur qui annonce:
«Sur notre gauche, méhames, messieurs, la Préfecture de Police que les Enquêtes du Commissaire Maigret ont rendue célèbre dans mon dentier!»
Elle pourrait ajouter: «Et à cette fenêtre, la silhouette du commissaire Santantonio (ils mettent tous un «t» à mon San) qui s’emploie à fond pour que les maris ne soient pas, le soir venu, harcelés par leurs épouses…»
— Dis voir, Gros, tu viens avec moi?
— Où-ce?
— Chez le sadique de Toinet. Il a peut-être de la famille qu’on devrait prévenir.
Le Bonhomme Lalune ricane.
— Toi et ta conscience, vous m’faites une sacrée paire de zozos! T’as tout pour d’venir un vrai battant, mec, mais les escrupules te minent; c’est pourtant facile à viv’la vie, non?
— Cela dépend pour qui, Gros.
— Tu d’vrais t’marida et avoir un bébé, comme nous. Apollon-Jules, c’est fou c’qu’y nous remplit l’existence, moi et Berthe. Même qu’il soye en pension chez toi, la vie est changée d’puis qu’y s’est pointé, c’tordu!
Rue de Rennes.
«La concierge est dans l’escalier», annonce le fatidique panneau. Peut-être, mais pas dans celui de l’immeuble. Toujours est-il qu’on grimpe jusqu’au cinquième puisque, selon le tableau des locataires, c’est à cet étage que créchait René-Louis Blérot.
L’immeuble est ancien, pas mal tenu, avec des plantes en pot entre chaque étage, sur des petits bancs de bois blanc.
Au cinquième, deux portes. Devant l’une d’elles, un paillasson de luxe porte le monogramme «F G»; ces initiales ne concernant apparemment pas René-Louis Blérot, c’est donc à l’autre que je sonne. Personne ne répond. J’y vais d’un récital complet de ta tagadagada tsoin tsoin, tout aussi inefficace.
Bérurier lève un regard glauque sur ma perplexité.
— Y d’vait exister seul, ton gazier, tu voyes?
J’opine.
— On se casse?
J’acquiesce.
Redescends un étage. Et le fichtre-foutre me chope comme une envie de baiser quand tu voyages en chemin de fer.
Me voilà qui remonte l’escadrin six à six. Je suis à nouveau devant la porte sans que Sa Majesté n’ait bronché sa masse prépondérante.
Sésame, ouvre-moi!
Trois serrures! Des coriaces. L’air de rien, mais qui ne se laissent pas tutoyer facilement. J’escrime dessus avec mon bistinguet farceur. Y en a une, charogne, qui rétive salement. Qu’un instant je crois devoir renoncer, et puis je m’aperçois qu’elle a été posée à l’envers, et que plus je tentais de l’ouvrir, plus je la fermais.
Ouf! nous voici dans l’apparte.
Bon appartement.
Chaud.
Bonaparte Manchot! (air connu dans toutes les maternelles de France et limitrophes).
Le classique couloir pourvu de lambris, avec, jusqu’à mi-hauteur, de la tapisserie fanée, à rayures verdâtres. Une double porte vitrée face à l’entrée, la cuisine et les chiottes à droite, les chambres à gauche.
On commence par le séjour. Des pièces commak, j’en ai fréquenté des chiées, voire même davantage. Le mobilier Louis-Philippard, les napperons troués, la cheminée de marbre avec sa pendulette baveuse. Les tableaux plus pompiers que la caserne Champerret. Les rideaux à grosses mailles ornés d’un médaillon représentant des amours joufflus comme le cul de Béru. Le parquet ciré. Le piano droit, noir, funèbre, flanqué de deux porte-bougies de bronze. Probable qu’il est né dans ce logis, René-Louis le sadique. Il a fait ses devoirs sur la table ovale maintenant surchargée de rames de papier, de manuscrits, de stylos et d’une machine à écrire fatiguée. Je vais feuilleter la paperasse. Suis vite renseigné: littérature érotique à haute tension. Les Papesses du Vice, roman de Raoul-Léon Bloirat (chacun prend le pseudonyme qu’il trouve). Plus de carottes pour Sœur Mathilde (scénario). Les cinq violeurs de Miss Simson (scénario). Dépravation (poèmes). Enfonce, Alphonse (comédie burlesque). Je jouis! (souvenirs d’un sadique)…