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Dure épreuve! Maintenant, il faut découvrir la femme, d’urgence, pour stopper ses crimes.

Allez, Sana, mon pote, du cran!

Le petit garçon loucheur s’appelait Jérôme Couchetapiana et ses parents tiennent une pizzeria dans le treizième. Avant que d’aller voir, je suis passé jeter un regard au dossier. Le môme a disparu dix-huit jours plus tôt. Un mercredi. Il allait jouer dans un square avec ses potes du quartier, et puis il n’est pas rentré a maison. La famille étant nombreuse (il a huit frères et sœurs) et le service du soir mobilisant les adultes, son absence n’a été signalée que très tard au commissariat. Ses camarades de jeu, interrogés, déclarèrent l’avoir vu en conversation avec une jeune femme brune au cours des mercredis précédents. Une femme qui promenait un bouledogue noir ressemblant à un gros crapaud. Le chien avait attiré l’attention de Jérôme qui adorait les animaux et que la laideur de ce clébard fascinait. En apprenant ce détail, j’ai une poussée d’allégresse parce qu’il va faciliter les recherches. Qu’aussitôt je mets des hommes au charbon afin qu’ils visitent tous les clubs de bouledogues de la région parisienne et prennent note de leurs adhérents, car il est fréquent que les propriétaires de chiens aussi particuliers appartiennent à des clubs.

Tu le vois, c’est le déploiement policier classique, d’envergure. En général j’agis plutôt en solitaire, de façon ponctuelle, en me fiant à mon pif; mais là, le temps presse. Et je préfère recourir aux solides méthodes éprouvées.

Lorsque je me pointe chez les Couchetapiana, le service du soir commence. Clientèle d’étudiants. Y a du brouhaha dans la taule. Affaire familiale, ça saute aux yeux. Papa est au four à tartes et maman au moulin à fric. La sœur aînée (qui ressemble trait pour trait à son père), et le fils cadet (portrait de sa mère), assurent le service. Et je suis prêt à te parier ton slip merdeux contre un portrait en couleurs naturelles de Le Pen (à jouir) qu’à la plonge on trouverait deux ou trois cousins de Napoli ne parlant pas une broque de français.

J’aime bien les mafias familiales. Elles sont réconfortantes et les gens sont cons qui ne pigent pas que le clan est l’une des dernières forces restant à la disposition des hommes en ces temps de chiasse à marée haute.

Je m’installe avec sa Divine Majesté et on se commande deux pizzas Napoli ainsi qu’une bouteille de chianti. Tout de suite, t’as une impression de vacances.

Padre Couchetapiana, illuminé par les lueurs voraces de son four, sue dans son tee-shirt blanc. Il a un torchon noué au cou et un curieux calot américain, amidonné, sur sa tronche frisée. Il pizze à tout-va, coulant parfois un regard vigilant sur la clientèle.

Sa dadame a installé une poitrine de quarante kilogrammes sur le tiroir de sa caisse-enregistreuse. Temps à autre, elle se soulève un nichon pour déposer ou prendre de la fraîche. Elle a de la moustache, des frisotteries, une robe noire avec une jaquette vert pomme et elle a appliqué son rouge à lèvres avec une truelle. Un air de profonde tristesse marque son visage.

La fille aînée porte une jupe noire et une veste spencer blanche. C’est elle qui nous sert. Affairée, la môme. Boulot, boulot! Pas élevée à la feignardise, espère! Il les fout au charbon, ses chiares, le Couchetapiana, sitôt qu’ils sont en âge. Des abeilles, ces Ritals. Quand j’étais môme, ma grand-mère les déclarait paresseux! Coince-bulle tout-terrain! Tu parles. Les Chinois et les Arménoches mis à part, cite-moi des gonziers capables de gratter davantage! Vas-y, j’attends!

Béru clape sa Napoli en moins de jouge et déclare que cet amuse-gueule l’a mis en verve stomacale; alors il commande une Roma, histoire de remonter la botte gastronomiquement. C’est un beau parcours. Je suis sûr qu’il se farcira la Firenze, en troisième position, pour terminer par la Milanese.

Quand la serveuse lui dépose sa deuxième pizza, je lui montre discrètement ma brème poulardine. Elle sourcille.

— Il y a du nouveau?

— Plus ou moins. J’aimerais vous parler, mais ce n’est pas la peine de mêler votre maman à cette discussion qui lui remuerait le couteau dans la plaie.

— Après le service?

— D’accord. J’ai une Maserati blanche stationnée dans l’impasse, au bout de la rue, vous pourrez m’y rejoindre?

Elle marque un mouvement d’inquiétude.

— Si cela ne vous convient pas, trouvons-nous au commissariat du quartier.

Son regard sombre me jauge. Faut croire que je lui inspire confiance car elle murmure:

— Non, d’accord, je viendrai.

Mon bigophone grésille pendant que je poireaute au volant de mon bolide. Béru, bourré de pizza, avec les dents du fond qui baignent dans le chianti, roupille à l’arrière de ma tire. Je décroche. C’est Mathias.

— Commissaire?

— Soi-même.

— Simplement pour vous dire que quelqu’un essaie d’appeler Blérot depuis une heure. Toutes les dix minutes il fait une tentative.

— Comment le sais-tu puisque tu as ôté le ronfleur?

— Il se produit tout de même un léger clic d’enclenchement, très perceptible.

— Bonne nouvelle, peut-être le poisson s’apprête-t-il à mordre; ouvrez l’œil!

— Autre chose, commissaire.

Là, sa voix s’altère.

— Vas-y.

— J’ai procédé aux analyses du sang qui souille la moquette et les chaînes. J’ai dénombré déjà huit groupes ou classifications différentes.

Misère! Huit mômes trucidés par ces monstres! Comment diantre ont-ils pu agir si souvent et en toute impunité?

— Ce n’est pas tout, commissaire: j’ai trouvé le sac qui servait à évacuer les restes des pauvres gosses. Un grand fourre-tout de cuir avec des bretelles; il se trouvait au-dessus de la garde-robe. Il contient des plastiques maculés de sang, avec des particules de chair et des touffes de cheveux. Commissaire, je n’ai jamais été confronté à une telle abomination. Quand on a des enfants on…

— Même quand on n’en a pas, Mathias! C’est pourquoi, si la gonzesse se pointe, ne me la ratez pas, surtout.

— Impossible, j’ai pris mes dispositions.

— On peut savoir?

— Au-dessous du judas de la porte, j’ai percé un trou par lequel je lâcherai un jet de soporifique à effet instantané. Mon attirail est prêt. Une détente à actionner et trois kilos de pression agissent. Je pourrais endormir dix personnes sur le palier simultanément.

— Parfait, je vois que tu ne perds pas de temps.

C’est juste avant ma réplique que la silhouette de l’aînée des Couchetapiana s’inscrit à travers ma vitre. Je raccroche et ouvre la porte côté passager.

— Montez, mademoiselle.

Elle s’est faite belle: jean et sweat-shirt plus du parfum patchouliesque et une nouvelle tartine de fard. Ma bagnole se met à fouetter le rayon parfumerie d’une grande surface.

Cela dit, elle n’est pas mal, la môme. Beauté du diable, tu sais? Un regard vif, un petit air hardi et pudique comme les jeunes filles seules sont capables d’en avoir un. Une provocation qui s’ignore. Faudrait jouer les Pygmalion avec cette petite frangine. La prendre en main. La sabouler autrement, lui enseigner des trucs élémentaires. Rien de plus exaltant que de façonner une femme. Lui ôter ses coiffures connes, ses fringues de mauvais goût, ses scories de langage. Et puis la recommencer doucement, en lui expliquant le comment et le pourquoi des choses. Elles pigent si bien, ces greluses! Elles sont tant tellement douées, toutes, quand elles en tiennent pour leur éducateur. N’importe qui, elles l’enverraient chier directo. Mais le matou qui les tire, alors là c’est l’archisoumission. Leur côté pute, tu comprends?