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- Qui est qui, parmi ceux-là ? demanda Fandorine en montrant par la fenêtre les employés.

Lialine entreprit de le lui expliquer :

- Le gros à casquette, c'est le surveillant. Il vit hors de l'enceinte du cimetière et n'est pas concerné par l'activité de l'institut médico-légal. Il est parti hier à cinq heures et demie et est arrivé ce matin, un quart d'heure avant vous. Le grand souffreteux, c'est l'assistant de Zakharov, son nom de famille est Groumov. Lui aussi vient d'arriver de chez lui. Celui qui baisse la tête, c'est le gardien. Les deux autres sont les ouvriers. Ils creusent les tombes, entretiennent le mur d'enceinte, sortent les détritus, etc. Le gardien et les ouvriers logent ici, à côté du cimetière, il se peut qu'ils aient entendu quelque chose. Mais nous n'avons pas mené d'interrogatoire détaillé, nous n'avions pas d'ordre.

Le conseiller de collège s'entretint lui-même avec les employés.

Il les convoqua dans la maison et en premier lieu leur montra le Coït :

- Vous le reconnaissez ?

L'assistant Groumov et le gardien Pakhomenko témoignèrent (Lialine le nota au crayon dans le

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procès-verbal) avoir déjà aperçu l'arme - ou bien une autre exactement semblable - chez le médecin. Quant au fossoyeur Koulkov, il ajouta qu'il n'avait jamais vu le " rigolvert " de près, mais qu'en revanche, le mois précédent, il était allé regarder " m'sieur le docteur " tirer les freux, et que le spectacle valait le coup d'oil : chaque fois qu'il en prenait un pour cible, il n'en restait que des plumes.

La nuit passée, les trois coups de feu du secrétaire de gouvernement Tioulpanov avaient été entendus du gardien Pakhomenko et de l'ouvrier Khrioukine. Koulkov dormait, ivre mort, et le bruit ne l'avait pas

réveillé.

Ceux qui avaient entendu les tirs déclarèrent avoir eu peur de sortir de chez eux : savait-on tous les brigands qui traînaient dehors la nuit, et puis il n'y avait pas eu, semblait-il, d'appels au secours. Khrioukine s'était rendormi bientôt après, mais Pakhomenko avait continué de veiller. Selon ses dires, immédiatement après les coups de feu, une porte avait claqué violemment et quelqu'un était passé très vite, qui se dirigeait vers le portail.

- Quoi, vous tendiez l'oreille ? demanda Fando-rine au gardien.

- Et comment ! répondit celui-ci. Ça canardait, n'est-ce pas ? Et puis je dors vilainement la nuit. Toutes sortes d'idées viennent me traverser la cervelle. J'ai pas cessé de me retourner jusqu'au point du jour. Dites voir, m'sieur le général, c'est-il bien vrai que le jeune gars aurait trépassé ? Lui qu'avait l'oil si vif, et puis qu'était si aimable avec les petites

gens...

Le conseiller de collège était connu pour être toujours courtois et indulgent avec ses inférieurs,

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cependant cette fois-ci Lialine crut tout bonnement avoir affaire à une autre personne. Aux touchantes paroles du gardien, le fonctionnaire ne répondit rien, non plus qu'il ne manifesta le moindre intérêt à ses pensées nocturnes. Il lui tourna brusquement le dos et jeta par-dessus son épaule aux témoins :

- Allez. Interdiction à chacun de quitter le cimetière. On peut avoir besoin de vous. Et vous, Grou-mov, veuillez rester.

Ça par exemple, on aurait dit qu'on vous avait changé l'homme !

Fandorine demanda à l'assistant, qui battait des paupières, la mine effarée :

- Qu'a fait Zakharov hier soir ? Et soyez précis. Groumov écarta les bras d'un air coupable :

- Je ne peux pas vous dire. Igor Willemovitch était hier de très mauvaise humeur, il jurait sans arrêt, et après le repas il m'a donné l'ordre de rentrer chez moi. Je suis donc parti. Nous ne nous sommes même pas dit au revoir : il s'était enfermé dans son bureau.

- " Après le repas ", c'était à quelle heure ?

- A quatre heures, monsieur.

- " A quatre heures, monsieur ", répéta le fonctionnaire.

Il hocha la tête bizarrement et se désintéressa aussitôt de l'assistant souffreteux.

- Vous pouvez disposer.

Lialine s'approcha du conseiller de collège et toussota avec discrétion.

- J'ai ébauché ici un signalement de Zakharov. Souhaitez-vous le lire ?

Le nouveau Fandorine ne jeta pas même un coup d'oil à la description si excellemment rédigée, il

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refusa d'un geste. Il était assez mortifiant d'observer un tel manque de considération pour le zèle déployé dans l'intérêt du service.

- Ce sera tout, déclara le fonctionnaire d'un ton sec. Je n'ai besoin d'interroger personne d'autre. Vous, Lialine, filez à la clinique Notre-Dame-de-la-compassion, à Lefortovo, et ramenez-moi, rue de Tver, l'infirmier Sténitch. Syssouiev, de son côté, se rendra quai Iakimanskaïa, pour prendre Bouryline, l'industriel. C'est urgent.

- Mais que fait-on pour le signalement de Zakha-rov ? demanda Lialine, un tremblement dans la voix. Nous allons sans doute lancer un avis de recherche ?

- Non, nous n'allons pas... répondit Fandorine d'un air distrait, plongeant le vieux briscard dans une absolue perplexité.

Puis il s'éloigna d'un pas vif en direction de son fabuleux équipage.

Le fonctionnaire trouva Védichtchev qui l'attendait dans son bureau de la rue de Tver.

- Dernier jour, dit sévèrement l'éminence grise du prince Dolgoroukoï en guise de salutation. Il faut retrouver cet Anglais malade. Le retrouver et en informer qui de droit. Autrement, vous savez...

- Mais dites-moi, Frol Grigoriévitch, comment êtes-vous au courant pour Zakharov ? demanda Fandorine, sans paraître au demeurant particulièrement surpris.

- Védichtchev sait tout ce qui se passe à Moscou.

- Il conviendrait alors de vous inclure vous aussi dans la liste des suspects. Vous posez bien les ven-

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touses à Sa Haute Excellence et lui faites même des saignées ? Par conséquent vous n'êtes pas novice dans l'art de la médecine.

La plaisanterie fut toutefois prononcée d'une voix terne. Il était évident que le fonctionnaire pensait à tout autre chose.

- Anissi, hein ? soupira Védichtchev. Pour un malheur, c'est vrai, c'est un malheur. Un garçon intelligent, de la cervelle à revendre... Qui était promis à aller loin.

- Vous feriez mieux de rentrer chez vous, Frol Grigoriévitch, rétorqua Fandorine, manifestement peu disposé ce jour-là à s'abandonner au sentimentalisme.

Le valet de chambre fronça ses sourcils gris-bleu d'un air outragé et opta pour le ton officiel :

- J'ai reçu ordre, Votre Haute Noblesse, de vous informer que le comte ministre est reparti ce matin pour Saint-Pétersbourg de fort mauvaise humeur et qu'il s'est montré avant son départ extrêmement menaçant. J'ai également ordre d'établir si l'enquête sera bientôt terminée.

- Très bientôt. Transmettez à Sa Haute Excellence qu'il me reste encore à interroger deux personnes, à recevoir une dépêche télégraphique et à opérer une petite sortie en ville.

- Eraste Pétrovitch, par le Christ Notre Seigneur, en aurez-vous fini pour demain ? demanda Védichtchev d'une voix soudain suppliante. Autrement, nous sommes tous perdus...

Fandorine n'eut pas le temps de répondre, car à cet instant précis l'officier d'ordonnance frappa à la porte et annonça .

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- Les prisonniers Sténitch et Bouryline sont arrivés. Ils sont gardés chacun dans une pièce différente, conformément à vos instructions.

- D'abord Sténitch, commanda le fonctionnaire à l'officier, puis il se tourna vers le valet de chambre en lui désignant la porte d'un mouvement du menton. Voilà le premier interrogatoire dont je parlais. Allez, Frol Grigoriévitch, retirez-vous, le temps me