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Berner Street à Londres ; de la prostituée Catherine Eddowes, assassinée le même 30 septembre, dans Mitre Square à Londres ; de la prostituée Mary Jane Kelly, assassinée le 9 novembre 1888 dans Dorset Street à Londres ; de la prostituée Rosé Mylett, assassinée le 20 décembre 1888 dans Poplar High Street à Londres ; de la prostituée Alexandra Zotova, assassinée le 5 février 1889 passage Svinine à Moscou ; de la mendiante Maria la Bigle, assassinée le 11 février 1889 passage des Trois-Saints à Moscou ; de la prostituée Stepanida Andréitchkina, assassinée dans la nuit du 4 avril 1889 rue Seleznevskaïa à Moscou ; d'une jeune mendiante, mineure non identifiée, assassinée le 5 avril 1889 près du passage à niveau de la rue Novo-Tikhvinskaïa à Moscou ; du conseiller aulique Léonti Ijitsyne et de sa femme de chambre Zinaïda Matiouchkina, assassinés dans la nuit du 6 avril 1889 rue Vozdvijenka à Moscou ; de la demoiselle Sofia Tioulpanova et de sa gouvernante Pelagueia Makarova, assassinées le 7 avril 1889 rue des Grenades à Moscou ; enfin du secrétaire de gouvernement Anissi Tioulpanov et du médecin Igor Zakharov, assassinés dans la nuit du 8 avril 1889 au cimetière de la Maison-Dieu à Moscou ? En tout dix-huit personnes, dont huit ont été tuées par vous en Angleterre, et dix en Russie. Et ce ne sont là que les victimes recensées par l'enquête. Je répète ma question : vous reconnaissez-vous coupable de ces meurtres ?

La voix de Fandorine semblait s'être affermie à la lecture de la longue liste, elle était à présent forte et sonore, comme si le conseiller de collège prononçait un discours devant une salle bondée. Son bégaiement, encore une fois, avait mystérieusement disparu.

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- Mais ceci, mon cher Eraste Pétrovitch, demande des preuves, répondit aimablement l'accusé, apparemment très satisfait du jeu qu'on lui proposait. Aussi, considérons que je n'avoue rien. J'ai très envie d'entendre votre réquisitoire. Par pure curiosité. Puisque aussi bien vous avez décidé de remettre à un peu plus tard mon élimination.

- Fort bien, écoutez, répondit Fandorine d'un ton sévère.

Il tourna une page de son bloc-notes et reprit, en s'adressant certes à Pakhomenko-Sotski, mais en regardant essentiellement Angelina :

- D'abord, la préhistoire. En 1882, à Moscou, éclate un scandale auquel sont mêlés des étudiants de la faculté de médecine et des élèves du cours supérieur féminin. Vous étiez le meneur, le mauvais génie de ce groupe de débauchés, et c'est la raison pour laquelle, seul entre tous vos complices, vous avez subi un châtiment sévère : vous avez été condamné à quatre années de bataillon disciplinaire, sans jugement afin d'éviter toute publicité à l'affaire. Vous vous étiez montré cruel avec de malheureuses prostituées reléguées au ban de la société, le destin vous a rendu la monnaie de votre pièce. Vous avez atterri à la prison militaire de Kherson, dont on raconte qu'elle est pire qu'un bagne sibérien. Il y a deux ans, à la suite d'une enquête portant sur des abus d'autorité, le commandement entier des compagnies de discipline a été traduit en justice. Mais à ce moment, vous étiez déjà loin...

Eraste Pétrovitch s'interrompit brusquement, en proie à une sorte de débat intérieur, puis il poursuivit :

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- Je suis l'accusateur et en conséquence ne suis nullement tenu de chercher des justifications à vos actes, cependant je ne puis passer sous silence que la société elle-même a sans doute contribué à changer définitivement le jeune homme vicieux que vous étiez en une bête sanguinaire et insatiable. Le contraste entre la vie estudiantine et l'enfer de la prison militaire eût suffi à rendre fou n'importe qui. Dès la première année, pour vous défendre, vous avez commis un meurtre. Le tribunal militaire vous a reconnu des circonstances atténuantes, mais cela ne l'a pas empêché de porter la durée de votre peine à huit ans, et lorsque vous avez agressé un homme d'escorte, vous avez été mis aux fers et enfermé au cachot pour une période prolongée. Sans doute les conditions inhumaines de détention que vous avez connues vous ont-elles fait perdre justement toute humanité. Car non, Sotski, vous n'avez pas été brisé pour autant, vous n'avez pas sombré dans la folie, vous n'avez pas cherché à vous donner la mort. Pour survivre, vous êtes devenu une autre créature, qui n'a de l'homme que l'apparence. En 1886, vos parents, qui, du reste, s'étaient depuis longtemps détournés de vous, furent informés que le prisonnier Sotski s'était noyé dans le Dniepr lors d'une tentative d'évasion. J'ai déposé une requête auprès du département de la justice militaire, pour savoir si le corps du fugitif avait jamais été retrouvé. Il m'a été répondu que non. C'était bien la réponse que j'attendais. Les autorités de la prison ont simplement dissimulé une évasion réussie. La chose est des plus courantes.

L'accusé avait jusqu'ici écouté Fandorine avec un très vif intérêt, sans confirmer ses paroles, mais sans non plus les réfuter.

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- Dites-moi, mon cher procureur, mais qu'est-ce qui vous a pris, tout de même, d'aller exhumer le dossier de ce Sotski depuis longtemps oublié ? Vous me pardonnerez de vous interrompre, mais ce procès, après tout, n'a rien de très officiel, même si je suppose que le verdict sera définitif et sans appel.

- Deux des personnes comptant initialement au nombre des suspects, Sténitch et Bouryline, avaient été vos complices dans l'affaire du " cercle des amis de Sade " et ont évoqué plusieurs fois votre nom. Il est apparu par ailleurs que l'expert en médecine légale Zakharov, qui collaborait à l'enquête, avait été compromis lui aussi dans cette histoire. J'ai tout de suite compris que le criminel ne pouvait être informé de la marche de l'instruction que par l'intermédiaire de ce dernier. J'ai voulu m'intéresser de plus près à son entourage, mais me suis engagé au début sur une fausse piste : j'ai soupçonné l'industriel Bouryline. Tout semblait en effet concorder à merveille.

- Et pourquoi n'avez-vous pas pensé à Zakharov lui-même ? demanda Sotski d'un ton presque outragé. Tout pourtant le désignait, je m'y suis suffisamment employé.

- Non, je ne pouvais croire que Zakharov fût l'assassin. Il avait été moins gravement compromis que les autres dans l'affaire des " sadiques ", il n'avait jamais été qu'un spectateur passif de vos jeux cruels. De plus, Zakharov se montrait ouvertement cynique, de manière même provocante, or pareille tournure d'esprit n'est pas celle d'un assassin de type maniaque. Mais ce ne sont là que des présomptions, le point essentiel était que Zakharov n'avait séjourné l'an passé en Angleterre qu'un mois et demi

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et qu'il se trouvait à Moscou au moment de la plupart des crimes commis à Londres. Je l'ai vérifié en tout premier lieu, de sorte que j'ai rayé d'emblée notre médecin du nombre des candidats. Il ne pouvait être Jack l'Eventreur.

- C'est une obsession pour vous que ce Jack ! maugréa Sotski avec un haussement d'épaule agacé. Tenez, on peut aussi bien supposer que Zakharov, en visite en Angleterre chez ses parents, se soit gavé d'articles de journaux concernant l'Eventreur et ait décidé de poursuivre son ouvre à Moscou. J'ai déjà remarqué tout à l'heure que vous aviez une drôle de manière de compter les victimes. Le juge Ijitsyne parvenait, lui, à un tout autre résultat : c'est treize cadavres qu'il alignait sur ses tables, alors que vous ne m'annoncez que dix meurtres pour Moscou. Et cela en incluant des cas survenus après l'" expérience judiciaire ", autrement ça n'en ferait même que quatre. Quelque chose ne colle pas dans votre histoire, monsieur l'accusateur.

- Tout colle parfaitement, au contraire. (Eraste Pétrovitch ne semblait nullement troublé par cette attaque inattendue.) Sur les treize corps exhumés présentant des traces de mutilations, seulement quatre venaient directement du lieu du crime : ceux de Zotova, de Maria la Bigle, d'Andréitchkina et de la fillette inconnue. En outre vous n'aviez pas eu le temps de travailler vos deux victimes de février selon votre méthode complète : visiblement quelqu'un avait dû vous effrayer et vous faire fuir. Les neuf autres dépouilles, les plus atrocement mutilées, avaient été tirées des fosses communes. La police moscovite est, je vous l'accorde, très loin d'être parfaite, mais il est impossible d'imaginer que