12-1 La prisonniere de la tour - Akounine, Boris
12-2 Le chapelet de jade - Akounine, Boris
12-3 Avant la fin du monde - Akounine, Boris
13 Le monde entier est un theatre - Boris Akounine
14 La ville noire - Boris Akounine
Fiction Book Description
Akounine, Boris
La prisonnière de la tour
(Dédicaces - 1)
Tout commence à la fin du XIXe siècle, très précisément le 31 décembre 1899...Arrive à Saint-Malo en provenance de Southampton un navire ayant à son bord deux illustres personnages qui ont nom John Hamish Watson et... Sherlock Holmes. Le détective le plus célèbre du monde a été embauché à prix d'or par un riche hobereau malouin, victime d'une arnaque de haut vol qui met en péril la vie de sa fille unique. Accueillis sur le quai par leur commanditaire, Watson et Holmes ont la surprise de le voir aussitôt disparaître pour aller chercher à la gare un autre détective, venu, lui, d'Amérique. Un certain Eraste Fandorine...La nouvelle qui donne son titre à ce recueil est dédiée à Maurice Leblanc ; les deux autres, à Edgar Allan Poe et à Georges Simenon. Mettant toutes les trois en scène Eraste Fandorine, ce sont autant d'exercices de style d'un humour constant et d'une éblouissante virtuosité, démontrant s'il en était besoin que Boris Akounine connaît intimement l'oeuvre de chacun de ces maîtres du roman policier, à qui il rend ainsi le plus beau des hommages.
DU MÊME AUTEUR
CHEZ LE MÊME EDITEUR
Azazel
Le Gambit turc
Léviathan
La Mort d’Achille
Missions spéciales
Le Conseiller d’Etat
Le Couronnement
La Maîtresse de la Mort
L’Amant de la Mort
Altyn Tolobas
Pélagie et le bouledogue blanc
Pélagie et le Moine Noir
Pélagie et le coq rouge
Boris Akounine
LA PRISONNIÈRE
DE LA TOUR
et autres nouvelles
Dédicaces 1
Traduit du russe par Odette Chevalot
Titres originaux : Table -Talk 1882
Iz žizni ščiopok
Uznica bašni
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© Boris Akounine, 2007
© I. Bogat, éditeur, 2007
© I. Sakourov, illustrateur, 2007
© Presses de la Cité, un département de
, 2007 pour la traduction française
EAN 978-2-258-08708-8
CONVERSATION
DE SALON
Cette nouvelle est dédiée
à Edgar Allan Poe
Après le café et les liqueurs, l’on se mit à parler de mystère. Evitant à dessein de regarder le nouveau venu, homme le plus en vue de la saison, la maîtresse de maison, Lydia Nicolaievna Odintsova, dit à l’intention des membres de son salon :
— Tout Moscou chuchote que ce serait Bismarck qui aurait empoisonné le pauvre Sobolev. Est-il possible que l’on connaisse jamais les dessous de cette épouvantable tragédie ?
L’hôte dont Lydia Nicolaievna régalait ce jour-là les habitués de son salon s’appelait Eraste Pétrovitch Fandorine. D’une beauté suffocante, paré d’une aura de mystère, il était en outre célibataire. Pour obtenir sa présence, la maîtresse de maison avait dû recourir à l’une des intrigues complexes et à multiples détentes dont elle avait le secret.
Sa remarque s’adressait à Arkhip Mustafine, vieil ami de la maison. Homme à l’esprit subtil, ce dernier comprit à demi-mot où voulait en venir Lydia Nicolaievna et, jetant un regard au jeune assesseur de collège de sous ses paupières rougeâtres et dénuées de cils, il répondit :
— Mais l’on m’a dit que c’était une passion fatale qui avait emporté notre Général Blanc.
Dans le salon, chacun retint son souffle, car le bruit courait qu’Eraste Pétrovitch, nommé depuis peu fonctionnaire chargé des missions spéciales auprès du général gouverneur de Moscou, avait un rapport direct avec l’enquête sur les circonstances de la mort du grand soldat. Or une déception attendait l’assistance : le beau brun écouta poliment Arkhip Mustafine et fit mine d’être totalement étranger à ce qui venait d’être dit.
Il en résulta une situation que la maîtresse de maison ne pouvait tolérer : un silence gêné. Mais, forte de sa longue expérience, Lydia Nicolaievna se montra prompte à la riposte. En battant des cils de manière charmante, elle vola au secours de Mustafine.
— Comme cela ressemble à la mystérieuse disparition de la pauvre Polinka Karakina ! Vous vous souvenez, mon ami, de cette horrible histoire ?
Remerciant son hôtesse d’un imperceptible mouvement des sourcils, Mustafine répondit, l’air songeur :
— Comment l’aurais-je oubliée ?….
Certains membres de l’auditoire hochèrent la tête, semblant, eux aussi, se remémorer l’histoire, tandis que la majorité n’avait manifestement jamais entendu parler de Polinka Karakina. Quoi qu’il en soit, Mustafine ayant la réputation d’être un conteur talentueux, c’était toujours un plaisir d’entendre une histoire de sa bouche, fût-elle déjà connue. C’est alors que, fort à propos, Molly Sapéguine, une délicieuse jeune femme dont le mari – un bien grand malheur – était mort l’année précédente au Turkestan, demanda avec curiosité :
— Une disparition mystérieuse ? Comme c’est intéressant !
Lydia Nicolaievna se cala plus confortablement sur sa chaise, indiquant par là à Mustafine qu’elle remettait entre ses mains expertes les rênes de la table-talk.
— Beaucoup d’entre nous, bien sûr, se rappellent le vieux prince Léon Karakine, dit Arkhip Mustafine en introduction à son récit. C’était un homme de l’ancien temps, héros de la campagne de Hongrie. Rejetant les tendances libérales du précédent règne, il avait donné sa démission et s’était retiré dans son domaine des environs de Moscou, où il vivait comme un nabab. Il était fabuleusement riche ; d’ailleurs, de telles fortunes n’existent plus dans l’aristocratie d’aujourd’hui. Le prince avait deux filles, Polinka et Aniouta. Attention, pas Pauline et Annie : le général était un adepte du patriotisme le plus strict. Les deux jeunes filles étaient jumelles. Leurs visages, leurs silhouettes, leurs voix étaient absolument identiques. Et pourtant, il était impossible de les confondre, car Aniouta avait sur la joue droite, juste là, un grain de beauté. L’épouse de Léon Karakine était morte en couches, et le prince ne s’était jamais remarié. Il déclarait qu’une femme, c’était du souci, qu’il n’en avait pas besoin et que les servantes faisaient très bien l’affaire. Il faut dire que les filles ne manquaient pas chez lui, même après l’abolition du servage. Je vous le répète : Léon Karakine vivait comme un nabab.
— Vous n’avez pas honte, Arkhip ? Ne pourrait-on éviter ces obscénités ? prononça Lydia Nicolaievna avec un sourire de reproche, tout en sachant parfaitement que, pour réussir un bon récit, il n’y avait rien de tel que d’« ajouter un peu de sel », comme disaient les Anglais.
Mustafine posa la main sur son cśur d’un air contrit et reprit sa narration :
— Polinka et Aniouta n’étaient pas des laiderons, loin de là, mais on ne pouvait pas dire non plus qu’elles étaient particulièrement jolies. Cependant, comme chacun le sait, une dot de plusieurs millions est le meilleur des produits cosmétiques, de sorte que, durant l’unique saison où elles parurent dans le monde, les deux princesses engendrèrent parmi les jeunes gens à marier une sorte de fièvre épidémique. Puis le vieux prince eut maille à partir avec notre vénéré général gouverneur, et il regagna son domaine de Sosnovka pour ne plus jamais en sortir.