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— En effet, papa adorait Alexandre Dumas, confirma le maître des lieux.

J’avais eu le temps de m’accoutumer aux manières particulières de des Essars et je ne m’étonnai donc pas de l’emploi de ce mot enfantin de « papa » qui s’accordait si mal à l’âge et aux cheveux grisonnants de cet homme.

Dans l’entrée lambrissée d’une boiserie de chêne sculpté, il tourna fièrement un gros interrupteur de faïence, et la lumière jaillit.

— Je dispose d’une merveilleuse lumière électrique, s’enorgueillit-il. Regardez : encore une pichenette, et ce sont toutes les lampes du rez-de-chaussée qui s’allument.

— Mais il ne fait pas encore nuit, dis-je.

Le maître de maison éteignit la lumière, visiblement à regret, et nous conduisit à travers une enfilade de pièces glaciales, garnies de meubles anciens et massifs.

Dans une grande salle où, grâce au ciel, un feu brûlait dans la cheminée, nous prîmes place autour d’une longue table couverte d’un grand linge blanc sous lequel on devinait les contours de bouteilles et autres récipients.

— Eh bien, nous y voilà. Je vais maintenant vous raconter de façon circonstanciée toute cette histoire cauchemardesque, sans omettre le moindre détail, promit des Essars. Je sais que, dans votre tâche, les détails sont plus importants que tout. Je commencerai par mon défunt papa…

L’entrée en matière ne s’annonçant pas particulièrement passionnante, je m’autorisai à m’en abstraire afin d’observer ce qui m’entourait.

La pièce était assez curieuse. A en juger par le buffet et la longue table, elle servait de salle à manger. Sur toutes les surfaces planes – la tablette de la cheminée, les commodes, les dessertes – étaient posées des maquettes de voiliers, certaines de dimension considérable. Aux murs étaient accrochés les portraits des ancêtres. L’un d’eux attira plus particulièrement mon attention.

Le tableau représentait un fier capitaine à l’opulente perruque bouclée, tenant dans sa main une longue-vue. Derrière lui, on voyait des voiles blanches et des nuages de vapeur qui tourbillonnaient. Le peintre s’était manifestement efforcé de donner de la noblesse à la face camuse et farouche du marin, mais sans vraiment y parvenir.

— … Voici d’ailleurs le portrait de papa, dit au même moment le maître de maison. Mais non, docteur, vous ne regardez pas où il faut ! Celui-ci c’est Jean-François, le fondateur de notre lignée, l’un des plus vaillants et nobles capitaines du Roi-Soleil. Il a rapporté des mers du Sud un plein coffre de joyaux et a acheté ce domaine. Le portrait de papa, c’est le troisième sur la droite.

Je portai mon regard dans la direction indiquée.

Depuis la toile, nous étions observés par un homme au visage rebondi et portant des lunettes ; il était vêtu de l’uniforme de la Garde nationale et tenait entre ses mains la maquette d’une frégate. De son lointain ancêtre, des Essars père avait hérité le nez court et une lueur de folie dans le regard ; à son fils, il avait légué l’ovale du visage et la myopie.

— Tout cela est très intéressant, mais ne pourriez-vous pas en venir aux faits ? dit Holmes avec impatience. Racontez-nous plutôt comment et où vous avez cherché la bombe.

— C’est exactement là que je veux en venir ! Mais si je ne vous parle pas de papa, vous ne comprendrez pas pourquoi nous n’avons rien trouvé !

Des Essars jeta un coup d’śil à la pendule de la cheminée, serra ses mains l’une contre l’autre et se mit à parler deux fois plus vite :

— Vous comprenez, c’était un homme peu ordinaire. Comme on disait en ce temps-là, un grand original, ou, pour s’exprimer en termes plus modernes, un excentrique de la plus belle eau. Il hérita d’une énorme fortune, et dépensa tout en lubies extravagantes. Dans notre parc, nous avions notre propre ménagerie, vous imaginez ? Dans des cages, vivaient des loups, des renards, des sangliers, et même un ours. Papa les avait tous attrapés lui-même. Je me souviens qu’un serviteur particulier leur était affecté : un petit Pygmée d’Afrique tout noir dont j’avais terriblement peur. Devant la maison, trônait une couleuvrine de bronze provenant du navire de notre lointain ancêtre, et à l’occasion des fêtes, papa s’en servait lui-même pour tirer des boulets. Là réside d’ailleurs la cause de sa mort prématurée. Le 8 juin 1860, jour de mon septième anniversaire, la couleuvrine explosa, et papa mourut sur place…

Le maître de maison observa la pause qui seyait à une aussi attristante information, tandis que, pour ma part, effectuant un calcul arithmétique simple, je m’étonnai une fois de plus de la justesse des appréciations de Holmes : il avait tout de suite affirmé que notre client était plus jeune qu’il n’y paraissait à première vue.

— Je pourrais passer des heures à énumérer les étrangetés de caractère de papa, ses excentricités, mais je ne m’arrêterai que sur l’une d’elles.

De la main, des Essars décrivit une sorte de cercle.

— Je veux parler de cette demeure. Papa détruisit la maison de fond en comble et reconstruisit intégralement le nid familial, le truffant de toutes sortes de bagatelles… disons, de tout et n’importe quoi : passages dérobés, niches secrètes, sols chantants, tubes encastrés dans les murs, qui se mettaient à souffler ou à hurler selon telle ou telle direction du vent… Mère exécrait ces fantaisies. Après le tragique décès de papa, elle détruisit tout ce qu’elle pouvait. Mais elle est loin d’avoir tout trouvé. Par exemple, il y a huit ans, lorsque l’on a refait les papiers peints du petit boudoir, une niche contenant des ouvrages licencieux a été découverte dans le mur. L’année passée, dans le ravin qui longe le mur d’enceinte du parc (des Essars indiqua un endroit sur la droite), s’est produit un éboulement, et dans la pente est apparu un passage souterrain qui, de toute évidence, menait jadis à la maison, mais qui avait fini par s’effondrer. Et l’avant-dernier automne…

— Inutile de poursuivre. Tout est parfaitement clair, le coupa Holmes en se triturant les mains, ce qui, chez lui, était toujours le signe d’une extrême agitation. La bombe se trouve dans une cachette secrète, dont l’emplacement n’était pas connu de votre mère ni, a fortiori, de vous.

— C’est ça, c’est ça, c’est exactement ce que je voulais dire… Quelque part ici, il y a effectivement une cachette que j’ignore. Ne me demandez pas comment il se fait que Lupin connaisse le secret, c’est ce qui m’étonne le plus. Il en ressort que cet infâme escroc connaît mieux cette maison que son propriétaire légitime !

— Excusez-moi, sir, ne pus-je m’empêcher de faire remarquer. Nonobstant vos convictions quant à la valeur de la parole de notre maître chanteur, je pense pour ma part qu’il cherche seulement à vous intimider. Il est plus que probable que cette cachette secrète n’existe pas.

— Si, elle existe ! s’écria des Essars. Dans cette lettre pleine d’arrogance, il est même indiqué le code qui permet de trouver la bombe !

Là, je cessai définitivement de comprendre quoi que ce soit, et Holmes lâcha avec indulgence :

— Je pense, Watson, qu’il est enfin temps pour nous de jeter un coup d’śil à ce funeste document.

Le châtelain, d’un air aussi dégoûté que s’il se fût agi d’un crapaud, prit une feuille sur la cheminée et la tendit à mon ami.

Regardant par-dessus son épaule, je vis que la lettre était rédigée d’une écriture large et élégante sur un papier bleu orné du monogramme A L.

Holmes parcourut le texte du regard, ricana et le relut, cette fois à haute voix, le traduisant au fur et à mesure en anglais.

30 décembre 1899

Au propriétaire du Vau-Garni

Cher monsieur,