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Holmes se leva.

— Mettez-moi en communication avec le régisseur. J’ai besoin de lui poser quelques questions.

— Tout de suite ! Un tour de manivelle et je vous le passe.

Desu-san tourna la poignée. Souffla dans le cornet. Tourna à nouveau. Souffla une autre fois. Répéta le mot « merd ! », très fort.

— La liaison est interrompue… Hélas, ça arrive. Tant pis ! Je cours là-bas et je vous ramène Bosco. Comme ça, vous pourrez lui poser toutes les questions que vous voulez.

Tête baissée, il courut vers la porte ; c’est à peine si ses jambes maladroites arrivaient à le suivre.

Ayant attendu que le maître de maison se soit éloigné, le docteur Watson dit avec indignation :

— L’arrogance dans toute sa splendeur ! Quel effronté, ce Lupin !

A cela, Sherlock Holmes dit… Non, je me souviens que, lors d’une de nos discussions sur le métier d’écrivain, Watson-senseï m’a appris qu’il ne fallait pas écrire tout le temps « dit » ou « dit-il », mais qu’il fallait utiliser des synonymes : « proféra-t-il », « prononça-t-il », « il déclara », et, ce qui était encore mieux, des verbes expressifs comme « il s’écria », « gémit-il », « souffla-t-il ».

Donc, Sherlock Holmes proféra :

— Cela porte le nom de « gasconnade ». Les Français adorent fanfaronner, poser pour la galerie. Que pensez-vous de ce nouveau Robin des bois, monsieur Fandorine ?

Mon maître se crispa :

— Ce gredin me donne la nausée. Il se targue de ne jamais commettre de meurtre. Mais, selon moi, mieux vaut un honnête escarpe qu’un maître chanteur sans principes, qui fait son beurre sur le malheur d’autrui.

Je hochai énergiquement la tête pour marquer mon accord sans réserve avec ce point de vue.

— Absolument d’accord, dit le détective anglais, se rangeant à notre opinion. Eh bien, non seulement nous allons découvrir la cachette contenant la bombe, mais nous allons également mettre M. Lupin derrière les barreaux, là où est sa place.

— Mais j’aimerais beaucoup qu’auparavant il offre quelque résistance, prononça Fandorine-dono d’un air rêveur. Nous verrons jusqu’à quel point il a assimilé ses leçons de ju-jitsu.

Chez mon maître, chaque parole est d’or.

C’est à cet instant que (on peut aussi dire « c’est alors que », ce n’est pas mal non plus) des bruits de pas résonnèrent dans le couloir et que pénétra dans la salle à manger un homme au teint basané, aux fines moustaches en croc comme celles de Nobunaga Oda, et à l’opulente chevelure. C’est à ce dernier détail que je reconnus le régisseur. En arrivant, nous avions en effet aperçu sa silhouette à la fenêtre de l’écurie.

Il haletait. Il avait dû courir pour venir nous rejoindre. Après les salutations d’usage, il promena sur nous un regard inquiet, et je m’inclinai respectueusement devant lui, parce que je savais que ce Bosco s’était conduit ainsi qu’il convient à un vassal : bien que connaissant l’existence de la bombe, il n’avait pas abandonné son maître dans le malheur.

— Monsieur était très essoufflé. Je lui ai donné de l’eau. Il va venir dès qu’il aura repris son souffle. En attendant, il m’a ordonné de courir ici et de répondre à vos questions, débita l’homme à toute vitesse et en français.

Holmes traduisit pour le docteur tout ce qui venait d’être dit, et je m’efforçai de ne pas en perdre une miette. Mon maître de son côté me murmura en russe que l’on percevait un léger accent italien dans le langage de M. Bosco. Les Italiens sont considérés comme d’excellents serviteurs, les meilleures maisons françaises les prennent volontiers à leur service.

A ce que nous avions déjà appris de la bouche de Desu-san, Bosco ajouta que la voix du célèbre criminel était sonore et arrogante. Sitôt finie la conversation, l’Italien s’était mis en liaison avec le central téléphonique et avait demandé d’où provenait l’appel, mais la téléphoniste avait répondu qu’aucune communication n’était passée par le central. De toute évidence, Lupin avait trouvé un moyen de se brancher directement sur la ligne.

— Comme vous le voyez, je n’avais finalement pas tout à fait tort, fit remarquer Sherlock Holmes. Un inspecteur de police posté au central téléphonique ne nous aurait été d’aucun secours.

A chaque nouvelle question qui lui était posée, le régisseur répondait de façon succincte et très rapidement. J’eus l’impression qu’il avait hâte de partir au plus vite. Par deux fois, à l’occasion d’une courte pause, il demanda s’il pouvait retourner chez lui. A son front perlaient des gouttes de sueur, son regard inquiet se déplaçait sans cesse d’un objet à l’autre, et je compris soudain qu’il avait tout simplement peur que la bombe n’explose avant l’heure. Mon estime pour cet homme s’en est aussitôt trouvée diminuée.

Brusquement, mon maître l’interrogea sur un tout autre sujet.

— J’ai remarqué que tous les volets du rez-de-chaussée étaient fermés et verrouillés de l’extérieur. Où sont les clés ?

Bosco battit des paupières, ne saisissant manifestement pas ce qui motivait cette question.

— Il n’y a qu’une clé, car toutes les serrures sont identiques. Tenez, la voici.

Il choisit une des clés du trousseau qui pendait à sa ceinture et la montra.

— Et les autres, elles ouvrent quoi ?

— Celle-ci ouvre la porte de l’entrée principale ; celle-là ouvre la porte latérale côté ravin ; ça, c’est la clé de la véranda ; la petite, c’est celle du rez-de-chaussée de la tour ; celle-ci, c’est pour l’entrée de service…

Fandorine-dono demanda à voir le trousseau et l’examina attentivement, en essayant de se remémorer à quelle porte correspondait chaque clé.

— Bon, maintenant je peux partir ? demanda Bosco, se dandinant d’un pied sur l’autre.

— Oui, mais avant, vérifiez ce qui se passe avec le téléphone, lui ordonna Sherlock Holmes (là, c’est mon maître qui me traduisit). Et montrez-nous nos chambres.

Après avoir bataillé environ une minute avec l’appareil, le régisseur s’écria, tout joyeux :

— Ça y est, ça remarche ! En cas de problème, je serai chez moi. Pour m’appeler, c’est très simple : un tour de manivelle. Deux tours, c’est pour joindre le central.

Ça, on le savait déjà sans lui.

Il ne nous accompagna pas jusqu’à nos chambres, se contentant de nous expliquer :

— Vous trouverez vous-même, c’est très simple. Prenez le couloir à droite, au bout vous tombez sur la salle de billard. Vous sortez par la gauche et vous prenez l’escalier latéral. Montez au premier étage. Là, vous verrez une porte en verre et, derrière, le palier. D’un côté se trouve une chambre pour les messieurs de Londres, de l’autre une chambre pour les messieurs de Paris. Décidez vous-même laquelle est pour qui.

Il salua et quitta la salle à manger à toutes jambes. Quelques instants plus tard, la porte d’entrée claqua bruyamment. Un serviteur japonais ne se permettrait jamais de perdre ainsi la face !

Nous partîmes dans la direction indiquée et, effectivement, sans aucune difficulté, nous trouvâmes la porte en verre. Après avoir fait assaut de politesse pour savoir qui le premier choisirait son gîte, mon maître et moi nous installâmes dans une pièce lumineuse donnant sur la pelouse.

Je sortis de la valise la veste de travail de mon maître et ses chaussons à semelle caoutchoutée, je changeai ma propre tenue de voyage pour des vêtements usagés (pour le cas où il m’arriverait de tomber ou d’avoir à ramper sur le ventre), passai au cabinet d’aisances, puis n’eus plus rien à faire. Jusqu’à trois heures, il restait encore du temps. Mon maître était assis dans un fauteuil et, plongé dans une profonde réflexion, faisait claquer les boules de son chapelet de jade tout en examinant l’étrange code qu’il avait recopié dans son carnet. Je devinais que Fandorine-dono était en train d’élaborer un plan d’action, sans que je sache précisément lequel. C’est-à-dire que maintenant, alors que j’écris ces lignes, je le sais, bien sûr, mais Watson-senseï m’a prévenu : il ne faut pas tout dévoiler d’un coup, sinon le lecteur se désintéresse de l’histoire, raison pour laquelle je ne parlerai pas pour l’instant du plan de mon maître. Je vais plutôt essayer de me rappeler ce à quoi je pensais à ce moment-là.