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Ah oui, à la jeune dame Desu. Je me disais que, bien sûr, elle faisait vraiment peine à voir, mais qu’elle se trouverait tout de même un mari, même si elle restait paralysée. Son père avait tort de se faire du souci comme ça. Elle était jolie et avait de bonnes manières, et ça, c’était le principal. Beaucoup trouveraient même un certain charme à son immobilité. Une beauté paralysée est comme une magnifique statue. Chez nombre d’hommes, cela susciterait à la fois l’attendrissement du cśur et l’émoi des sens, une excellente pépinière où il est facile de faire éclore la merveilleuse fleur de l’amour. Je suppose que quelques-uns auraient préféré que la jeune fille eût également perdu le don de la parole. Alors, elle eût été vraiment parfaite pour l’adoration. Quand mon maître et moi l’aurons sauvée de l’explosion et que nous aurons attrapé le malfaiteur, tous les journaux parleront de la jeune dame Desu, et elle deviendra célèbre. La gloire est un puissant philtre d’amour. Dans l’ancien Japon, on aurait immanquablement tiré de ce sujet magnifique une pièce pour le théâtre de marionnettes.

Voilà ce à quoi je pensais tandis que mon maître égrenait son chapelet de jade. Je restais assis sans faire le moindre bruit pour ne pas perturber sa méditation. A trois heures moins une, je rompis le silence en disant qu’il était temps de regagner la salle à manger.

Nous descendîmes, et Desu-san nous emmena visiter la maison, afin que nous trouvions l’endroit où le rusé Lupin avait caché la terrible bombe.

VII

La visite de la maison faisait plutôt penser à une promenade à travers un cabinet de curiosités. M. des Essars ouvrait la marche sans se taire un seul instant, se retournant sans arrêt et gesticulant désespérément, ce qui lui valait de trébucher constamment, et, à une ou deux reprises, il manqua dégringoler dans l’escalier. Fandorine le suivait, flanqué de son Japonais, puis venait mon tour, tandis que Holmes fermait la marche, s’attardant de temps à autre dans quelque coin retiré, de sorte que nous devions l’attendre.

Sans doute à l’époque de des Essars père le château regorgeait-il de toutes sortes d’objets insolites, mais même maintenant il y avait de quoi montrer et de quoi raconter.

Un peu plus tôt déjà, traversant la salle de billard, j’avais remarqué que tous les murs étaient couverts d’armes exotiques rapportées du bout du monde. Les boomerangs y côtoyaient une matraque à dents de requin, un couteau à scalp indien, un harpon esquimau en os.

Dans la pièce suivante, mon attention fut attirée par un extraordinaire lustre en forme de montgolfière avec une nacelle cannée. Le châtelain expliqua que sa mère n’avait jamais permis de l’utiliser par crainte des incendies, mais que maintenant qu’il y avait l’électricité, il n’y avait plus rien à redouter. Et il nous démontra avec fierté combien les ampoules de verre étaient remarquablement sûres et sans danger.

Prenant exemple sur Holmes, j’écoutais moins les explications que je ne regardais ici et là. Je sondais les murs et les sols, palpais les plus petites aspérités ou irrégularités.

Au premier étage, nous traversâmes le petit salon où était exposée la collection de scorpions (« papa les trouvait très beaux ») ; la chambre principale avec, au plafond, une carte du ciel fidèlement reproduite (« papa connaissait toutes les constellations ») ; le jardin d’hiver avec des arbres nains et une immense maquette de chemin de fer malheureusement cassée (« avec papa, nous passions ici des heures entières ») ; le bureau, où, sur l’un des murs, étaient peintes en trompe-l’śil des étagères de livres (« papa trouvait ça amusant »). Au premier étage de la tour ronde, se trouvait le temple du Soleil de « papa », mais c’était maintenant la pièce où l’on conservait les documents juridiques et financiers.

Le deuxième étage était entièrement occupé par les appartements de Mlle des Essars : son boudoir de jeune fille, un charmant petit cabinet avec des photographies d’enfants sur les murs, une pièce pour les travaux manuels, la chambrette de la servante. C’est là que jadis se trouvaient les appartements de « mère », raison pour laquelle le second étage était exempt de toute excentricité, si ce n’était le fameux goulet donnant accès à la tour où des Essars père se retirait jadis pour échapper à la colère de son épouse. En revanche, au sous-sol, auquel nous accédâmes par un étroit escalier en colimaçon, l’esprit du regretté « papa » flottait partout.

Il y faisait sombre, la pâle lumière hivernale parvenant à grand-peine à se frayer un passage à travers les minuscules lucarnes grillagées, et le maître des lieux alluma l’électricité. Chacun sait que ce mode d’éclairage en tous points remarquable présente tout de même un inconvénient que les ingénieurs du futur ne manqueront pas de surmonter : par suite des variations de la tension électrique, la lumière clignote à tout bout de champ. A plusieurs reprises, les lampes se sont carrément éteintes. Des Essars a commencé à s’affairer en actionnant les interrupteurs, et, de nouveau, il a fait clair. D’ailleurs, Holmes comme Fandorine s’étaient munis de petites lanternes, si bien que les deux détectives n’eurent pas à interrompre leurs recherches, même durant ces arrêts forcés.

Je vais essayer de décrire les différentes parties de ce sous-sol en procédant par ordre, ce qui n’est pas si simple, car l’endroit était plein de passages, de coins et de recoins.

Tout d’abord, nous nous retrouvâmes dans une élégante pièce de taille modeste entièrement revêtue d’une boiserie de chêne, que des Essars appelait le « salon à orgue ». Et, effectivement, dans l’un des murs était encastré un petit orgue.

— Magnifique exemple de « positif » de salon, commenta Holmes avec l’air du connaisseur, caressant avec amour le couvercle verni, puis le soulevant et laissant courir ses doigts sur le clavier.

Le son était tremblé, l’instrument désaccordé, mais l’acoustique était merveilleuse. Seulement alors, je remarquai que la pièce était entièrement aveugle.

— Je ne sais pas jouer, mais papa en revanche était un vrai musicien, expliqua des Essars. Il pouvait s’enfermer ici et jouer pendant des heures. Cette pièce dispose d’une parfaite isolation sonore, car mère souffrait de migraines. Eh bien, vous pensez que la cachette pourrait se trouver ici ?

Il posait la question à tout hasard chaque fois que l’un de nous s’attardait quelque part.

J’essayai de déplacer l’instrument, mais il était solidement ancré dans la paroi.

Au mur, dans un cadre doré, était accrochée une gravure : Méphistophélès souriant d’un air moqueur. Je jetai un coup d’śil sous le cadre, touchai le crochet auquel il était fixé.

Les autres étaient déjà loin, à l’exception de mister Shibata, qui barbouillait des espèces de pattes de mouches sur un rouleau de papier de riz.

— Dz’ai peul d’oublier quelque sose, m’expliqua-t-il.

Après le « salon à orgue » se trouvait la cave à vins, comme dans toute maison française qui se respecte.