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— Que je ne vous ai d’ailleurs jamais rendu, étant donné que je l’ai irrémédiablement détérioré.

— Oui, vous me l’avez dit. Mais avec la prime reçue de la banque, j’en ai acheté un nouveau. Ce fut un spectacle inoubliable, dis-je en éclatant de rire. Vous, tel le docteur examinant un malade, écoutez les bruits émis par le mécanisme à combinaison, et nous, nous sommes là, immobiles, à observer en retenant notre souffle. Un vrai conseil médical ! L’idée d’utiliser le phonendoscope plutôt que de faire sauter la porte blindée était tout simplement géniale !

— Tout n’est pas aussi simple, rétorqua Holmes en riant. Sinon, les cambrioleurs se seraient depuis longtemps acheté des phonendoscopes et auraient nettoyé tous les coffres-forts du pays. Il y a un petit détail dont je n’ai pas parlé aux reporters. Dans votre instrument, j’ai remplacé la membrane d’origine par une autre, de mon invention. Elle est fabriquée à partir d’un verre d’une extrême finesse et possède un très haut coefficient de vibration. C’est cela qui m’a permis de détecter le code de la serrure.

— Vous voulez dire que, dans la lettre de Lupin, figure le code d’une serrure ? demandai-je.

— Non. Je veux dire que le phonendoscope se trouve dans mon laboratoire de campagne et qu’il va de nouveau nous rendre service.

— Mais comment donc ?

— Très simplement. Qu’est-ce qu’une bombe qui doit exploser à une heure précise ? C’est une charge de dynamite reliée à un mécanisme d’horlogerie. Et que font les horloges ?

— Elles tournent, répondis-je après un moment de réflexion.

— Et alors ?

— Eh bien, je ne sais pas. Elles font tic tac.

— Et voilà, justement. (Le sourire de Holmes s’élargit encore.) Quelque part, dans un endroit dérobé ou un obscur recoin, une horloge fait tic tac. Déceler ce bruit est évidemment impossible sans une oreille exercée. Mais si on sait exactement où chercher, on peut appliquer mon phonendoscope amélioré sur la surface suspecte, et je vous assure que la membrane de verre sera alors en mesure de détecter le tic tac même à travers un mur, car n’oublions pas qu’il sera nécessairement percé, ne serait-ce que d’une minuscule fente.

— Encore faut-il savoir où appliquer le phonendoscope. Vous ne pouvez tout de même pas ausculter toute la maison, cela demanderait des jours !

— Ai-je vraiment l’air d’un imbécile ? (Holmes fit mine d’être vexé, mais ses yeux lançaient des étincelles amusées.) Tout d’abord, la machine infernale ne peut être logée que dans le sous-sol. Vous êtes profane en matière d’architecture, sinon vous l’auriez compris par vous-même. Dans la tour ronde, il n’y a pas un seul endroit où cacher la charge de dynamite. Sous la tour, il n’y a pas de cave. Si la bombe se trouvait à l’un des trois niveaux de la maison principale, la tour resterait intacte puisqu’elle se trouve sur le côté. Or, c’est justement sur la tour, ou plus exactement sur sa prisonnière, que repose l’odieux chantage. La dynamite doit se trouver en dessous, dans la base de l’édifice. Ainsi, c’est tout le bâtiment qui s’écroulera, y compris sa partie ajoutée.

— Supposons. Mais le sous-sol est déjà très vaste. Il s’y trouve plus d’une dizaine de pièces et Dieu sait combien de passages et de corridors !

— Faire sauter le château du Vau-Garni nécessite une charge de dynamite occupant un espace d’au moins cinq pieds cubes. Tout en visitant la cave, j’ai mentalement noté tous les endroits où il était techniquement possible de ménager un vide de la dimension requise. Ces endroits sont au nombre de vingt-neuf. Laissez-moi une minute à consacrer à chacun et je vous dirai si une bombe est cachée là ou non.

— Vingt-neuf minutes en tout ! m’exclamai-je. Bon, disons quarante avec les temps morts. Et c’est tout, la cachette sera découverte !

— Ou bien, ce qui est le plus probable, on découvrira l’absence de toute espèce de bombe. (Holmes eut un sourire malicieux.) A la différence de M. des Essars, je suis assez peu enclin à me fier à la parole d’honneur de cet aventurier. Après avoir « diagnostiqué » le sous-sol, je donnerai à notre client la garantie qu’il n’existe aucune machine infernale. Et, pour preuve de la justesse de mes affirmations, je fêterai le nouvel an dans cette maison, et, dès demain matin, nous nous occuperons d’attraper ce Lupin.

— Bravo, Holmes ! Je ne sais ce que feront les autres, mais moi je reste avec vous. J’ai vu dans le cellier une caisse d’excellent champagne !

Après avoir bien ri, il me tapa sur l’épaule et reprit son sérieux.

— Eh bien, au travail. Montez dans la chambre et prenez le phonendoscope dans ma mallette. Il est dans un étui de cuir noir. Maniez-le avec précaution, la membrane est très fragile. De mon côté, pour ne pas perdre de temps, je descends à la cave et je repère tous les endroits suspects. Je ne voulais pas le faire en présence de M. Fandorine, afin de ne pas faciliter sa tâche. Et, autre chose. Prenez, s’il vous plaît, mon…

Avec un sourire confus, Holmes mima le geste du violoniste. Je hochai la tête d’un air entendu.

L’une des idées puisées par mon ami à l’époque de ses pérégrinations à travers l’Orient est que rien ne correspond mieux au travail de la raison que l’harmonie de l’âme. Et le plus simple pour atteindre cet état est de s’aider de la musique. Depuis quelque temps, même lorsque nos enquêtes nous mènent en des lieux éloignés, il n’est pas rare que Holmes prenne son violon avec lui ; cela lui permet d’être dans une bonne disposition d’esprit. Au début, cette habitude me paraissait saugrenue, mais, avec le temps, j’ai commencé à lui trouver un certain charme.

Ainsi, nous nous séparâmes. Holmes descendit au sous-sol, moi je montai à l’étage.

De derrière la porte de nos voisins, parvenait la voix égale de Fandorine, qui arpentait la chambre en expliquant quelque chose à son assistant. Je distinguai le mot « édin », mais, franchement, j’ignore ce que cela pouvait bien signifier. J’eus un peu pitié de ce détective amateur qui s’avisait de faire concurrence à Sherlock Holmes.

Dans le laboratoire de campagne de mon ami, on trouvait de tout : des produits chimiques, une trousse de grimage, un nécessaire de dactyloscopie, divers appareils, des instruments mystérieux. Je mis un certain temps à trouver l’étui en cuir noir frappé de l’emblème de la firme d’instruments médicaux Pilling & Sons. Il était coincé entre un trousseau de passe-partout et une boîte de balles de revolver. Je l’ouvris pour vérifier. Oui, c’était bien mon vieux phonendoscope. De l’autre main, j’attrapai le violon.

Ma merveilleuse valise dans sa modeste housse à carreaux était toujours là, intouchée depuis notre arrivée. Je me dis que je me changerais plus tard, à l’approche de minuit ; apparemment, nous aurions quelque chose à fêter en plus de la nouvelle année. Et je me représentai le tableau suivant : Holmes et moi calmes et sereins, les autres au comble de la nervosité, pour peu qu’ils n’aient pas tout simplement décampé. L’horloge égrène ses coups, malgré tout mon cśur marque un temps d’arrêt : et si mon génial ami s’était tout de même trompé ? Quel magnifique jeu de scène !

L’escalier étant très raide, je descendis les marches une à une en faisant très attention, conscient du poids de ma responsabilité. Il n’aurait plus manqué que je laisse tomber le phonendoscope et que la membrane se casse : cela fichait en l’air toute l’enquête.

J’arrivai sans accroc au rez-de-chaussée, descendis encore une demi-volée de marches quand, brusquement, toute la maison fut plongée dans le noir. Comme je l’ai déjà signalé, l’électricité s’était éteinte plusieurs fois auparavant, mais à chaque fois cela n’avait pas duré plus de quelques secondes, si bien que je m’arrêtai et décidai d’attendre.