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Saadat acquiesça de la tête et se pencha sur le gotchi. Celui-ci la repoussa.

— Me touche pas, femme ! J’ai beaucoup le sang ! La mer me plaît pas ! Pendant que j’étais occupé, c’est bon. Mais maintenant, je suis pas bien du tout.

Il a le mal de mer, comprit Fandorine. Tant qu’il était allongé, ça allait, mais dès qu’il s’est assis, la nausée lui est venue.

Son hypothèse se trouva dans l’instant vérifiée. Gassym se leva et s’affala, la poitrine contre le bord. Il poussa un rugissement. Il vomissait.

Profitant de l’état de faiblesse du gotchi, Zafar sortit un couteau et fendit habilement la tcherkeska, mettant à nu un dos puissant tout inondé de sang. L’eunuque pansa rapidement la blessure.

— Où a-t-il trouvé du sp-paradrap ?

— Les coureurs en ont toujours sur eux, répondit Saadat. Faites quelque chose ! Nous perdons du terrain !

Elle avait raison. L’écart allait croissant.

— T-tenez le volant. Fermement.

La proue aplatie du canot volait au-dessus des vagues à une vitesse vertigineuse – plus grande encore peut-être que celle d’une automobile filant sur une route bien entretenue. Eraste Pétrovitch s’y étendit et s’intima l’ordre de se fondre en tout avec le corps de l’embarcation. Il lui fallait faire mouche à une cinquantaine de mètres, avec une arme qui n’était pas adaptée au tir à grande distance, et sur un objet de faibles dimensions. Le problème était triplement compliqué : aussi bien la cible que la plate-forme sur laquelle se trouvait le tireur étaient animées d’un mouvement rapide, et toutes deux subissaient en outre de fortes secousses.

Néanmoins la seule solution qui restait dans la situation présente était d’endommager le moteur des bandits. Encore une minute ou deux, et ils seraient hors de portée de feu.

Je suis une partie du canot, se dit Fandorine, avant de se changer en ce vaisseau à moitié volant – un requin de métal affamé. Il fendait les flots de sa poitrine, lesquels bouillonnaient en se divisant en deux moitiés.

C’est le moment !

Le premier tir ne fut pas assez bon. À en juger par les étincelles qui jaillirent, la balle toucha le capot d’acier du moteur.

Second essai.

Même résultat !

Mauvais, très mauvais !

Mais aux passagers du Daimler pris en chasse, les coups de feu ne parurent pas si imprécis. Visiblement décidés à ne pas tenter le sort davantage (ou peut-être pour quelque autre raison), ils amorcèrent un virage sur la gauche et mirent le cap sur le rivage.

Eraste Pétrovitch renonça à utiliser d’autres cartouches. C’était son dernier chargeur, et il ne contenait plus que trois balles. Et puis à quoi bon ? L’adversaire ne cherchait plus à les semer, il semblait vouloir gagner la terre. Là, les bandits auraient un peu de mal à lui échapper.

La côte se rapprochait à toute allure. Elle était haute et abrupte.

— Qu’est-ce que c’est que cet endroit ? cria Eraste Pétrovitch.

— Je ne sais pas ! répondit Mme Validbekova. Nous avons passé le cap Choulan, par conséquent nous ne sommes pas loin de Mardakiany.

— Cramponnez-vous s-solidement. Nous arrivons sur les hauts-fonds.

Le Daimler des malfaiteurs s’était déjà échoué sur le sable, y dessinant une longue traînée noire. Trois silhouettes couraient sur la ligne du ressac. Il aurait été facile à présent de les abattre : Fandorine avait pile le bon nombre de balles. Mais à quoi bon ? Si ces nigauds ne se dispersaient pas, ce serait un jeu d’enfant que de les rattraper et de les capturer vivants.

La coque crissa contre le fond. L’arrêt ne fut guère brutal, Eraste Pétrovitch ayant réduit la vitesse par précaution.

— Gassym, tu peux c-courir ?

Le gotchi se redressa, chancela, se rassit.

— Le jambe est mauvais ! Il ne tient pas debout ! rugit-il d’une voix pleine de larmes. Quelle honte ! Honte à moi ! Les tripes dehors devant femme ! Et maintenant le tête qui tourne !

Le temps manquait pour le consoler. Zafar avait déjà sauté dans l’eau, il prit la Validbekova dans ses bras et la porta jusqu’en terrain sec.

— Je les vois ! Ils sont là-bas !

Saadat tendait la main vers l’avant.

Parfait, les trois restaient groupés. Et couraient droit vers la falaise. Ils comptaient l’escalader peut-être ? Très bien.

Fandorine dépassa l’eunuque et la dame. Après cette longue poursuite sur les vagues, le sol semblait vaciller sous ses pieds.

L’affaire touchait à son dénouement.

Un martèlement de pas retentit derrière lui. Il se retourna et vit Gassym qui courait à toutes jambes dans sa direction. Il avait donc repris ses esprits. Voilà qui tombait bien. Saadat trébucha et s’affala par terre. Zafar l’aida à se relever. S’était-elle fait mal ? Apparemment, non.

Fandorine avait laissé les bandits sortir de son champ de vision durant quelques secondes à peine, et quand il regarda de nouveau face à lui, il n’en crut pas ses yeux. Ils s’étaient volatilisés !

Le rivage était désert. Personne n’escaladait l’à-pic. Le fond gris de la falaise n’offrait aucun endroit où se cacher.

Quel était ce tour démoniaque ?

— Ils ont disparu ! s’écria Saadat en levant les bras au ciel. Où sont-ils ?

Gassym, soufflant comme un bśuf, fit halte et se gratta la nuque sous son papakha.

— Vaï, chaytan…

Eraste Pétrovitch était déconcerté. Ces trois coupe-jarrets n’étaient tout de même pas des anges du bon Dieu, capables de s’élever d’un coup d’ailes à la cime des cieux.

Seul Zafar n’avait exprimé aucun sentiment – ni étonnement ni désespoir. Il courut jusqu’au pied de la falaise, tourniqua là-bas un moment, se déplaça sur la gauche, puis sur la droite. Se retourna et agita la main : par ici, vite !

Entre deux blocs de rochers, presque indiscernable dans l’obscurité, une porte se dessinait en gris. Elle ne présentait pas de cadenas ni même de trou de serrure, mais était munie d’une poignée. Fandorine actionna celle-ci. En vain. Sans doute y avait-il un verrou à l’intérieur.

Ainsi, ce n’était pas un hasard si les ravisseurs avaient accosté en cet endroit précis.

— Gassym !

Le gotchi ramassa par terre une énorme pierre, la souleva au-dessus de sa tête et la lança contre la porte, laquelle s’effondra dans un grand fracas.

Eraste Pétrovitch, qui s’attendait à voir un trou noir béant, fut surpris. Par la fente taillée dans la roche sourdait une faible lumière électrique.

— Suivez-moi !

Après quelques mètres, le boyau se faisait plus large et plus haut. Quelque part en avant, à faible distance, retentissait l’écho d’une sorte de roulement de tambour : les pas précipités de plusieurs individus.

Fandorine atteignit avant les autres le premier tournant ; comme il en passait le coin, il fut rejoint par l’eunuque. Celui-ci se déplaçait tout aussi silencieusement, mais à une allure encore plus vive.

La galerie, éclairée par des plafonniers fixés à la voûte de pierre, décrivit un nouveau zigzag, et Eraste Pétrovitch aperçut devant lui trois hommes qui lui tournaient le dos. Zafar était déjà presque à leur hauteur. Un objet brilla dans la main levée du Persan.

— Il les faut vivants ! cria Fandorine.

L’eunuque balança le bras – un des fuyards s’écroula en poussant un cri, tandis que les deux autres se prenaient à courir plus vite. Eraste Pétrovitch força l’allure lui aussi.

Zafar sauta par-dessus sa victime.

Fauchée en pleine course, celle-ci était cependant bien vivante. De sa cuisse droite ne ressortait que le manche d’un couteau à lancer, auquel le blessé se cramponnait en gémissant de douleur.