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Des Essars regarda Holmes, puis Fandorine. Leurs visages étaient impénétrables. Il reporta ses yeux sur moi : je poussai un soupir. Le Japonais souriait d’un air énigmatique.

— … Vous n’êtes pas arrivés à déchiffrer le code, c’est ça ? demanda sans espoir le châtelain.

Holmes et Fandorine se regardèrent. Ni l’un ni l’autre n’ouvrirent la bouche.

— Ce qui veut dire qu’il va falloir donner l’argent, n’est-ce pas ?

Des Essars regarda le sac de cuir et cligna des paupières.

— Bien entendu. Nous n’allons pas mettre en d-danger la vie de la jeune fille pour une histoire d’amour-propre.

Le Russe posa sur Holmes un regard inquisiteur. Mon ami plissa les yeux et, après un temps de réflexion, secoua la tête d’un air maussade : non, nous ne le ferons pas.

Fandorine se tourna vers le maître de maison.

— M. Holmes et moi-même avons agi indépendamment, mais à partir de maintenant nous essaierons d’unir nos efforts. Nous allons organiser un « b-brain-storming ». Il nous reste un peu plus de deux heures jusqu’au moment où, conformément aux conditions fixées par Lupin, nous devrons quitter la maison, à savoir onze heures et demie… Vous pouvez aller, sir, vous avez fait ce que vous deviez faire. Désormais, vous ne pouvez plus que nous déranger.

Des Essars ne se le fit pas répéter deux fois.

— Mais je peux peut-être attendre dans mon bureau ?

— Non, allez p-plutôt rejoindre M. Bosco. La liaison téléphonique extérieure est certes toujours en panne (et tout porte à croire que Lupin n’est pas étranger au fait), mais la ligne intérieure fonctionne. Nous pourrons communiquer si besoin est.

Mais le maître de maison se dandinait d’un pied sur l’autre, comme s’il ne pouvait se résoudre à nous laisser. Apparemment, il voulait dire quelque chose mais n’osait pas. Finalement, rassemblant son courage, des Essars exposa ce qui le chagrinait :

— Messieurs, je vous demande… Non, j’exige que vous me donniez votre parole d’honneur que, si vous ne parvenez pas à déchiffrer le code, vous partirez d’ici au plus tard à onze heures et demie. Au nom de ma pauvre Eugénie !

— Vous avez ma parole, promit le Russe.

De son pouce, Shibata dessina une grande croix sur son ventre, ce qui, pour les Japonais, devait figurer un serment sur l’honneur.

Holmes et moi nous contentâmes d’acquiescer de la tête. Chacun sait que le hochement de tête d’un Anglais vaut mille fois le plus enflammé des serments venant de n’importer quel étranger.

— Que la calèche reste attelée devant la porte, dit Fandorine, définitivement persuadé d’être le maître des opérations. Elle a juste cinq places, deux devant et trois derrière. Si nous n’arrivons pas à trouver la b-bombe, eh bien, à onze heures et demie pile, après avoir pris avec nous le docteur Lebrun, nous monterons dans la calèche et quitterons le château. Vous êtes satisfait ?

Des Essars fit une brusque volte-face et sortit. J’eus l’impression que le malheureux était étranglé par les sanglots.

La pendule sonna un coup, annonçant la demie, mais le « brain-storming » dont avait parlé le Russe (expression fort étrange) ne commençait toujours pas.

Les deux détectives rivaux ressemblaient à des escrimeurs expérimentés, sur le point de croiser le fer. Aucun des deux ne s’empressait de faire le premier pas.

Holmes se leva à demi sans se départir de son flegme, dénoua les cordons du sac et en sortit une liasse de billets de cent francs, puis une autre. Je me dressai à mon tour – il faut dire qu’on n’a pas tous les jours l’occasion de voir autant d’argent d’un coup.

Les billets étaient soigneusement rangés comme des briques dans un mur. Chaque liasse était entourée d’un élastique.

Après avoir palpé un billet, l’air pensif, Holmes remit les liasses en place et secoua la tête. Je compris parfaitement ce qu’il voulait dire : à quelles folies les gens ne sont-ils pas prêts pour ces petites feuilles de papier rectangulaires émises par le Trésor !

Il alluma sa pipe, Fandorine un cigare. Je commençais à trouver puérile cette manśuvre d’intimidation.

Finalement, il fallut bien que quelqu’un se comporte en adulte.

— Ne serait-il pas temps de passer au « brain-storming » ? demanda Fandorine. Que signifient, selon vous, ces chiffres et ces lettres ?

Le Japonais lança un rapide regard à son patron, se leva lentement et sortit, comme s’il ne souhaitait pas assister à la délibération. C’était pour le moins étrange.

— Ils signifient que le criminel cherche à nous d-détourner de l’enquête, déclara le Russe avec un calme extrême. Pourquoi avait-il besoin de nous fournir cet indice, telle est la question que je me suis posée. Selon moi, la réponse est évidente. Lupin supposait, à juste titre, que M. des Essars ne s’adresserait pas aux policiers, mais à un détective privé. Le calcul du maître chanteur est simple. Le temps de l’enquêteur est déjà compté, et il le sera encore plus s’il le gâche à démêler cette idiotie.

— Très intéressante déduction ! s’exclama Holmes en reposant sa pipe et en faisant mine d’applaudir.

Etait-il sérieusement admiratif de Fandorine ou bien était-ce de l’ironie ? Je n’aurais su le dire.

— Que proposez-vous, sir ? demanda-t-il. Pouvez-vous exposer votre plan d’action ?

— Avec plaisir. A onze heures et demie précises, conformément aux conditions posées par Lupin, cinq hommes descendront les marches du perron de l’entrée d’honneur, monteront dans la calèche et sortiront du parc. Miss Eugénie restera dans la tour, et le sac d’argent sur la table.

Je ne pus retenir une exclamation venimeuse :

— Excellent plan, rien à dire !

Holmes posa sa main sur mon poignet :

— Attendez, Watson. M. Fandorine n’a pas terminé.

Un bruit de pas nous parvint depuis le couloir. Le Japonais entra, traînant sous ses bras deux mannequins pris parmi ceux que nous avions vus dans la cave. Il éternua bruyamment et posa par terre les deux grandes poupées.

— Seuls le p-professeur, mister Watson et Massa partiront. Ainsi que ces deux messieurs de ouate. Nous habillerons le premier de mon manteau et de mon haut-de-forme, le second du pardessus et du chapeau de mister Holmes. Comme vous le savez, devant la maison s’étend un espace découvert. Les deux seuls postes d’observation possibles se trouvent, l’un du côté du ravin, à cinq cents bons pas du perron, l’autre à l’extrémité opposée de la prairie, et c’est encore plus loin. De plus, le parc est plongé dans une complète obscurité. Lupin ou ses acolytes n’apercevront qu’un groupe compact de gens sortant de la maison et montant dans la calèche. Quand l’équipage passera à proximité d’eux, il ne sera déjà plus possible, parmi cinq silhouettes immobiles, de faire la différence entre les hommes et les mannequins.

— Quant à nous deux, nous resterons ici et vérifierons jusqu’à quel point M. Lupin maîtrise les subtilités de la lutte orientale ! compléta Holmes en s’esclaffant. J’ai deviné que vous mijotiez quelque chose dans ce genre dès que vous avez transformé la maison en bouteille bouchée. Le vestibule est un lieu d’embuscade idéal.

Dois-je l’avouer ? A cet instant, j’ai éprouvé un certain malaise pour mon célèbre ami. Il me sembla qu’il ne se conduisait pas tout à fait comme aurait dû le faire un gentleman, prenant un ton condescendant qui rappelait trop celui qui fait bonne mine à mauvaise fortune. Il est vrai que le plan de mister Fandorine, au demeurant brillant, avait été conçu sans notre participation.

Le téléphone sonna.

Etant le plus proche de l’appareil, je saisis le cornet.

C’était des Essars.