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On voyait que Holmes était blessé par mes propos, qu’il devait assimiler à du délire ou, pis, à de la trahison.

— Eh bien, messieurs les grands connaisseurs de la nature féminine, dit-il en tirant avec fureur sur sa pipe, dans ce cas, je me tais. Je suis prêt à entendre votre version des choses.

Je me tus, car, d’une part, je me faisais l’impression d’être un traître, et, de l’autre, je n’avais aucune hypothèse à proposer.

Le Japonais revint et, sans mot dire, se posta sur le seuil de la porte. Sa joue était barrée d’un sparadrap immaculé. Fandorine et lui échangèrent quelques mots dans leur sabir, après quoi Shibata recula dans le couloir, jusqu’au pied de l’escalier.

— Je suis d’accord que la b-bande se compose de deux complices…

Le Russe s’adressait prioritairement à Holmes. C’était un duel entre deux habitants de l’Olympe, à moi et au Japonais étant dévolu le rôle de spectateurs muets. D’ailleurs, je ne prétendais pas à plus.

— L’un d’eux est « Bosco », le deuxième, « Lebrun ». Nous n’avons pas pu les prendre la main dans le sac. Et nous ne disposons d’aucune preuve autre qu’indirecte. Bosco se promène en liberté, mais le « professeur » en revanche ne peut s’échapper de la tour. Massa surveille l’escalier.

— Et la jeune fille ? ne pus-je m’empêcher de demander, sortant de mon strict rôle de figurant. N’oublions pas qu’elle est entre ses mains !

— Il n’a rien à faire de la jeune fille. C’est le s-sac d’argent qui l’intéresse. Les criminels sont certains qu’ils arriveront à nous berner. La farce des coups de feu en est la preuve évidente. Qu’ils continuent à faire les malins. Nous allons sans faute faire subir un interrogatoire en règle au pseudo-professeur, mais, d’abord, il nous faut trouver la bombe ; il nous reste très peu de temps avant l’heure fatidique. Je suis absolument convaincu que la cachette existe effectivement. Et je crois savoir comment la trouver…

— Vraiment ? s’empressa de demander Holmes. Curieux. Dans ce cas, l’arrestation du « professeur » peut en effet attendre. Dites, Watson, essayez donc de vous mettre à nouveau en liaison avec des Essars. Nous allons vérifier s’il est toujours sur place ou s’il s’est empressé de rentrer au château pour nous épier.

Je tournai la manivelle.

Le châtelain répondit immédiatement.

— Seigneur, je pensais que le téléphone était de nouveau coupé ! Docteur, c’est vous ? Que dois-je faire ? Bosco n’est toujours pas rentré…

D’un geste éloquent, je montrai à Holmes l’appareil téléphonique, comme pour lui dire : constatez vous-même. Des Essars n’avait disparu nulle part, il attendait toujours chez le régisseur et était dans l’impossibilité complète d’entendre ce que nous disions. Mon ami grimaça, eut une mimique irritée : il détestait souverainement reconnaître ses erreurs.

Ainsi, des Essars recommença à me piailler dans l’oreille ; toutefois, ce n’était pas lui que j’écoutais, mais Fandorine.

— C’est p-pour l’instant une supposition qu’il convient de vérifier. Mais elle est vraisemblable. (Le Russe jeta un rapide regard à la pendule qui indiquait onze heures moins dix, et accéléra son débit.) Quand nous avons fait le tour de cette étrange maison, il y avait beaucoup trop de choses curieuses et insolites. Cela a distrait notre attention, raison pour laquelle il y a un détail qui ne m’est revenu qu’après coup. Avez-vous remarqué qu’un seul endroit dans la cave était gardé dans un état d’ordre et de propreté absolument parfait ?

Holmes eut un sourire protecteur.

— Cela va de soi. Le « salon à orgue ». Très bien, monsieur Fandorine, continuez.

— J’avais aussi noté ce détail ! dis-je. Et l’image représentant Méphistophélès m’a semblé particulièrement suspecte. Je l’ai même enlevée et j’ai tiré sur le crochet auquel elle est suspendue, vous vous souvenez ?

— Un moment, Watson. Ce n’est pas de peinture que mister Fandorine veut nous parler, mais d’une autre sorte d’art.

Le Russe cligna des yeux imperceptiblement.

— Ce qui veut dire que v-vous aussi… ? fit-il, interloqué.

« Aussi » quoi ? Que voulait-il dire ? Il est difficile d’assister à une conversation entre gens infiniment plus perspicaces que soi et qui, en plus, se pavanent l’un devant l’autre.

— Et qu’est-ce que vous croyiez ? dit Holmes avec un ricanement.

Fandorine était en plein désarroi.

— Ah mais oui, bien sûr, vous êtes violoniste. Alors que moi, je n’ai jamais étudié la musique.

Là, ma patience atteignit ses limites.

— Ecoutez, messieurs ! Cessez de parler par énigmes ! C’est impoli vis-à-vis de moi et, finalement, tout simplement stupide. Pendant que vous paradez l’un devant l’autre, l’heure tourne, un criminel se balade dans la nature, un autre…

Je n’eus pas le loisir de terminer, car de nouveau la lumière s’éteignit et je m’arrêtai au milieu de ma phrase.

Cette fois, les caprices de l’alimentation électrique (ou un nouveau mauvais tour de Lupin) ne nous prirent pas au dépourvu. Fandorine remua les braises dans la cheminée, mais elles étaient complètement éteintes. J’allumai alors les bougies et la salle à manger s’éclaira de nouveau. Pas aussi vivement que précédemment, mais bien assez pour que nous puissions nous voir les uns les autres.

— Danna ! appela Shibata depuis le couloir.

Puis il ajouta encore autre chose.

— Massa dit qu’on entend de d-drôles de bruits dans la tour.

Nous tendîmes l’oreille.

En effet, d’en haut parvenait une voix. Frêle, à moitié plaintive, à moitié apeurée.

— Ne serait-il pas mieux de monter dans la t… ? commençai-je.

Je fus interrompu par un hurlement déchirant. C’était Mlle Eugénie qui criait !

Sans nous donner le mot, nous bondîmes tous les trois. Le Japonais n’était plus dans le couloir, il devait déjà se trouver dans l’escalier.

Holmes et moi avions dû contourner la longue table, si bien que nous sortîmes les derniers de la salle à manger, de surcroît en nous cognant l’un contre l’autre au passage de la porte.

— Restez là ! Le sac ! me chuchota Holmes au creux de l’oreille.

Fandorine et lui tournèrent dans l’escalier et grimpèrent les marches quatre à quatre, tandis que je restais seul dans le couloir obscur.

Holmes est un génie, me dis-je en cet instant. C’est très probablement une nouvelle ruse de Lupin pour nous éloigner de la salle à manger et s’emparer de l’argent. Cependant, dans le cri de miss Eugénie perçaient une terreur authentique et une souffrance…

Bon, mais dans quelques instants les détectives seraient là-haut et lui viendraient en aide ; moi, pendant ce temps, j’avais ma propre mission.

Je sortis mon revolver, cherchai autour de moi un endroit où me cacher, et avisai la porte entrouverte d’un placard. De là, on devait parfaitement voir l’ensemble de la salle à manger.

Penché en avant, j’avançai dans l’étroit espace qui sentait la poussière et heurtai quelque chose de mou et de manifestement vivant. Un cri s’échappa de ma poitrine, ou plutôt faillit s’échapper, car une main de fer me ferma la bouche.

— Sut, senseï, sut ! me murmura-t-on à l’oreille.

Je compris que c’était Shibata. Il ne s’était pas précipité dans l’escalier, mais, en entendant le cri de Mlle Eugénie, s’était immédiatement caché dans le placard, sans doute dans la même intention que moi. Intéressant, pensai-je en m’efforçant de calmer les battements de mon cśur, est-ce lui qui est tellement intelligent ou bien Fandorine et lui avaient-ils prévu d’avance la tournure que prendraient les événements ?