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Je m’apprêtais à poser la question à mon voisin, mais je reçus un violent coup de coude dans les côtes.

— Sut !

Des pas ! Du côté de la porte principale !

Nous nous collâmes contre l’entrebâillement. Dans la mesure où je suis plus grand, la tête du Japonais se trouvait à la hauteur de mon faux col, et sa brosse me chatouillait le menton.

Bosco ! C’était Bosco !

Il passa la tête par la porte, jeta un regard circulaire dans la pièce, avança sur la pointe des pieds jusqu’à la table, ouvrit le sac et commença à fouiller dedans. Je me demande vraiment pourquoi il n’a pas tout simplement pris le sac en entier.

Avec un cri féroce, Shibata jaillit de notre cachette. Je le suivis.

Il faut rendre cette justice au voleur : il ne se démonta pas.

Il s’agrippa des deux mains à la nappe, la tira à lui. Verres et assiettes se répandirent par terre, le candélabre tomba avec fracas et s’éteignit.

La salle à manger fut plongée dans l’obscurité et je perdis Bosco de vue.

De même que lui ne nous voyait pas. Dans le cas contraire, il eût été impossible d’éviter une effusion de sang, car, la seconde suivante, le régisseur ouvrait le feu.

Le tir à faible distance, en un lieu fermé, de surcroît plongé dans l’obscurité totale, est un phénomène impressionnant. Il rappelle la foudre qui tombe à proximité, mais en plus spectaculaire encore, surtout quand, juste au-dessus de votre tête, retentit un abominable sifflement. Une pluie de copeaux de bois tomba sur moi : c’était la maquette de frégate qui venait de voler en éclats.

Je tombai, fermai les yeux (j’ai honte de l’avouer, mais c’est la vérité) et tirai à l’aveuglette.

A l’autre extrémité de la maison résonnèrent aussi des coups de feu : un, deux, trois. Holmes et Fandorine étaient à leur tour la cible de tirs.

La porte claqua. Je compris que Bosco venait de sortir en coup de vent de la salle à manger. Je bondis sur mes pieds, mais je n’eus pas fait deux pas que de nouveau je me retrouvai par terre : j’avais trébuché sur quelque chose. C’était le sac de cuir. Parfait ! Le criminel était parti les mains vides.

Cela me redonna instantanément de l’énergie.

Le Japonais ramassa le sac et le serra contre lui. Bah, de toute façon je n’avais rien à attendre de mister Shibata. Il n’avait pas d’arme et ne pouvait donc pas m’aider. Qu’il garde au moins l’argent.

Je jetai un coup d’śil par la porte et distinguai dans le noir une silhouette qui avait presque atteint l’entrée. C’était la seule voie de retraite, Fandorine et son assistant ayant prudemment bouclé toutes les autres issues. Il était impossible d’imaginer qu’il tourne à gauche. Il allait filer dehors et on pourrait toujours courir pour le repérer dans le parc obscur. Le coude droit en appui sur la paume gauche, je tirai à plusieurs reprises, visant non l’homme qui courait mais le jambage de la porte. Apparemment, ma main ne me trahit pas. A en juger par le bruit, les balles avaient atteint leur cible : un craquement de bois se fit entendre, suivi du sifflement des ricochets.

L’ombre fit un bond vers la droite et, évitant l’entrée, se rua dans la salle de billard. Et maintenant, il était fait comme un rat !

Je courus le premier, mon revolver prêt à tirer. Le Japonais me suivit, étreignant toujours son sac. Dans l’escalier latéral, de nouveaux coups de feu déchirèrent la nuit.

Je dois dire avec fierté que, remis de ma frayeur initiale, j’avais recouvré toute ma présence d’esprit. Shibata, lui, n’était visiblement pas tranquille et se tenait tout le temps derrière moi. Quand je pense que la nation des samouraïs est censée ignorer la peur…

J’avais à peu près en tête la disposition de la maison. Au premier étage, Bosco tourna à gauche, où se trouvait une pièce pourvue d’une unique porte. De là, le fuyard n’avait d’autre issue que de sauter par la fenêtre. Mais sauter du premier étage d’un château français était une entreprise risquée. On avait toutes les chances de se rompre les os.

C’est pourquoi je ne me pressai pas.

Je jetai un coup d’śil dans la pièce, très prudemment afin de ne pas me retrouver sous le feu du criminel. Et bien m’en prit ! Juste au-dessus de mon oreille retentit un bruit infect. Celui d’une balle qui avait échoué dans un gond de la porte.

Je reculai d’un bond, mais ce que j’eus le temps de voir me déplut prodigieusement.

Bosco était debout sur l’appui de la fenêtre ouverte, et s’apprêtait manifestement à sauter. Et s’il avait de la chance et qu’il s’en sorte indemne ? Le sol devait se trouver à une vingtaine de pieds. Bien sûr, c’était haut, mais un miracle peut toujours arriver.

Je pris immédiatement ma décision. J’avançai de nouveau et tirai sur la silhouette noire facile à distinguer sur le rectangle grisâtre de la fenêtre. Je voulais tirer dans la jambe, mais je n’eus pas le temps de viser. Bosco abaissa le chien en même temps que moi. Je plongeai de côté pour m’abriter. Mentalement, je calculai combien il restait de balles dans le magasin. A priori une seule.

Shibata était contre le mur, assis sur le sac, dans un endroit parfaitement protégé, et, avec un calme olympien, il attendait que cesse la fusillade. Je me souviens que cela me mit dans une rage folle.

— C’est mieux de pal telle, prononça-t-il paisiblement.

Je ne compris pas immédiatement ce qu’il voulait dire. De par terre ? En effet. Ce n’était pas un mauvais conseil.

Allongé sur le ventre, je me glissai de nouveau dans l’embrasure de la porte.

Le régisseur n’était plus sur le rebord de la fenêtre, seuls battaient les volets.

Me relevant, je m’engouffrai dans la pièce. Vide. Il avait tout de même sauté !

Regarder par la fenêtre n’avait pas de sens. Qu’aurais-je pu distinguer dans la nuit noire ?

— Vite, dans le parc ! criai-je. Il s’est peut-être cassé une jambe !

Mais Shibata me retint et me dit d’une voix toujours aussi impassible :

— Il ne faut pas aller dans le palc. Mais dans la toul.

Il avait raison. Une fois de plus, il avait raison ! Si Bosco avait réussi à sauter sans se faire de mal, il n’y avait aucune chance de le rattraper. S’il était blessé, il n’irait pas loin.

Comment avais-je pu oublier qu’à l’autre extrémité du château se déroulait aussi une fusillade ? Holmes et Fandorine avaient peut-être besoin d’aide.

Nous traversâmes en courant les pièces vides. Nos pas se répercutaient bruyamment sous les hautes voûtes.

XIII

Dans l’escalier principal et dans le « salon des divans », il n’y avait pas âme qui vive. Le Japonais montra du doigt une fente dans un lambris mural. Une balle s’était logée là.

Aucun bruit ne provenait de la tour.

— Holmes ! appelai-je. Où êtes-vous ?

Une voix courroucée me répondit depuis l’étroit passage.

— Venez, Watson, venez ! J’espère au moins que vous n’avez pas laissé filer le vôtre ?

Je me faufilai dans la tranchée. L’Asiate prit son élan et s’y rua à ma suite.

La tour n’était éclairée que par le feu qui brûlait dans la cheminée. La lueur écarlate donnait au spectacle qui s’offrit à mes yeux une apparence lugubre.

Par terre, raide comme un filin tendu à l’extrême, était allongée miss Eugénie. Elle était immobile, les yeux fermés. Au-dessus de la jeune fille était penché Fandorine, sinistre.