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— Quelle heure ?

— Midi. Précis. »

Ils empruntèrent l’escalier.

« Je venais d’atteindre le deuxième, quand deux hommes sont arrivés vers moi en courant.

— Décrivez-les, s’il vous plaît.

— Tout s’est passé trop vite. La trentaine, les deux. L’un avait un costume brun, l’autre un anorak vert. Cheveux courts. C’est à peu près tout.

— Qu’est-ce qu’ils ont fait en vous voyant ?

— Ils m’ont simplement repoussée. Celui à l’anorak a dit quelque chose à l’autre, mais je n’ai pas pu entendre. Il y avait un boucan de foreuse dans la cage d’ascenseur. Puis j’ai continué jusque chez Stuckart et j’ai sonné. Personne n’a répondu.

— Et ?

— Je suis redescendue chez le portier. Je lui ai demandé d’ouvrir la porte de Stuckart, pour vérifier si tout allait bien.

— Pourquoi ? »

Elle hésita.

« Ces deux hommes : il y avait quelque chose. Un pressentiment. Vous savez, le sentiment qu’on éprouve lorsqu’on frappe à une porte et que personne ne répond, pourtant on est sûr qu’il y a quelqu’un.

— Et vous avez persuadé le portier d’ouvrir la porte ?

— Je lui ai dit que j’appelais la police s’il ne bougeait pas. Il aurait des comptes à rendre aux autorités s’il était arrivé un malheur au Dr Stuckart. »

Fine psychologie, pensa March. Trente ans aux ordres : l’Allemand moyen en était à ne plus assumer aucune responsabilité, même ouvrir une porte.

« Et vous avez découvert les corps ? »

Elle fit signe que oui.

« Lui d’abord. Il a crié et je me suis précipitée.

— Vous avez mentionné les deux hommes de l’escalier ? Qu’a dit le portier ?

— D’abord, il était trop occupé à vomir. Puis il a affirmé qu’il n’avait vu personne, que j’avais dû rêver.

— Vous pensez qu’il mentait ? »

Elle réfléchit.

« Non, je n’en ai pas l’impression. Je crois que sincèrement il n’a rien vu. D’autre part, je ne comprends pas comment il aurait pu les manquer. »

Ils n’avaient pas bougé du palier du deuxième, l’endroit où, disait-elle, ils étaient passés. March redescendit une volée de marches. Elle le suivit après une seconde d’hésitation. Une porte s’ouvrait sur le vestibule du premier étage.

« Ils auraient pu se dissimuler ici. Ou ailleurs ? »

Il avait l’air de se parler à lui-même. Ils continuèrent jusqu’au rez-de-chaussée. Deux portes. L’une vers le grand hall. March essaya la seconde. Elle n’était pas fermée.

« Ils auraient pu filer par ici. »

Des marches de béton brut, éclairées au néon, descendaient au sous-sol ; au bout s’amorçait un passage avec des portes de part et d’autre. March les ouvrit une à une. Des toilettes. Une réserve. Un groupe électrogène. Un abri antibombes.

La loi de 1948 sur la Défense civile du Reich prévoyait, pour chaque nouvel édifice, la construction d’un abri. Les immeubles de bureaux ou d’appartements devaient également disposer d’un générateur et d’un système de filtrage d’air. Ici, l’équipement était particulièrement soigné : lits superposés, rayons de stockage, réduit spécial pour les sanitaires. March tira une chaise jusqu’à la bouche d’aération, en haut du mur, à deux mètres et demi du sol. Il agrippa la protection métallique. Elle lui resta dans les mains. Toutes les vis avaient été enlevées.

« Le ministère de la Construction spécifie une ouverture de zéro cinquante », dit March.

Il défit son baudrier et le suspendit avec le luger au dossier de la chaise.

« S’ils avaient idée des problèmes que ça nous pose. »

Il ôta sa vareuse et la tendit à la journaliste, puis grimpa sur la chaise. Il explora le conduit avec la main, rencontra quelque chose de résistant, à quoi s’accrocher, et se hissa. Les filtres et le ventilateur avaient été démontés. En jouant des épaules sur l’enveloppe de métal, il parvint à progresser. L’obscurité était complète. La poussière l’étouffait. Ses mains, tendues devant lui, effleurèrent quelque chose et il poussa. La garniture extérieure céda et s’écrasa sur le trottoir. L’air de la nuit s’engouffra. Un moment, il fut pris du besoin irrésistible de ramper jusqu’à cet air. Il recula en se tortillant et redescendit vers l’abri. Il toucha le sol, couvert de poussière et de crasse.

La femme pointait le pistolet sur lui.

« Pan, pan. Vous êtes mort. (Elle sourit à son air de panique.) Humour américain.

— Très drôle. »

Il récupéra l’arme et la remit dans l’étui.

« O.K., voici plus marrant. Deux meurtriers sont surpris au moment de quitter un immeuble et la police allemande met quatre jours pour découvrir comment ils s’y sont pris. Désopilant, c’est pas votre avis ?

— Ça dépend peut-être des circonstances… (Il chassait la poussière sur sa chemise.) Par exemple, si la police trouve un mot à côté d’une des victimes, autographe, expliquant le suicide… je peux comprendre que personne ne se donne la peine de chercher plus loin.

— Mais vous arrivez et vous cherchez plus loin.

— Je suis du genre curieux.

— Manifestement. (Elle sourit à nouveau.) Donc Stuckart a été liquidé et les meurtriers ont essayé de camoufler la chose en suicide ? »

Il hésita.

« C’est une possibilité. »

March regretta aussitôt ses paroles. Elle l’avait amené à en lâcher plus qu’il n’était sage sur la mort de Stuckart. Cette légère lueur de moquerie dans ses yeux… Il était furieux de l’avoir sous-estimée. Elle avait cette ruse qu’ont en commun les journalistes et les repris de justice. Il songea à la reconduire chez Heini’s et à poursuivre seul, puis il se reprit. C’était idiot. Pour savoir ce qui s’était passé, il devait voir au travers de ses yeux à elle.

Il boutonna sa veste.

« À présent, inspection de l’appartement du camarade du Parti Stuckart. »

Cela eut au moins le mérite — il le nota avec satisfaction — d’effacer le sourire sur le visage de la jeune femme. Mais elle ne recula pas. Il remarqua aussi, pour la deuxième fois, qu’elle était à peu près aussi désireuse que lui de visiter l’appartement.

Ils prirent l’ascenseur jusqu’au quatrième. En sortant, il entendit une porte s’ouvrir dans le corridor, sur la gauche. Il entraîna Charlotte Maguire par le bras et la guida derrière le coin, hors de vue. En jetant un coup d’œil, il vit une femme d’âge mûr, en manteau de fourrure, se diriger vers l’ascenseur. Serré contre elle, un petit chien.

« Vous me faites mal au bras.

— Pardon. »

Il finissait par avoir peur de son ombre. La femme parlait doucement à l’animal ; elle entra dans l’ascenseur. March se demanda si Globus avait déjà récupéré le dossier chez Fiebes — s’il avait découvert que les clés manquaient. Il devait se dépêcher.

La porte de l’appartement avait été mise sous scellés dans la journée. De la cire rouge, près de la poignée. Un avis informait les curieux que les lieux étaient sous la juridiction de la Geheime Staatspolizei, la Gestapo, et que l’accès était interdit. March prit une paire de gants de cuir fin et fit sauter les scellés. La clé tourna sans difficulté dans la serrure.

« Ne touchez à rien. »

Encore du luxe, à l’image de l’immeuble. Miroirs ouvragés dorés à la feuille, tables et chaises anciennes, aux pieds grêles, garnies de soie damassée ivoire, moquette bleu roi et tapis persans. Le butin de guerre, les fruits de l’Empire.