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Stiefel se redressa et laissa échapper un long soupir.

« Un ! »

Le premier chiffre de la combinaison.

Comme Stiefel, Jaeger ne pouvait s’empêcher de loucher du côté de la femme. Elle restait sagement assise sur l’une des chaises dorées, les mains croisées sur ses genoux. Une femme, une étrangère, bon sang !

« Six. »

Cela se poursuivit à ce rythme, un chiffre toutes les quelques minutes. À onze heures trente-cinq, Stiefel demanda à March :

« Le proprio, il est né quand ?

— Pourquoi ?

— Pour gagner du temps. Je pense qu’il l’a réglé sur sa date de naissance. Là, j’ai : un — six — un — un — un — neuf. Le seize du onze, dix neuf… »

March vérifia ses notes — la notice du Wer Ist’s ?

« Dix neuf cent deux.

— Zéro, deux. »

Steifel essaya la combinaison. La porte s’ouvrit.

« C’est généralement l’anniversaire du proprio. Ou l’anniversaire du Führer, ou le jour du Renouveau national. Il est à vous. »

Le coffre n’était pas grand : quinze centimètres cubes, ni billets ni bijoux, seulement des papiers, jaunis pour la plupart. March les empila sur la table pour les parcourir.

« J’aimerais partir maintenant, Herr Sturmbannführer. »

March l’ignora. Noués par un ruban rouge, des titres de propriété — Wiesbaden, apparemment la maison familiale. Des actions. Hoesch, Siemens, Thyssen : le choix classique — sauf les sommes investies, plutôt astronomiques. Des polices d’assurances. Une note humaine : une photo de Marie Dymarski, dans une pose tarte à la crème des années cinquante.

Soudain, près de la fenêtre, Jaeger poussa un cri d’avertissement.

« Ils sont là ! Ah, toi ! nom de Dieu, espèce de dingue, bordel de merde ! »

Une BMW grise banalisée faisait le tour du square, à toute allure, suivie par un camion militaire. Les véhicules braquèrent en s’arrêtant, bloquant la rue. Un homme en manteau de cuir à ceinture bondit de la voiture. Le hayon arrière du camion s’ouvrit sous les coups de pied et un groupe SS de choc armé de pistolets-mitrailleurs sauta du camion.

« Vite, vite ! » cria Jaeger.

Il se mit à pousser Charlotte et Stiefel vers la porte. Les doigts tremblants, March fouillait dans les derniers papiers. Une enveloppe bleue, sans inscription. Quelque chose de lourd dedans. Le rabas de l’enveloppe était ouvert. Il vit un en-tête de lettre gravé sur plaque — Zaugg et Cie, banquiers — et la fourra dans sa poche.

La sonnette de la porte de rue se déchaînait — de longs coups insistants.

« Ils doivent savoir que nous sommes ici ! »

Jaeger demanda :

« Qu’est-ce qu’on fait ? »

Stiefel était gris. La femme ne semblait pas comprendre ce qui se passait.

« La cave ! cria March. Ils ne nous ont pas encore. L’ascenseur ! »

Les trois autres se précipitèrent dans le corridor. Il fourra précipitamment les papiers dans le coffre, claqua la porte, brouilla le mécanisme, ajusta le miroir. Il n’avait plus le temps de s’occuper des scellés brisés. Ils retenaient l’ascenseur pour lui. Il se serra dans la cabine qui commença sa descente.

Troisième, deuxième…

March pria pour qu’il ne s’arrête pas au rez-de-chaussée. Gagné ! Les portes s’ouvrirent sur le passage en sous-sol. Désert. Au-dessus d’eux, les talons de la section martelaient le dallage de marbre.

« Par ici ! »

Il les mena à l’abri antibombes. La grille de ventilation était là où il l’avait laissée, contre le mur.

Stiefel avait compris. Il courut vers la bouche à air, leva sa trousse au-dessus de sa tête et la jeta dans le conduit. S’agrippant au rebord de brique, il voulut se hisser ; ses pieds cherchaient un point d’appui sur le mur lisse. Il cria par-dessus son épaule :

« Aidez-moi ! »

March et Jaeger le prirent par les jambes et poussèrent. Stiefel se tortilla tête la première dans l’orifice et disparut.

Ça se rapprochait — le raclement et le claquement des bottes sur le béton. Ils avaient trouvé l’accès au sous-sol. Quelqu’un criait.

March, à la journaliste :

« À vous !

— Je me permets d’attirer votre attention. (Elle désignait Jaeger.) Il n’y arrivera jamais. »

Les mains de Jaeger se portèrent à sa taille. Elle avait raison. Il était trop gros.

« Je reste. Je trouverai quelque chose. Vous deux, filez.

— Non. »

Ça tournait à la farce. March prit l’enveloppe dans sa poche et la fourra dans la main de Charlotte Maguire. « Prenez ceci. On peut être fouillés.

— Et vous ? »

Elle tenait ses ridicules chaussures dans une main et montait déjà sur la chaise.

« Attendez que je vous fasse signe. Pas un mot, à personne. »

Il l’agrippa, serra ses mains sous les genoux de la fille et poussa. Elle était si légère, il en aurait pleuré.

Les SS envahissaient les caves. Le couloir… le fracas des portes brutalement ouvertes.

March remit la grille en place et écarta la chaise.

Jeudi 16 avril

Quand le règne du National-Socialisme sera établi depuis suffisamment longtemps, il sera impossible même de concevoir un autre genre de vie que le nôtre.

Adolf Hitler, 11 juillet 1941

1

La BMW grise descendait la Saarlandstrasse, vers les hôtels endormis et les magasins déserts du centre de Berlin. Devant la masse sombre du Muséum fur Völkerkunde, elle prit à gauche, la Prinz-Albrecht-Strasse, où était le quartier général de la Gestapo.

Il existait une hiérarchie des voitures, comme du reste. L’Orpo pouvait se contenter des petites Opel minables. La Kripo roulait en Volkswagen — une version quatre portières de la KdF-wagen originale, la Coccinelle des travailleurs produite par millions dans l’usine de Fallersleben. La Gestapo avait droit à plus chic. Ses hommes se déplaçaient en BMW 1800 — de sinistres caisses au moteur gonflé, carrossées de gris.

Tassé à l’arrière, à côté de Max Jaeger, March ne quittait pas des yeux l’homme qui les avait arrêtés, le maître d’œuvre du raid sur l’immeuble de Stuckart. Quand on les avait ramenés dans le hall d’entrée, il les avait salués à l’hitlérienne, impeccable :

« Sturmbannführer Karl Krebs, Gestapo ! »

Sur le moment, il n’avait pas réagi. À présent, dans la BMW, de profil, il le situait : Krebs était l’un des deux officiers qui accompagnaient Globus, à la villa de Bühler.

L’homme avait environ trente ans. Un visage anguleux, intelligent — sans l’uniforme, celui d’à peu près n’importe qui : avocat, banquier, eugéniste, bourreau… C’était ça, les jeunes de son âge. Tous produits à la même chaîne : les Pimpfe, la Jeunesse hitlérienne, le Service national, la Force par la Joie. Ils avaient tous vibré aux mêmes discours, digéré les mêmes slogans, avalé les mêmes plats uniques pour le Secours d’Hiver. Les battants du régime ! Ils ne connaissaient d’autre autorité que celle du Parti, aussi fiables et standards que les Volkswagen de la Kripo.

La voiture freina ; Krebs, dans le mouvement, fut sur le trottoir, leur ouvrant la portière.

« Par ici, messieurs, s’il vous plaît. »

March sortit et jeta un coup d’œil à l’arrière. Krebs avait pour eux des attentions de chef scout, mais à dix mètres, une autre BMW s’arrêtait, toutes portes déjà ouvertes ; des hommes armés en civil se précipitaient. Scénario identique depuis leur interception, Fritz-Todt-Platz. Ni coups de crosse dans le ventre, ni insultes, ni menottes. Un coup de téléphone au QG, suivi d’une invitation polie à venir « discuter plus avant de l’affaire ». Krebs leur avait simplement demandé de remettre leur arme. Poli, mais sous la correction, toujours, la menace.