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Le ton excédé du policier l’énervait.

« Écoutez. J’ai pratiquement toute l’histoire. Un trafic d’œuvres d’art. Deux dignitaires morts. Un troisième en fuite. Une tentative de défection. Un compte numéroté en Suisse. Au pire, seule, j’aurais pris un peu de couleurs à Zurich. Au mieux, j’aurais fait le coup du charme à M. Zaugg pour lui arracher une interview.

— Je vous fais confiance.

— Cessez de vous tracasser, Sturmbannführer. Je ne citerai pas votre nom. »

Zurich n’est qu’à une vingtaine de kilomètres au sud du Rhin. Ils perdaient de l’altitude. March termina son scotch et tendit son gobelet vers le chariot de l’hôtesse.

Charlotte Maguire vida le sien et le déposa près de celui de March.

« Nous avons le whisky en commun, Herr March. Au moins cela. »

Elle sourit.

Il se tourna vers le hublot. Elle avait le don de le tourner en bourrique, pensait-il. Le gros plouc teuton. D’abord, elle avait négligé de lui parler de l’appel de Stuckart. Puis elle l’avait manœuvré et était retournée avec lui à l’appartement. Ce matin, au lieu de l’attendre, elle avait été s’entretenir de banques suisses avec ce diplomate américain, Nightingale. Maintenant ceci. L’impression d’avoir en permanence une sale gamine sur les talons, collante, futée, casse-pieds, arnaqueuse, dangereuse. En douce, il tapota ses poches pour vérifier si la lettre et la clé y étaient toujours. Elle était fichue de les lui avoir piquées pendant qu’il dormait.

Le Junkers descendait rapidement. Comme dans un film accéléré, la campagne suisse défilait de plus en plus près. Un tracteur dans un champ, une route et quelques phares allumés dans la brume du crépuscule, puis — un bond, deux —, ils touchèrent le sol.

L’aéroport n’était pas comme il l’avait imaginé. Au-delà des ailes et des hangars, on ne distinguait que des collines boisées, aucun signe de ville. Un moment, il se demanda si Globus n’avait pas découvert sa mission, s’il n’avait pas dérouté l’avion. Ils venaient peut-être d’atterrir sur un terrain du sud de l’Allemagne. Puis il lut ZÜRICH sur le bâtiment principal.

À l’instant où l’avion s’immobilisait, les passagers — qui avaient fait la navette pour la plupart — s’étaient levés comme un seul homme. Elle aussi était déjà debout, récupérant son sac et ce ridicule imper bleu. Il en profita pour passer derrière elle.

« Excusez-moi. »

Elle parut oublier l’imper.

« Quel est le programme ?

— Je vais à mon hôtel, Fräulein. Ce que vous faites vous regarde. »

Il se glissa devant un gros Suisse qui fourrait des documents dans un attaché-case en cuir. La rapidité de la manœuvre laissa la jeune femme sur place. Il ne jeta pas un regard en arrière, se faufilant dans le couloir central, puis hors de l’avion.

Il marcha rapidement jusqu’au contrôle des passeports, dépassant la plupart des autres passagers, et se posta en tête de file. Dans son dos, il entendit le remue-ménage : elle essayait de le rattraper.

Le fonctionnaire suisse, un jeune homme sinistre avec une moustache tombante, parcourut son passeport.

« Affaires ou loisirs, Herr March ?

— Affaires. »

Assurément, affaires.

« Un moment. »

Le jeune homme décrocha le combiné devant lui, forma trois chiffres, pivota sur sa chaise et murmura quelque chose.

« Oui. Oui. Bien entendu. »

Il raccrocha et rendit son passeport à March.

Ils étaient deux, près du carrousel à bagages. Repérables à cent mètres : silhouettes trapues et cheveux coupés court, solides brodequins noirs, trench-coats beiges à ceinture. Des flics — les mêmes partout. Il les dépassa rapidement, sans un regard, sentit qu’ils lui emboîtaient le pas.

Il passa la douane sans s’arrêter, par le couloir « vert », et se retrouva dans le grand hall. Un taxi. Où étaient les taxis ?

Clip-clop, clip-clop. Elle arrivait.

L’air au dehors était de quelques degrés plus froid qu’à Berlin. Clip-clop, clip-clop. Il se retourna. Elle était là, avec son imper, agrippée à son sac, tanguant sur ses hauts talons.

« Allez-vous-en, Fräulein. Vous me comprenez ? Je dois vous faire un dessin ? Retournez en Amérique, allez publier votre histoire stupide. J’ai du boulot, ici. »

Sans attendre la réponse, il ouvrit la portière arrière du taxi, jeta sa valise et s’y engouffra.

« Baur au Lac ! »

Le chauffeur sortit de l’aérogare et prit l’autoroute, direction sud, vers la ville. Le jour était presque entièrement tombé. Tendant le cou pour voir par la lunette arrière, March repéra le taxi à dix mètres, suivi d’une Mercedes blanche banalisée. Seigneur ! Ça tournait au burlesque. Globus sur les traces de Luther, lui sur celles de Globus, Charlie Maguire sur les siennes, et la flicaille suisse derrière tout le monde. Il alluma une cigarette.

« Savez pas lire ? » bougonna le chauffeur.

Il désignait un panonceau : MERCI DE NE PAS FUMER.

« Bonjour la Suisse », soupira March.

Il baissa la vitre de quelques centimètres et le nuage bleu de fumée s’effilocha dans l’air glacé.

La ville était plus belle que prévu. Le centre lui rappela Hambourg. Les vieilles constructions regroupées à la pointe du lac. Les trams en livrée vert et blanc bringuebalant en bordure, devant les vitrines et les cafés éclairés. Le chauffeur écoutait la Voix de l’Amérique. À Berlin, ce n’était qu’un parasite ; ici, la réception était claire. « I wanna hold your hand, chantait une voix juvénile made in Liverpool. I wanna hold your ha-a-and ! » Un millier d’adolescentes hurlèrent.

Le Baur au Lac n’était séparé de la berge que par la largeur de la promenade. March paya la course en Reichsmark — on les acceptait partout sur le continent, c’était la monnaie commune européenne. La réception était aussi luxueuse que Nebe l’avait laissé entendre.

La chambre lui coûta un demi-mois de salaire. Bel endroit pour la dernière nuit d’un condamné. En se penchant pour signer le registre, il aperçut un éclair de plastique bleu à la porte, immédiatement suivi par deux imperméables beiges. Je suis comme une star, songea March en prenant l’ascenseur. Partout, dans mon sillage, deux gorilles et une jolie brune.

Il étala un plan de la ville sur le lit et s’assit sur le bord, s’enfonçant dans le matelas moelleux. Il avait tellement peu de temps. Comme une lame bleue, le lac de Zurich s’enfonçait à vif dans le lacis des rues. Selon le dossier de la Kripo, Hermann Zaugg possédait une propriété sur la Seestrasse. March trouva. La route ondulait le long de l’eau, à peu près à quatre kilomètres au sud de l’hôtel.

Quelqu’un frappa doucement à la porte. Une voix d’homme l’appela par son nom.

Quoi encore ? Il traversa la chambre et ouvrit vivement la porte. Un serveur attendait dans le couloir, avec un plateau. March le regarda bouche bée.

« Pardon, monsieur. Avec les compliments de la dame du 277.

— Ah, oui. Bien sûr. »

March s’écarta, l’homme entra avec hésitation, comme s’il s’attendait à un coup. Il déposa le plateau sur une table, traîna quelques secondes dans l’espoir d’un pourboire, puis — comme rien ne venait — s’éclipsa. March verrouilla la porte.

Sur la table, une bouteille de Glenfiddich, avec un carton et un seul mot, en français. « Détente ? »