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Les portes se mirent à se refermer, puis se bloquèrent. Deux hommes apparurent, marchant rapidement.

« Vous ! cria l’un d’eux. Restez où vous êtes ! »

Il atteignait la chaussée. March agrippa Charlie par le coude. Au même moment, l’une des voitures de police arriva en marche arrière, boîte de vitesses hurlante. L’homme regarda sur sa droite, hésita et recula.

La voiture achevait sa course. La vitre était baissée. Une voix anxieuse lança :

« Merde, bordel. Montez ! »

March ouvrit la portière arrière, poussa la fille et se glissa à sa suite. Le policier suisse tourna sur les chapeaux de roues et accéléra vers la ville. Le gorille de Zaugg avait déjà disparu ; les portes achevèrent de se fermer bruyamment.

March tourna la tête pour regarder.

« Vos banquiers sont tous aussi bien protégés ?

— Dépend de qui ils fréquentent. »

Le policier ajusta le rétroviseur pour les voir. Un homme dans la quarantaine — bien sonnée —, les yeux injectés.

« Vous prévoyez d’autres épisodes de cet ordre, Herr March ? Une petite castagne quelque part ? Ça nous aiderait d’être un peu prévenus.

— Je croyais que vous étiez là pour me filer, pas pour me chouchouter.

— Suivre et protéger si nécessaire, voilà les ordres. Mon coéquipier est dans l’autre bagnole. Pour nous, la journée a été foutrement longue — excusez l’expression, Fräulein. À propos, personne n’a parlé d’une femme dans cette affaire.

— Vous pouvez nous déposer à l’hôtel ? » demanda March.

Le flic grommela.

« J’ajoute donc chauffeur à la liste de mes obligations ? »

Il brancha sa radio et rassura son équipier : « Panique terminée. On rentre sur le Baur au Lac. »

Charlotte Maguire avait son bloc-notes ouvert sur ses genoux.

« Qui sont ces gens ? »

March hésita. Après tout, quelle importance ?

« L’inspecteur et son collègue sont membres de la police helvétique ; ils sont ici pour s’assurer que je ne tente pas de faire défection à l’occasion de ce séjour hors frontières. Et aussi pour veiller à ce que je rentre entier.

— Toujours un plaisir d’assister nos collègues allemands.

— Le risque est réel ? demanda Charlotte.

— Apparemment.

— Mon Dieu. »

Elle écrivit quelque chose. March regarda ailleurs. Sur leur gauche, à un ou deux kilomètres, de l’autre côté du lac, les lumières de Zurich formaient un ruban jaune sur le noir de l’eau. Son haleine se condensait sur la vitre.

Zaugg revenait sans doute de son bureau. Tard, mais les fiers citoyens de Zurich bossaient dur pour gagner leur fric — douze ou quatorze heures par jour, ce n’était pas rare. La villa du banquier ne pouvait être atteinte que par la route — un seul chemin, ce qui contredisait la plus efficace des précautions en matière de sécurité : changer en permanence d’itinéraire. Et la Seestrasse, limitée d’un côté par le lac et ouverte de l’autre à plusieurs douzaines de rues, était un véritable cauchemar pour un responsable de la sécurité. Cela expliquait au moins un détail.

« Vous avez remarqué la voiture ? dit-il à Charlotte. Son poids, le bruit des pneus ? On en voit souvent à Berlin. Cette Bentley était blindée, (Il agita la main.) Deux gorilles, une porte de prison, des caméras dissimulées et une voiture à l’épreuve des balles. Quelle sorte de banquier est-ce ? »

Il ne distinguait pas vraiment ses traits, dans l’ombre, mais il sentait son excitation à ses côtés. Elle dit :

« Nous avons la lettre d’autorisation, n’oubliez pas. Cette sorte de banquier, comme vous dites, est notre banquier. »

7

Ils dînèrent dans un restaurant de la vieille ville ; un endroit avec linge de table pur lin et argenterie massive, où les serveurs se postaient derrière les convives et soulevaient avec ensemble les cloches d’argent des plats, comme des conjurés exécutant un tour de passe-passe. L’hôtel lui avait coûté la moitié d’un mois de salaire ; le repas épongerait l’autre moitié, mais March s’en fichait.

Elle ne ressemblait à aucune des autres femmes qu’il avait pu rencontrer. Rien de comparable avec les ménagères de la Ligue des Femmes du Parti, toutes parfaitement Kinder, Kirche und Küche — dîner prêt sur la table pour le mari, uniforme fraîchement repassé, cinq enfants endormis à l’étage. Et si une vraie jeune fille national-socialiste se gardait des cosmétiques, du tabac et de l’alcool, Charlie Maguire, elle, abusait sans complexe des trois. La lumière des bougies avait adouci ses yeux sombres ; elle parlait avec animation de New York, des reportages à l’étranger, du séjour de son père à Berlin, de la veulerie de Joseph Kennedy, de politique, d’argent, des hommes, d’elle-même.

Elle était née à Washington DC au printemps 1939. (« Le dernier printemps de paix, dans tous les sens », comme disent mes parents.) Son père, rentré de Berlin, avait réintégré le département d’État. Sa mère s’essayait à une nouvelle carrière, mais après 1941, elle était déjà bien heureuse de ne pas être l’objet de mesures d’internement. Après la guerre, dans les années cinquante, Michael Maguire avait été ambassadeur à Omsk, la capitale de ce qui restait de la Russie. Un endroit trop dangereux pour emmener quatre enfants. Charlotte avait été confiée à des institutions huppées de Virginie ; Charlie avait laissé tomber l’école à dix-sept ans, en révolte contre tout ce qui pouvait exister.

« Je suis montée à New York. Tenter ma chance comme actrice. Le bide. J’ai tâté du journalisme ; ça marchait mieux. Inscription à Columbia — au grand soulagement de papa. Là-dessus — faudrait pas croire ! — , une liaison avec M. Prof. (Elle secoua la tête.) Ce qu’on peut être conne. (Elle souffla la fumée de sa cigarette.) Il reste du vin là-dedans ? »

March lui versa le fond de la bouteille et en commanda une autre. Il semblait que ce fût à lui de dire quelque chose.

« Pourquoi Berlin ?

— Une occasion de quitter New York. L’origine allemande de ma mère facilitait les démarches pour le visa. Il faut l’admettre : World European Features n’a pas vraiment la surface que suppose le nom. Deux mecs dans un bureau avec un télétype, dans la partie merdique de la ville. Pour être honnête, toujours, ils étaient bien contents d’avoir trouvé quelqu’un avec un visa pour Berlin. Même moi. »

Elle le regarda ; ses yeux brillaient.

« Je ne savais pas qu’il était marié, vous voyez, M. Prof. (Elle claqua les doigts.) Grave négligence dans l’investigation, non ?

— Ça s’est terminé quand ?

— L’année dernière. Je suis venue en Europe pour leur montrer à tous que je pouvais y arriver. Surtout à lui. Voilà pourquoi ça m’a rendue malade, l’idée de l’expulsion. Bon sang, la perspective de les revoir… (Elle avala une gorgée de vin.) Peut-être une fixation sur l’image du père. Quel âge avez-vous ?

— Quarante-deux.

— Pan ! mon créneau. »

Elle lui sourit par-dessus son verre.

« Auriez intérêt à vous méfier. Vous êtes marié ?

— Divorcé.

— Divorcé ! Prometteur. Dites-moi tout sur elle. »

Sa franchise le prenait chaque fois de court, garde baissée.

« Elle était… (Il se reprit.) Elle est… »

Il se tut. Comment résumait-on quelqu’un à qui l’on a été marié neuf ans, dont on est divorcé depuis sept ans, et qui vient de vous balancer aux autorités ?