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— Comment a-t-on payé le coffre ?

— En liquide. Francs suisses. Location pour trente ans. Paiement anticipé. Ne vous tracassez pas, Herr March, il n’y a rien à débourser avant 1972. »

Charlotte intervint.

« Il existe une trace des transactions relatives au compte ? »

Zaugg se tourna vers la jeune femme.

« Seulement les dates de visite.

— Qui sont ?

— Le 8 juillet 1942. Le 17 décembre 1942. Le 9 août 1943. Le 13 avril 1964. »

Le 13 avril ! March eut du mal à retenir un cri de triomphe. L’hypothèse se confirmait. Luther était bien venu à Zurich au début de la semaine. Il griffonna les dates sur son calepin.

« Seulement quatre fois ?

— Exact.

— Et jusqu’à ce lundi, le coffre n’a jamais été ouvert — pendant presque vingt et un ans ?

— C’est ce qu’indiquent les dates. »

Zaugg referma le dossier avec un léger mouvement d’humeur.

« J’ajouterai que cela n’a rien de très inhabituel. Nous avons ici des coffres auxquels personne n’a touché depuis cinquante ans, voire plus.

— C’est vous qui avez signé la convention de départ ?

— C’est moi.

— Herr Luther vous a dit pourquoi il désirait ce coffre, ou pourquoi ces arrangements particuliers ?

— Privilège du client.

— Pardon ?

— Information réservée entre le client et son banquier. »

Charlie coupa :

« Mais nous sommes le client.

— Non, Miss Maguire. Le bénéficiaire. La nuance a son importance.

— Est-ce chaque fois Herr Luther qui a visité le coffre ? demanda March.

— Réservé.

— Est-ce Luther qui l’a ouvert, lundi ? Comment était-il ?

— Réservé, réservé. (Zaugg leva les mains.) Nous pouvons continuer ainsi toute la journée, Herr March. Non seulement je ne suis pas tenu de vous donner ces informations, mais ce serait une infraction au Code des banques suisses. Je vous ai communiqué tout ce que vous êtes en droit de savoir. Y a-t-il autre chose ?

— Oui. »

March referma son calepin et regarda Charlie.

« Nous aimerions également jeter un coup d’œil au coffre. »

Un ascenseur exigu menait à la chambre forte. Il y avait à peine assez de place pour quatre personnes. March et Charlotte, Zaugg et le garde du corps, maladroitement serrés l’un contre l’autre. De près, le banquier empestait l’eau de Cologne ; ses cheveux luisaient sous une épaisse couche de brillantine.

La salle des coffres avait une allure de prison, ou de chambre mortuaire : un couloir carrelé de blanc s’ouvrait devant eux sur près de trente mètres, avec des barreaux à chaque extrémité. À l’autre bout, près de la grille d’accès, un garde était assis à une table. Zaugg avait sorti un lourd trousseau de clés de sa poche, attaché par une chaînette à sa ceinture. Il fredonnait en cherchant la bonne.

La voûte vibra légèrement lorsqu’un tram passa au-dessus de leurs têtes.

Zaugg les introduisit dans la vaste cage. Des parois d’acier reflétaient la lumière des néons — des rangées de portes, en fait, de cinquante centimètres de côté. Il en déverrouilla une, à hauteur d’homme, et recula d’un pas. Le préposé s’approcha et retira un long casier, de la taille d’une cantine métallique ; il le déposa sur une table.

« Votre clé correspond à la serrure du casier, dit Zaugg. J’attends dehors.

— Ce n’est pas nécessaire.

— Merci, mais je préfère. »

Zaugg quitta la salle et se posta près de la grille, leur tournant le dos. March regarda Charlotte et lui donna la clé.

« À toi.

— J’ai la tremblote… »

Elle inséra la clé dans la serrure. Le mécanisme était doux. L’extrémité du tiroir s’ouvrit. Elle plongea la main. Ses yeux exprimèrent de l’étonnement, puis de la déception.

« C’est vide. Il me semble… (Son expression changea.) Non… »

Elle souriait en ramenant un grand carton d’environ cinquante centimètres carrés, haut de cinq centimètres. Le dessus était scellé à la cire rouge ; une étiquette dactylographiée indiquait : « Propriété du ministère du Reich des Affaires étrangères, Berlin, division Archives des Traités. » Et en dessous, en caractères gothiques : « Geheime Reichssache. » Document d’État, ultra-secret.

Un traité ?

March brisa la cire en utilisant la clé. Il leva le couvercle, libérant une odeur de moisi et d’encens mêlés.

Un autre tram passa. Zaugg fredonnait toujours ; les clés dans sa main tintinnabulaient.

Dans le carton, un objet recouvert d’une toile cirée. March le sortit, le mit à plat sur la table. Il écarta la toile cirée : un panneau de bois éraflé, ancien ; l’un des coins était fendu. Il le tourna.

Charlie était contre lui. Elle murmura :

« C’est magnifique. »

Les bords du panneau étaient abîmés, comme si on l’avait arraché d’un support. Le portrait était intact, parfaitement conservé. Une jeune femme, délicate, aux yeux noisette très clairs, tournée vers la droite ; un rang de perles noires faisait deux fois le tour de son cou. Sur ses genoux, de ses longs doigts aristocratiques, elle tenait un petit animal à la fourrure blanche. Pas un chien. Plutôt une sorte de belette.

Charlie avait raison. C’était magnifique. Toute la lumière de la chambre forte semblait s’y concentrer, pour irradier en retour. La peau claire de la jeune fille rayonnait, lumineuse comme celle d’un ange.

« Qu’est-ce que ça signifie ? murmura Charlotte.

— Dieu seul le sait. »

March se sentait vaguement floué. Le coffre n’était-il qu’une extension de la caverne au trésor de Bühler ?

« Vous vous y connaissez en art ?

— Pas des masses. Mais ça me rappelle quelque chose. Je peux ? »

Elle prit le panneau, l’examina en tendant les bras.

« C’est italien, je pense. Tu vois la mise — la façon dont le décolleté est coupé en carré, les manches ? Je dirais Renaissance. Tout à fait ancien. Et tout à fait authentique.

— Et tout à fait volé. Remets-le en place.

— Il faut ?

— Et comment ! Sauf si tu te sens capable d’imaginer une histoire crédible pour la Zollgrenzschutz à l’aéroport de Berlin. »

Encore un tableau. Rien d’autre. Pestant entre ses dents, March palpa la toile cirée, examina le carton sous tous les angles. Il redressa le casier de métal, le secoua. Rien. Le coffre vide se moquait de lui. Qu’espérait-il y trouver d’ailleurs ? Il ne savait pas. En tout cas quelque chose de plus probant.

« Allons-nous-en, dit-il.

— Une minute. »

Charlotte posa le panneau contre le casier. Elle s’accroupit et prit une demi-douzaine de photos. Puis elle remballa le tableau, le replaça dans sa boîte et verrouilla le casier.

March appela :

« Nous avons terminé, Herr Zaugg. Merci. »

Le banquier réapparut avec son employé — un peu trop vite, au goût de March. Zaugg tendait sûrement l’oreille pour entendre. Il se frottait les mains.

« Tout est comme vous le souhaitez, je suppose ?

— Parfaitement. »

Le préposé fit glisser le casier dans le coffre. Zaugg ferma la porte. La jeune fille à la belette se retrouvait dans l’obscurité. Nous avons ici des coffres auxquels personne n’a touché depuis cinquante ans, voire plus… Faudrait-il tout ce temps pour qu’elle voie à nouveau la lumière ?