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— Les touches bougeaient ?

— Non. J’ai soulevé les couvercles, les dominos étaient immobiles.

— Et le concert a duré longtemps ?

— Des bribes… Mais qui se reproduisaient toute la nuit.

— Et il y a eu d’autres prodiges ?

— Des pires, mon pote !

— Un mec sous un drap de lit est venu te chatouiller les nougats ?

Il hausse les épaules.

— Je le savais que t’allais me chahuter. Tu me crois pas, mais la preuve, tu vas l’avoir cette nuit même, San-A.

— Volontiers, me réjouis-je. Mais tu ne m’as pas parlé des autres manifestations.

— Des appels, des cris, des chansons… Comme s’ils arriveraient d’une autre planète, je te jure. Tu verras…

Je le pousse du coude.

— Hé, Pépère, t’as pas l’impression qu’il t’a monté un petit cinoche à sa façon, le cousin Ambroise ?

— Des clous ! Je m’ai renseigné. Dans le patelin, ils ont tous le traczir de cette taule comme quoi ça se sait qu’elle est t’hantée. La preuve, pour marner à la ferme qui pourtant ne l’est pas, elle, Ambroise trouve que des demeurés dans le genre de Thérèse et de Ferdinand ; la valetaille du canton veut rien chiquer.

— Dans les bleds, les gens sont crédules.

— Ah oui ! Comment t’espliques alors que les proprios z’eux-mêmes ont renoncé de l’habiter ? Ils ont cherché à vendre, mais personne n’est preneur ; sitôt que des acquéreurs s’intéressent au logis, l’arumeur publique les met au parfum plutôt que d’acheter ce clapier à fantômes. Une fois, tiens, on a voulu la louer pour les vacances, à des angliches. Tu vas me dire que les rosbifs, pourtant, c’est pas des trépignants de la coiffe et que si des mecs ont l’habitude des revenants c’est bien eux. Ils ont tenu que deux jours. Passé ce délai ils ont couru se faire rembourser la location. Ils étaient si tellement pressés de les mettre que le grand-père a oublié son râtelier qu’il avait ôté vu que ses ratiches bidons claquaient toutes seules. Je te le montrerai, c’est de la pièce de collection. Un dentier anglais, tu penses : on le dirait à impériale, comme leurs autobus.

— Intéressant, admets-je. J’ai toujours rêvé d’affronter un mystère à base de surnaturel.

Mon ton léger le fait tiquer.

— Tu crois pas aux fantômes, hein, Mec ?

— Pas trop, avoué-je.

Je suppose, mais mal.

Bérurier présente un diagnostic sévère.

— T’as trop confiance dans la science. San-A. Pour toi, ce que disent les savants, c’est parole d’évangile. Pourtant y se foutent le doigt dans le vasistas. Tiens, çui qu’on apprend à l’école et qu’a dit comme quoi rien ne se perd, rien ne se crève… Son nom, bouge pas, je l’ai sur le bout de la menteuse…

Il s’accordéonne le front, et soudain s’écrie :

— Ah oui : Courvoisier !

— Tu veux dire sans doute Lavoisier ?

— Peut-être. Eh bien, pour rien te cacher, Lavoisine, c’était un con !

— Que voilà donc une grave déclaration et qui intéresserait, je suppose, la faculté des Sciences !

— Les fusées qu’on espédie dans la lune ou aut’ part, elles quittent la Terre, oui ou non ?

— Certes, mais…

— Donc, coupe-t-il, c’est du matériau qu’on doit passer à pertes et profits puisqu’il a quitté définitivement notre planète, tu me files le train, Gars ?

— Je.

— De même, enchaîne ce grand penseur, les cailloux qui nous dégringolent du cosmos…

— Les météorites ?

— Moui. C’est quèque chose de nouveau, puisqu’ils arrivent d’ailleurs… D’où je conclus que le gars Lavoisine ressemble à son frère, son frère à son père et son père à mon c… ! Et dire qu’on continue de faire tartir les mougingues avec ses élucubrations !

Nous sommes au bord de la piscine vide. Ses parois sont fissurées par les hivers et un humus noirâtre en tapisse le fond. Rien n’est plus sinistre qu’une piscine abandonnée, au milieu d’une pelouse abandonnée, devant une maison abandonnée.

Je défie la maison silencieuse de mon regard gouailleur, enjôleur, irrésistible, intelligent et lucide (si j’en oublie, inscrivez-les dans la marge).

— Messieurs les fantômes, me voici ! lancé-je d’une voix terrible.

Berthe, qui marchait devant nous, se retourne comme si quelque cancrelat venait de lui déguster le cuisseau.

— Ne plaisantez pas avec ces choses-là ! glapit-elle. Ça pourrait avoir des graves conséquences.

— Oh, que non, chère Berthe, le surnaturel c’est mon violon d’Ingres, réponds-je. Car, vous ne l’ignorez pas, mais je suis un homme d’esprits.

CHAPITRE II

Je suis un homme d’esprits !

Sur ce pitoyable calembour, j’ai achevé le chapitre premier de cette surprenante histoire avec mauvaise conscience ; aussi est-ce d’une allure désenchantée et avec des idées couleur de water-closet que je pénètre dans la cour de ferme où le cousin Ambroise est en train de panser ses chevaux tout en pensant à autre chose[3]. C’est un gaillard de deux mètres de haut sur cent quarante de large dont la moustache drue ressemble à une antenne de télévision. Il a un nez patatesque, un teint qui fait songer au drapeau russe, des yeux pétillants de joie et de roublardise et un rire pareil au bruit d’une cognée pénétrant dans un arbre.

Nouvelles présentations. Ce frère Jean des Entommeures soulève sa casquette à petits carreaux, style Audiard, ce qui nous découvre un crâne blanc et pointu qui ressemble à l’extrémité d’un œuf dépassant de son coquetier.

On lui dit ce qu’il faut dire comme mensonges usuels en pareil cas, à savoir qu’on est enchantés de le connaître, confus de le déranger, touchés de sa gentillesse, enthousiasmés par le paysage et ravis d’oxygéner des poumons qui doivent ressembler à la voûte du tunnel de l’autoroute un dimanche soir.

Ce à quoi Ambroise rétorque qu’il est : heureux de nous recevoir, honoré de nous connaître, honteux de la modestie de sa maison mais qu’il espère néanmoins que nous nous y plairons. Là-dessus, on pénètre dans une pièce commune, aux dimensions de cathédrale gothique, très propre, très claire, tapissée d’un papier dont le motif représente un coucher de soleil sur le Vésuve (lequel ne fume que des Gitanes à bout filtre depuis son éruption pompéienne). C’est meublé en Lévitan cossu, acajouteux des années 20, et un poste de télé sévit pour la délectation d’une grand-mère impotente et pratiquement aveugle, laquelle doit attendre l’émission en Braille qui nous est promise sur la quatrième chaîne, à droite en sortant de l’église. Outre ladite mémé, deux autres dames s’activent dans la pièce : l’épouse d’Ambroise et sa fille. La première prépare le dîner, la seconde son baccalauréat. L’une frise la quarantaine au petit fer. Elle a les seins à la place du ventre, et le ventre à la place du pubis et, hélas, le pubis à sa place. C’est une forte femme, paraissant cinquante-trois ans de plus que son âge, usée par les travaux et par son mari. On sent qu’elle a été beaucoup frappée par la mort du maréchal Pétain (dont la photographie trône au mur) et par son conjoint. C’est le type même de l’épouse-servante, qui n’use pas de son droit de vote et trouve normal qu’une femme soit giflée.

Sa fille, une aimable jouvencelle de dix-sept ans, possède un minois romantique. Elle est blonde, avec des taches de rousseur autour du nez, de grands yeux bleus, candides et confiants et le plus miraculeux sourire que les barbouilleurs de la Renaissance italoche aient jamais cloqué sur un visage de madone. Elle a raté son examen en juin et s’apprête à remettre ça en septembre. Alors elle bûche terrible, la pauvre chouquette. Son tourment majeur, c’est le latin, Ambroise a voulu qu’elle fasse classique vu que c’est, à son avis, le bagage roi. Lui, il a ses deux bacs et une licence de lettres ! Comment qu’on les fait, les nabus, c’t’année ! Il voulait être prof, Ambroise, doué comme il était. Ce qui le chambrait, c’était la promotion sociale que ça représentait, et puis la retraite… Seulement son dabe est clamsé en coupant un chêne. L’arbre est pas tombé du bon côté et le bonhomme l’a pris sur le thorax. Out à titre définitif ! Y avait encore de la nichée en bas âge. Ambroise était l’aîné, il a moulé les études pour le brabant. Il regrette pas. Par la suite, lorsque les mougingues ont été sortis de l’auberge, il est resté dans la betterave et le maïs.

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3

Ça y est, v’là que je recommence. C’est plus fort que moi : faut que je jeux-de-mote. J’ai consulté, notez bien. Les toubibs m’ont dit que j’avais une malformation du clapet supérieur gauche ; paraît qu’avec une intervention consistant à pratiquer l’ablation du cervelet, ça s’arrange. J’hésite. Les blocs opératoires, on sait comme on y rentre, on ne sait pas comme on en sort ! Et puis, entre nous, j’adore calembourer. Ma matière grise me grise !