— Toi, Filly, tu vas faire l’escorte tout seul. Tu expliqueras au chauffeur, en bas, que ton pote a dû rester ici pour surveiller un prisonnier récalcitrant. Toi, Pinuche, tu vas filer au poste de police le plus proche. Note l’adresse d’ici, raconte toute la vérité, amène les matuches sur place et surtout précise qu’ils ouvrent l’œil vu qu’il risque de se passer des trucs historiques au palais des congrès.
— Mais… la porte, tu sais l’ouvrir, maintenant ? s’affole la Vioque.
Je crois bien que oui. Il n’empêche que ça me turluqueue. À moitié fringué je fonce retourner la gravure du téléphérique dans le couloir. Un téléphérique exprime une idée ascensionnelle, pas vrai ? Seulement maintenant, la porte de la cabine, au lieu de la tirer par la poignée je la tire par son gond central.
Miracle ! Elle s’ouvre…
On va pouvoir continuer cette histoire !
CHAP PITRE SEVEN
AH ! LA BELLE CEREMONIE !
Moi, vous me connaissez ? Je suis pas raciste. Je n’en veux ni aux Noirs, ni aux ouvriers, ni aux rouquins. Faut de tout pour faire un monde. Y compris des racistes d’ailleurs. On se débat comme on peut. Chacun apportant sa contribution personnelle. Les Chinois ont inventé la poudre, les Suisses la pendule-coucou et Parkinson une certaine manière de sucrer les fraises. Tout ça pour vous causer que le chauffeur de la Bentley noire qui m’attend en bas l’est également. Il me virgule un beau sourire aussi éclatant que sa livrée. Ma redingue qui l’impressionne.
Une fois au reste chaussé je mesure combien l’appartement fortifié de feu Daudeim présentait pour les louches combines de sa bande une sécurité totale[27]. L’ascenseur est privatif. Il a été construit dans la cour de l’immeuble (ce qui est vachement pratique lorsque ces messieurs dames transbahutaient des gars soporifiés) et fait, je vous l’ai primitivement et antérieurement signalé (dirait mon professeur de pléonasmes) la liaison directe avec le dernier étage. Mais assez parlé de ce maudit building où je viens de vivre le plus long des cauchemars.
Revenons à la situation présente.
Je la trouve insensée.
Not you ?
Faut se la résumer, ne serait-ce que pour affûter la comprenette, à vous tous qui perdez un bout de cervelle chaque fois que vous vous mouchez !
On m’a enlevé dans la région parisienne, moi qui fus élevé dans la religion catholique ! On m’a clandestinement transporté dans le Québec, la belle province qui a failli se faire engauller y a pas si naguère. On m’a bricolé le mental au T.C. pour tenter de me faire admettre que je n’étais plus le cher San-Antonio, mais un certain Édouard Moran, homme de main réputé, spécialiste des missions périlleuses. Ce traitement visait à me faire perpétrer un truc extrêmement dangereux au jour J, lequel, comme son collègue le jour de gloire, est arrivé. Des circonstances dépendantes de ma volonté ont empêché (de jeunesse) que je sache en quoi consiste le fameux turbin. Néanmoins je me rends quand même sur les lieux de l’exploit. Et quels lieux, mes chères chéries ! Un palais pas laid du tout où se trouvent réunis les grands de ce monde. Ma mission consiste-t-elle à attenter contre l’un d’eux ? Me semble que c’est la meilleure explication.
— Bon, alors je fonce à la police ? murmure Pinuche.
— Rapidos. Tu as en tête le téléphone du Vieux ?
— Bien entendu.
— Dès que tu pourras toucher un chef, demande-lui d’appeler Paris pour que le Vieux se porte garant de nous.
Il opine et fonce vers la rue qui brouhahate de l’autre côté d’un porche revêtu d’acier. Je fais signe à Filly d’approcher son oreille de ma bouche.
— Écoute bien ce que je vais te dire, gamin. Si tu cherches à me blouser en cours de route, je te passe au rayon Z.
Je lui montre ma caméra.
— Ça porte à cent vingt-cinq mètres, ce machin-là, inventé-je. Une fois que tu auras achevé ton service, je te conseille de disparaître sans alerter quiconque, sinon tu risquerais de te retrouver dans une sauce mousseline plutôt indigeste. Lu et approuvé ?
— Vous pouvez compter sur moi, m’sieur.
— Alors, go !
Il enfourche sa Petzouille culbutée de 500 centimètres carrées (car il lui manque un côté pour faire des cubes) en jurant, mais un motard, qu’on ne l’y prendrait plus. La rue. La street. La foule. The people. Des drapeaux. Some flags ! M’sieur Durand. Mister Smith. Partout c’est la liesse. La feuille d’érable (selon que vous serez puissant ou miss Érable…) frétille dans le vent glacé qui souffle de la baie d’Hudson en passant par Cochrane, Val d’Or, Maniwaki. La population de Montréal s’est muée en populace. Bravant la neige et le verglas, elle s’est accumoncelée sur les trottoirs. Les hommes ont attrapé la chaude-pelisse, les dames ont sorti leurs renargentés. Tout le monde est en toques, y compris la plupart des bijoux sortis pour la grande circonstance. Des banderoles barrent les rues. On y lit, dans toutes les langues : « Vive la Paix » (en japonais ça représente une guérite avec une petite barrière et en hindou ça sanscrit comme ça se prononce).
On voit les drapeaux de tous les pays. Y a même ceux du Malawi, de la Tanzanie, de la Sierra Leone, et de la Zambie. Des haut-parleurs haut-parlent de la paix universelle. On voit défiler bras dessus-brassée de sous des Israéliens et des Égyptiens portant à leurs revers des macarons sur lesquels on peut lire : Tous au Sphinx ! Non c’est pas un mirage IV ! Dis-moi à quoi Nasser en termes circoncis ! Le bonjour à tes muezzins ! etc. Des soldats américains et des civils vietnamiens en uniforme se donnent l’accolade. Des Tchécoslovaches et des Russes se tiennent par le cou en chantant : Tank y aura des zones. » On voit des Wallons avec des Flamants roses, des Hindous avec des Pakistanais, des Noirs avec des cannes blanches, des Grecs avec des Turcs, des Suisses avec des hallebardes, des Allemands de l’Est avec des Polonais de l’Ouest, des Nigériens avec des Biafrais (bien parisiens), des Anglais avec des Anglaises. Bref, c’est presque la grande réconciliation universelle. Je dis « presque », biscotte la Chine n’a pas voulu participer à cette euphorie générale et la France a accepté d’en être à condition que l’Angleterre n’entre jamais dans le marché commun.
Ce truand de Filly, sur sa belle péteuse étincelante, fend la foule dans un hululement de sirène. Nous roulons à bonne allure. Les gens se détranchent sur moi, se demandant qui je suis, cherchant à identifier le pavillon piqué dans les ailes avant de la tuture, il représente un gros champignon rouge sur fond vert, avec, écrit en demi-cercle et en gothique, ces mots pleins de hardiesse : « Et des comme ça, t’en as déjà vus ? »
Les matuches assurant le service d’ordre stoppent tout pour nous laisser le passage. Ils me salumilitairement à outrance, se gaffant bien que je dois être un personnage important puisqu’on m’octroie un motard, un chauffeur de couleur et une auto qui, si elle n’était pas signée Bentley, passerait pour une Rolls dont on aurait chouravé le bouchon de radiateur.
La foule proliférante et ondulatoire, la foule tant taculaire, la foule excitée qui trépigne et clame, qui déclame, proclame, réclame, acclame, me flanque le vertigo.
Mouler une longue période de séquestration pour plonger dans la cohue, faut être notre P.D.G.[28] pour supporter ça !
Nous parcourons de larges artères, de plus en plus peuplées. Et puis on traverse un pont pour gagner l’île où furent construits les pavillons de l’Expo Internationale.
Ceux-ci, après avoir hébergé l’Exposition « Terre des Hommes » ont été, comme vous le savez sans doute, démontés et expédiés par avion dans les pays sous-développés pour y être convertis en Hilton. À la place, on a construit ce magnifique palais des Congrès dont Montréal peut s’enorgueillir à juste titre. De style Corbuso-épisodique, il dresse hardiment entre les deux bras du Saint-Laurent son architecture en demi-cercle, coupée de vertes terrasses. Sa partie centrale est composée d’une gigantesque sphère vitrée, laquelle constitue la salle des réunions exceptionnelles.