Et je sais pourquoi ! En cavalant comme un dératé, je pige tout le topo.
« Sitôt que la coupole s’ouvrira, approche-toi le plus possible de la tribune d’honneur », m’a ordonné Samuel Polsky.
Tu parles ! Celle-ci eût été plus sûrement détruite puisque la cible c’est moi ou, plus exactement la petite pilule de broutium radioactif que j’ai dans l’estomac et qui exerce une attraction impérieuse sur la tête chercheuse des avions piégés. Ce carnage à grand, grand, grand spectacle, madame la baronne ! Du pâté de Pape (donc du pâté de foi), de la terrine de reine, de l’émincé de président, du ragoût de ministre (donc de mouton), du hachis de général (ce qui est contraire à toutes les règles), de la gelée d’Ambassadeur ! La révolution mondiale en découlait ! Le chaos ! L’asservissement intégral des peuples par le peuple ayant manigancé ce fantastique bidule, je ne nomme personne, mais suivez mon regard et faites-moi penser de vous donner la recette du riz cantonnais.
Un plan machiavélique… Un plan wagnérien ! Gothique ! Pharaonesque ! Les travaux d’Hercule conjugués en un seul (et c’est moi qui aurais eu l’Hercule, je vous le dis). Ah ! misère, si j’étais allé au bout de mon envoûtement ! Si j’avais ouvert l’énorme coupole métallique !
Mais en attendant, j’ai la mort aux trousses, mes belles ! Ces quatre coucous obstinés sont invinciblement attirés par les quelques milligrammes de broutium en vadrouille dans mon organisme.
Faudrait que je m’en débarrasse. Comment ? Avaler une bonbonne d’huile de ricin ? Pas le temps ! Ça urge ! Ça critique ! À pas trois mètres qu’ils sont, les mini bombardiers !
Soudain, Samu m’aperçoit. Il comprend pourquoi les petits zincs qu’il a décidé de tout de même précipiter contre la coupole du Congrès, malgré mon lâchage, font retour à leur point de départ. Ils regagnent leur minuscule base, parce que je m’y précipite. Il sait que tout va péter ! Qu’il sera coiffé par le feu d’artifice. Il détale. Mais engoncé dans sa chaude-pelisse, il ne peut pas se déplacer très vite. Un San-A. retrouvé et en redingote va plus vite qu’un Polsky podagre dans de la fourrure !
Je le rattrape. Il est essoufflé. Il s’ébroue. Il essaie de me regarder pour reconquérir ma pensée. Mais moi, vous me connaissez ? Quand j’arrive à la fin d’un bouquin, rien ne peut me retenir. Voilà pourquoi je lui tire deux marrons dans les loupiotes. Illico son regard pavoise. Il a des yeux brouillés, le fameux et fumeux Samuel.
— Mince ! C’est San-Tonio ! crie une voix juvénile.
Je me détourne, sans toutefois lâcher mon ex-tourmenteur. Marie-Marie ! L’un des gosses en fourrure n’est autre que ma péronnelle !
— Hé ! Faites gaffe à vos avions, moustique ! lui crié-je. Avec tes copains, essayez de les poser en douceur sur la pelouse. En douceur, tu entends !
— Oh, quoi, merde, rouscaille pas ! fait la môme ! On reste des flopées de temps sans se voir, et la première parole de monsieur c’est pour vous agonir de remontrances ! Je sais vachement le piloter, mon boeinge, mate un peu ! Mince, d’habitude j’en fais ce que je voudrais. Quoi t’est-ce qu’y lui prend, de déconner !
Maintenant, les quatre avions sont à moins de deux mètres de moi.
Samuel claque des dents.
— Tu flambardes plus, hein, navet ! m’emporté-je. Il te retombe sur le nez, ton plan de liquidation. Dans trente secondes, s’il subsiste un seul bouton de ta pelisse tes héritiers auront de la veine !
À peine j’ai terminé, qu’avisé-je au parking voisin ? Je vous le donne pas en mille, pas même en kilomètres, je vous en fais cadeau : ma Bentley de tout à l’heure, les gars ! Avec le rieur noirpiot qui la drivait. Il me gesticule au pif, le chauffeur !
— M’sieur ! M’sieur ! il m’exclame à distance, t’as oublié ton appareil à vue dans mon char !
Et par la portière, il brandit la caméra.
Moi… Oui, vous me connaissez, pas la peine d’y revenir ! Je foudroie Samu d’une manchette au gosier et je trace jusqu’à la balustrade séparant la pelouse du parking. Je rafle la caméra des mains du Noir.
Est-ce une bonne thérapeutique ?
Tant pis. Je risque le tout pour le tout ! Si tout saute, je ne le saurai jamais !
Le doigt sur la détente de l’appareil, j’arrose les avionets.
ÉPILOGUE
— Marie-Marie, tu veux descendre des genoux du vi… de m’sieur le directeur que tu vas lui froisser le beau pli de son falz… de son pantalon ! fait sévèrement Béru.
La môme joint ses sourcils et dégaine les deux petits crocs qui mettent son sourire entre parenthèses :
— Hé ! Oh ! Hé ! Écrase un peu, m’n onc’, impertine-t-elle. Je viens tout juste de rentrer que déjà tu m’houspilles !
Câline, elle frotte sa joue sur la joue fraîche rasée du Boss.
— Faites-y pas attention, lui dit Marie-Marie ; il a peur que vous me pelotassiez. Mémé se gourait pas quand é me disait : « Ton tonton Bérurier il est grande gueule, mais dans le fond, c’t’un prude. » T’es un prude, m’n onc’ !
— Tu vas voir les deux livres avec os que je vais te laisser tomber sur le museau si qu’elles seront prudes ! éclate Béru.
— Bérurier ! Je vous en prie ! rappelle-à-l’ordre le Tondu.
Le Gravos s’écrase en marmonnant des présages. Teigne jusqu’à la moelle, Marie-Marie exploite outrancièrement sa victoire.
— Eh ben, ma gonfle, lance-t-elle à son tuteur, tu flambes pas quand ton singe te prie d’y mettre une sourdine ! Oh ya ya : plat comme une punaise, le sac à vinasse de tante Berthe !
Le Gros se lève.
— M’sieur le directeur, déclare-t-il, ça serait pas rapport au respect que je vous dois, cette morveuse prendrait une rouste à lui en fait peler la peau des fesses.
— Satyre ! J’me plaindrai à la visiteuse sociale ! fulmine miss Tresses.
C’en est un tantinet soit trop pour Béru, aussi quitte-t-il le bureau du Vieux sans solliciter de ce dernier la moindre permission.
Le boss a un tic agacé. Il déteste les mouvements d’humeur lorsque ce sont les autres qui les ont. Mais sa contrariété s’évapore au rire de Marie-Marie.
— Vous savez pourquoi t’est-ce m’n onc’ est en rogne ? nous interroge-t-elle. Parce que dans cette affaire, il est resté à l’écart. C’est nous qu’on est positivement les héros, lui il a fait de la tapisserie et mouillé des mouchoirs. Je vous promets qu’il en a aussi gros que lui sur la patate.
Attendri, le Déboisé lui caresse les joues du revers des doigts en la couvant d’un regard grand-paternel qui aurait filé des complexes à Victor Hugo.
— Vous disiez donc, avant la sotte interruption de cet imb… de Bérurier ? me demande-t-il.
— Je disais que la bande à Daudeim (laquelle vous le savez, monsieur le directeur, travaillait pour le compte du réseau Bouton d’Or) avait projeté l’enlèvement du duc Hon la Joy, souverain régnant du Petit Duché de Bésaubourg. C’était sur ce monarque que nos lascars voulaient exercer l’opération T.C. afin de le conditionner et de l’amener à accomplir les manœuvres qui, en définitive, me furent demandées à moi.
Je m’arrête pour respirer. L’inconvénient, avec le Vioque, c’est qu’il faut bâtir des phrases longues, dépourvues de points-virgules et pauvres en virgules. Il aime qu’on cause son langage, le Dirlo ! Avec lui, le dialogue ressemble aux lustres de cristal des grands salons de sous-préfecture.
Une époque !
— Alors, donc ? invite-t-il.
Je fais les gros yeux à Marie-Marie, laquelle est en train de dessiner une caricature de son oncle sur le beau buvard du sous-main.