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Je ferme les châsses…

Quelque chose devait se dérouler ce matin dans la forêt. Quelque chose que notre opération a contrarié, certes, mais qui s’est accompli tout de même… Quelque chose qui nécessitait la présence de cette vigie dans l’arbre…

Quel est le rôle d’un veilleur ? C’est de veiller. Oh là là, ma matière grise ! Vous auriez pas une vessie de glace pour en assurer le refroidissement ? J’ai peur de couler une bielle, mes fils. Un détail me tambourine la calebasse. Lors de son dernier message, Merdoche a précisé que la gamine a ramassé un objet dans l’allée. C’est la présence de cet objet qui l’a somme toute déroutée. Dès qu’elle la eu entre les doigts, elle s’est déplacée vers les fourrés. Alors que nous lui avions formellement recommandé de ne pas quitter l’allée !

Des aboiements de chien m’arrachent à ma torpeur.

En moins de temps qu’il n’en faut à un chauffeur de taxi parisien pour dire ce qu’il pense de lui au conducteur venant de lui perpétrer une queue de poisson, je suis à terre.

Dans l’arbre voisin, Béru jure toujours. Sa litanie ressemble à celle d’un muezzin. Un malaxage de branches brisées l’accompagne. Comme je lève la tête pour m’enquérir de visu, une chose flasque, large et lourde, me choit sur le portrait. Elle a une odeur d’étable et de ménagerie, cette chose. Je m’en débarrasse à grand-peine, ce qui me permet de l’identifier… postérieurement.

Tout à fait postérieurement, puisqu’il s’agit du pantalon de Béru qui vient de larguer ses amarres.

— Vouah vouah ! fait l’un des deux chiens policiers.

— Rrroihou, rrroihaou ! répond l’autre qui roule les « r » car c’est un chien policier corse.

Admirables bestioles ! Elles tirent sur leur laisse comme des bœufs sur leur joug et le matuche qui les retient semble avoir des ailes à ses talons. La truffe brandie, la langue dégoulinante, l’œil allumé, les clébards foncent vers la nappe de fougères.

On leur a fait renifler un tricot de Marie-Marie. Ils ont immédiatement pigé et sont partis par l’ailée des Gazelles, le pif à ras de terre, les baffles orientées vers l’avant.

Du beau travail de dressage, mes gus. Les duettistes de la reniflanche batifolent au milieu des touffes meurtries par nos propres investigations. Ils n’aboient plus. Ils geignent. Faut les voir tourniquer comme des dingues. Humer de-ci, humer de-là. Lever la patte pour un pipi préoccupé, repartir avec un gémissement d’aise. Revenir, s’affoler, se bousculer, mordre le vide…

Leur dresseur, le sous-brigadier Sanzanicroche, se tourne vers l’aréopage figé dans l’allée et dont je suis.

— C’est curieux, dit-il… On dirait que la petite n’est pas sortie de ces sacrées fougères. Voyez comme ils tournent en rond et comme ils y reviennent sitôt que je les en écarte.

Le Vieux frappe lentement le pan de son lardeuss du pommeau de sa canne.

— Une vraie séance de magie ! murmure-t-il.

Le mot vient me chercher. Il prend mon imagination par la main, l’entraîne… Oui : de la magie ! Pas de la magie noire, de la magie verte !

Marie-Marie filait son petit bonhomme de chemin. Soudain, elle avise un objet dans l’allée. Elle le ramasse… Aussitôt elle oblique sur les fougères. En quatre secondes elle sort du champ de vision de Merdoche. Merdoche se grouille de nous affranchir. À cet instant il n’a plus qu’une poignée de secondes à vivre. L’homme qui l’observait le tue parce que mon inspecteur a tout à coup la clé de l’énigme et qu’il s’apprête à nous la livrer.

Combien de temps ai-je mis pour arriver sur les lieux depuis la fin de ma communication avec le pauvre « Gland Doré » ? Une minute à peine pour m’entretenir avec Fourrepaf. Une minute d’hésitation. Deux autres pour venir de la buvette au cadavre.

Soit quatre minutes au total (et au maximum). Et pendant ces quatre minutes on a emmené Marie-Marie hors de la forêt, le guetteur du chêne numéro 2 a tué celui du chêne numéro 1. Il est descendu de son arbre avec son flingue, ce qui n’a pas dû être très commode, et il a disparu dans la nature de telle sorte que ni l’inspecteur Puduque, ni le brigadier Fourrepaf qui pourtant encadraient Merdoche ne l’ont vu.

Le grand dabe a dit vrai : c’est magique !

Les chiens poursuivant leur ronde stérile, leur dresseur secoue la tête.

— Nous n’obtiendrons rien de plus, affirme-t-il. Sans doute a-t-on porté la petite à partir de ces fourrés, ce qui expliquerait l’absence de traces.

— C’est probable, admet le Vieux. En se débattant, la pauvre mignonne aura perdu sa chaussure…

Béru radine en tenant son bénard réintégré à deux mains.

— Personne aurait une ficelle à mon service ? demande-t-il. Il a le groin zébré d’estafilades et la chemise en lambeaux.

— Longue, la ficelle, m’sieur l’inspecteur ? s’informe un C.R.S.

— Non, deux petits mètres, c’est pour m’en faire une ceinture, renseigne le dodu. Mes bretelles sont restées dans l’arbre…

Le Vieux est gris comme un tas de cendres. Il m’empoigne le bras. Il a une force insoupçonnée pour un fossile. J’sais pas si c’est la hargne qui lui met du jus de muscle dans les paluches, mais j’ai l’impression d’avoir glissé mon brandillon dans un hachoir électrique.

— Écoutez-moi, San-Antonio, je veux, vous m’entendez bien ? Je veux que vous la retrouviez !

— Je la retrouverai, monsieur le directeur.

— Et je la veux vivante !

— Bien, monsieur le directeur.

Comme Sanzanicroche entraîne ses cadors inutiles, je le hèle.

— Un instant, je vous prie… Venez avec moi… On va leur faire renifler une autre piste.

J’entraîne le dresseur et ses molosses jusqu’à l’arbre numéro 2, celui qu’occupait l’assassin.

— Un homme se tenait dans cet arbre, expliqué-je. Vos clébards peuvent-ils retrouver sa trace ? Tenez, je n’ai que ce bouton à leur mettre sous la truffe !

— Ça devrait suffire, envisage le sous-brigadoche.

Bons toutous, va ! Ils ne demandent qu’à se lancer sur le sentier de la guerre ! Ils respirent le bouton, puis le tronc de l’arbre et la mousse qui l’entoure.

— Cherche ! invite leur maître. Cherche bien.

On dirait qu’ils ont pigé, les chers médors. Ils recommencent à se trémousser, à japper plaintivement, à lancebroquer à la volée, à mordre le vide. Ensuite ils s’éloignent de l’arbre, le nez au sol, furtifs et décidés. On les suit au pas de course. Sanzanicroche va s’envoler, un de ces quatre matins, s’il ne largue pas la double laisse à temps.

Les chiens filent vers la petite clairière aux fougères. Vous parlez d’un pôle attractif ! C’est ici que la môme a disparu. Ici que l’assassin de Merdoche s’est rabattu, son forfait accompli. Ici que s’arrêtent toutes les pistes… Enfin quoi, un hélicoptère ne s’y est pourtant pas posé sans qu’on s’en aperçoive afin d’escamoter kidnappeur et kidnappée !

— Ça ne donne rien, penaude Sanzanicroche. Je ne sais pas ce qui les attire ici, monsieur le commissaire…

Je secoue mes épaules accablées par le sort.

— Tant pis, emmenez vos clebs à la niche.

Le Vieux a disparu. Vous croyez qu’il est allé démissionner, vous ? Azimuté comme je l’ai vu, la chose n’aurait rien de surprenant.

Le soleil est maintenant à la verticale. Une belle matinée de début d’automne, infiniment sereine, s’étale sur ce tendre coin d’Île-de-France. Tout respire le calme, la paix, et pourtant…