Выбрать главу

— Les jolies femmes sont une joie rare dans cette maison, ma chère Hortense, et vous êtes, Dieu me pardonne, plus rayonnante que jamais. Comment va notre petit Étienne ?

Ainsi que l’exigeait le code des bonnes manières, Hortense donna des nouvelles de son fils, s’enquit de la santé du chanoine et échangea avec lui quelques généralités touchant leurs parents ou amis communs. Cela donna à Florette le temps de revenir avec un plateau chargé d’une théière fumante, de petits gâteaux et de tous les ustensiles nécessaires à la cérémonie du thé telle qu’on la concevait dans les bonnes familles. Et ce fut seulement après avoir grignoté deux galettes et bu une tasse de l’odorant breuvage qu’Hortense exposa enfin le but de sa visite :

— Mon cousin, je suis venue vous demander de me marier et j’espère que vous ne refuserez pas de procéder à une cérémonie tout intime et qui devra demeurer ignorée…

Si le chanoine fut surpris, il n’en montra rien. Sa main dodue chassa soigneusement quelques miettes de pâtisserie qui s’attachaient à sa soutane :

— Un mariage secret ?

— Oui. Aucun autre n’est possible, hélas !… Du moins à ce que tout le monde me laisse entendre.

— Ce tout le monde-là doit se résumer à une demi-douzaine de personnes tout au plus, remarqua M. de Combert qui s’enfonça plus profondément dans ses coussins et croisa ses doigts sur la belle croix pectorale pendue à son cou. Puis il ferma les yeux un instant. N’imaginant pas qu’il fût en train de s’endormir, Hortense respecta son silence. Mais comme celui-ci menaçait de s’éterniser, elle se hasarda à murmurer :

— Vous ne me demandez pas qui j’ai l’intention d’épouser ?

Le chanoine rouvrit les yeux. Ses prunelles d’un joli bleu gentiane eurent un pétillement amusé qui ne se traduisit cependant pas par un sourire.

— Je crois que je le sais. Nous parlions de vous voici peu, notre cousine de Sainte-Croix et moi – oh, soyez sans inquiétude – avec toute l’affection que nous vous portons l’un et l’autre, et nous en étions venus à cette conclusion que c’était une éventualité à envisager. Bien qu’elle ne soit guère souhaitable…

Tout de suite, Hortense s’insurgea :

— Guère souhaitable pour qui ? Pour moi en tout cas, épouser Jean représente le plus grand bonheur qui soit au monde.

Cette fois, le chanoine sourit :

— Je ne devrais peut-être pas vous le dire mais j’ai appris, au cours d’une vie déjà longue, que le mariage, même s’il se pare dans ses débuts des couleurs tendres de l’amour partagé, les conserve rarement jusqu’à la fin dernière. Et quand il s’agit d’une passion, c’est encore plus rare.

— Je suis sûre de l’amour de Jean et je suis sûre de mon amour. Si deux êtres ont été destinés l’un à l’autre de toute éternité, c’est bien nous.

— C’est ce que l’on dit toujours en pareil cas. Mon enfant, je ne nie pas les grandes qualités de ce garçon. Je ne nie même pas qu’il soit sans doute le plus digne représentant de cette vieille race des Lauzargues. Malheureusement…

— Il n’en porte et n’en portera jamais le nom, je sais ! coupa Hortense. Et c’est la raison pour laquelle j’ai parlé d’un mariage secret dans lequel la loi n’entrera pas en jeu puisqu’il faut tenir compte de cette misérable question de nom. Et ce mariage, je vous demande de le célébrer, ici ou à Combert, au jour et à l’heure qui vous conviendront. Je ne peux ni ne veux vivre sans l’homme que j’aime mais au moins je veux pouvoir être sa compagne devant Dieu et en pleine tranquillité de conscience.

— Ces sentiments vous honorent, soupira M. de Combert, et je ne vois pas comment vous refuser. Pourtant, quelque chose m’intrigue : comment êtes-vous parvenue à convaincre votre ami de consentir à ce mariage ? D’après Mme de Sainte-Croix – et vous l’avez vue tout récemment – il en était fort éloigné ? En outre, c’est, si je ne me trompe, un homme qui ne change pas facilement de ligne de conduite ? Alors ?

Hortense sentit la rougeur monter à son visage et l’envahir jusqu’à la racine de ses cheveux blonds. Elle aurait dû tenir compte de l’extrême pénétration de ce vieux prêtre habitué dès longtemps à sonder les replis de l’âme humaine. Mentir à ces yeux bleus qui la scrutaient lui parut tout à coup impossible… Elle choisit alors ce qu’elle crut une échappatoire habile.

— Mon père, dit-elle, voulez-vous m’entendre en confession ?

Le chanoine eut un haut-le-corps et fronça les sourcils.

— Sans doute… mais vous m’inquiétez ! Vous seriez-vous servie d’un moyen déloyal ? D’autre part, je vous rassure tout de suite. Point n’est besoin de l’appareil d’un confessionnal pour qu’un secret demeure caché au fond de mon cœur. Souvenez-vous que j’ai pour vous estime et affection.

Hortense comprit qu’elle était vaincue, qu’il allait falloir tout dire mais, curieusement, cela lui parut tout à coup beaucoup plus facile.

— Vous parliez d’estime ? Je crains d’en perdre une partie car, c’est vrai, j’ai obtenu l’assentiment de Jean par un stratagème.

— Lequel ?

— Je lui ai dit que j’attendais un enfant.

— Et… ce n’est pas vrai ?

— Pas encore. Mais j’espère de tout mon cœur que cela le sera très vite.

Il y avait du défi dans la voix de la jeune femme et l’aimable visage du chanoine se ferma.

— Je vous le souhaite. Sinon, ne comptez pas que je bénirai un mariage bâti sur un mensonge. Comment ne comprenez-vous pas que vous avez tendu à cet homme un piège indigne de vous et indigne de lui ?

— Je l’aime et je veux le lier à moi pour toujours.

— C’est une explication, ce n’est pas une excuse ! Voyant s’assombrir le visage de sa visiteuse, le vieil homme adoucit le ton et même trouva un sourire.

— Mon enfant ! Ne croyez pas que je vous condamne. La passion, je le sais, peut conduire à bien des excès. Elle rend aveugle et sourd, elle entame parfois les défenses de la conscience, mais vous êtes une femme de trop haute qualité pour vous laisser aller à ces accommodements douteux avec le ciel. Vous me dites que vous avez, de tout temps, été destinés l’un à l’autre ? Vous dites encore que vous voulez être la compagne de Jean au moins devant Dieu et en toute conscience ? Alors, pourquoi tant de hâte ? Pourquoi ne pas laisser justement à Dieu le soin de juger ? Si vous devez être unis, il saura bien démêler l’écheveau si embrouillé de vos deux vies pour en tisser un ruban lisse et uni…

— Comme il l’a fait pour notre cousine de Sainte-Croix, lorsqu’elle s’appelait Mlle de Sorange et pour le vidame d’Aydit ? fit Hortense amèrement.

— Peut-être ces deux-là n’aimaient-ils pas assez ? Notre chère cousine a toujours été d’un caractère porté vers le goût de la contradiction et je crois que le vidame était du même bois. Ils tenaient l’un à l’autre d’autant plus qu’on voulait les empêcher de s’unir. Je crois votre amour d’une qualité plus haute et plus solide, mais…

— Mais vous, le serviteur d’un dieu qui proclame tous les hommes égaux devant sa face, vous faites grief à Jean, comme les autres, de n’être pas de même rang que moi ? Le rang ? Est-ce que cela signifie quelque chose lorsque l’on s’aime ?

— Je ne crois pas avoir employé ce mot-là, dit le chanoine sévèrement. Il est certain que, de par la naissance… officielle, vous êtes assez éloignés l’un de l’autre, mais je crois aussi qu’un mariage secret… qui ne le sera sans doute plus pour personne au bout de quelques mois, pourrait être une bonne solution.