Выбрать главу

Joignant le geste à la parole, il prit un brandon dans le feu et se mit à allumer toutes les bougies qui se trouvaient sur la cheminée, sur la table, sur les chevets et sur divers meubles. Rapidement, la nuit qui commençait à envahir la pièce recula, disparut presque sous les bouquets de lumières.

— Je voudrais pouvoir faire entrer ici le soleil pour mieux éclairer vos yeux quand, tout à l’heure, le plaisir les fera pâlir… Je ne veux aucune ombre sur votre beauté lorsque, dans un instant, je vais la dévoiler. J’en ai tant rêvé, de ce corps que vous prétendez me refuser !

— Pour le coup, vous êtes fou ! cria Hortense, effrayée par le flamboiement d’un regard qui, à cet instant, était bien celui d’un homme qui a perdu la raison. Et je ne resterai pas ici une minute de plus !

Elle s’élança vers la porte mais, déjà, rejetant son brandon dans la cheminée, il l’avait rejointe, la ceinturait et l’arrachait à cette porte dont elle touchait presque le loquet. Un instant, ils luttèrent. Hortense, tenaillée par le désir éperdu d’échapper à son persécuteur, se battit farouchement, des pieds et des griffes, mais le combat était par trop inégal. Les muscles de Butler, développés par des années de navigation, vinrent à bout rapidement de la force uniquement nerveuse de la jeune femme. Elle se retrouva jetée sur le lit comme un simple paquet et maintenue par le poids du corps de son ennemi et par ses mains qui lui tenaient les poignets écartés de leurs deux visages.

— Une vraie chatte sauvage ! fit-il en riant, mais je ne déteste pas… à condition que cela ne dure pas trop longtemps. Vous m’avez fait mal, ma chère… Hortense ! C’est curieux, ce nom nouveau auquel je ne suis pas habitué. Depuis longtemps, dans mes rêves, vous êtes Lucy. Cela apporte dans notre histoire l’attrait de la nouveauté… Voyons à présent si cette Hortense que je tiens à ma merci vaut la Lucy de mes songes amoureux !

Il l’embrassa longuement, profondément mais sans brutalité superflue avec, au contraire, une science qui surprit la jeune femme et la raidit encore davantage. Si cet homme savait être un amant, il n’en devenait que plus dangereux et, en dépit de la fugitive tentation qui lui vint, elle ne lui rendit pas son baiser. Une tentation dont elle n’aurait su dire de quelle obscure profondeur de son être elle lui venait.

Il la lâcha bientôt avec un soupir de déception.

— Décidément, je préférais Lucy ! Vous êtes un glaçon, ma chère.

— Espériez-vous donc autre chose ? Une femme que l’on viole n’est certainement pas une partenaire agréable…

— N’en soyez pas trop sûre. Il y a une saveur âpre dans la violence… et il arrive même qu’elle s’achève assez bien après avoir commencé fort mal. Je vais dire que l’on nous monte du champagne… et aussi à souper. Cela vous donnera peut-être du ton.

Il se dirigea vers la sonnette dont le cordon de tapisserie pendait le long de la cheminée. Ce faisant, il ramassa, sur le tapis, le réticule d’Hortense qui était tombé durant la bataille et s’était ouvert. Le contenu en était à demi répandu, au milieu duquel une grande feuille de papier plié : l’ordre d’élargissement de Felicia. Que, bien sûr, Butler se hâta de lire. Il éclata de rire.

— Voilà donc, dit-il, ce que vous avez obtenu du roi ? Compliment ! C’est du beau travail. Notez que je m’attendais un peu à quelque chose de ce genre. C’était étrange cette rencontre aux Tuileries, ce retour dans l’escorte royale… et cette longue attente que j’ai dû subir avant de vous voir ressortir du palais !… Ainsi, vous alliez m’arracher ma meilleure arme ? Vous alliez gagner contre moi sans même que je m’en doute ? J’imagine que vous songiez à quitter Paris aussitôt ?

— Ce n’est pas certain, se hâta de dire Hortense, inquiète de ce grondement de colère qu’elle entendait monter dans la voix de Butler. Mais, je vous en prie, rendez-moi ce papier. Vous devez comprendre à quel point il m’est précieux…

— C’est à la portée du premier idiot venu, ma chère. Seulement, justement, je n’ai pas envie de vous le rendre.

— Je vous en prie : elle a assez souffert injustement ! Laissez-la revivre. Garder ce papier ne vous apportera rien. Je n’étais pas seule, chez le roi…

— Mais si vous ne le présentez pas demain matin à la Force, la libération pourrait se trouver différée… peut-être sine die ? J’ai bien envie de le jeter au feu !

— Non !

Le cri d’Hortense résonna à travers la vaste chambre, si haut qu’on dut l’entendre dans tout l’hôtel. Une fièvre monta aux pommettes de la jeune femme éperdue.

— Que voulez-vous, dit-elle d’une voix rauque, que voulez-vous pour me rendre ce papier ?

Il eut pour elle ce sourire de loup qui donnait à Hortense l’envie de lui sauter à la figure. Au bout de ses doigts, la grâce royale tremblait doucement dans le souffle qui venait du feu. Il suffisait d’un geste, d’un tout petit geste pour que les efforts d’Hortense, ses espoirs se trouvassent anéantis car, avec un homme aussi indécis que Louis-Philippe, il serait sans doute plus difficile d’en obtenir un second.

— Que voulez-vous ? dit-elle une troisième fois.

— Rien de plus que ce que je vous ai demandé tout à l’heure. Je vous veux.

Accablée de honte et de douleur, Hortense baissa la tête, s’efforçant désespérément de repousser loin d’elle l’image de Jean, le souvenir de Jean et de les remplacer par la pensée de Felicia attendant au fond d’une prison une libération qui ne viendrait peut-être plus jamais…

— Qu’il en soit fait comme vous le voulez ! soupira-t-elle. Vous pourrez me prendre sans que je me défende… mais, par pitié, éloignez ce papier du feu !

Le sourire s’accentua en même temps qu’étincelaient d’orgueil les yeux verts de l’armateur.

— Vous avez raison : il est bien précieux puisqu’il vous amène à composition. Tenez… je vais le poser là, ajouta-t-il en désignant la tablette de la cheminée. Vous pourrez l’y reprendre vous-même plus tard. Mais je ne le poserai que lorsque vous m’aurez donné un commencement de satisfaction.

— C’est-à-dire ?

— Je veux que vous vous déshabilliez ! Là, devant moi. Et entièrement.

— Vous voulez ?… oh non !

— Non ?

Le papier trembla un peu plus et la main de Butler pencha légèrement vers les flammes :

— J’ai vu vendre bien des femmes dans ma vie, dit-il lentement. Sous le soleil d’Afrique ou d’Orient, on les dépouille de tout vêtement afin que l’acheteur se rende mieux compte de ce qu’il achète. Moi, je vous achète pour une nuit avec cet ordre de libération. Je veux savoir si vous en valez la peine.

Hortense sentit des larmes lui monter aux yeux. Ce misérable entendait ne lui épargner aucune humiliation !… Hélas, il lui fallait en passer par ses exigences. Alors, elle ôta son manteau qu’elle laissa glisser à ses pieds, son chapeau qu’elle jeta plus loin et, de ses doigts qui tremblaient, défit la collerette de dentelle qui éclairait le velours noir de sa robe et commença à déboutonner celle-ci.

Quand la robe tomba, elle ferma les yeux. Les nombreuses lumières allumées par son bourreau la blessaient et puis elle ne voulait plus voir ce regard avide qui la détaillait, suivant chacun de ses gestes avec une attention maniaque. A l’aveugle, elle ôta un jupon, puis un autre, dégrafa le léger corset de coutil qui lui étranglait la taille, le laissa tomber. Quand elle n’eut plus sur elle qu’une mince chemise garnie de dentelle et le long pantalon brodé qui descendait jusqu’à ses chevilles habillées de bas de soie blanche, elle s’arrêta, les mains nouées sur sa poitrine en un geste de défense dérisoire contre le regard qu’elle sentait sur elle, plus brûlant, certes, que les flammes. Mais Butler n’était pas encore satisfait.