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— Allons ! Encore un effort !… Je veux vous voir nue.

Fébrilement alors, Hortense dénoua le cordon qui retenait son pantalon, fit glisser les épaulettes de sa chemise et demeura droite dans la lumière sans plus aucun autre voile que ses bas et les escarpins dont les rubans croisés montaient jusqu’à ses mollets.

Les oreilles bourdonnantes, elle attendit ce qui allait venir… et ne venait pas. Elle percevait, tout proche d’elle, un souffle qui s’écourtait. Il y eut un bruit d’étoffes froissées, le double choc des bottes sur le parquet. Elle comprit qu’il se déshabillait et serra plus fort ses paupières. Son cœur battait dans sa gorge, l’étouffant à demi. Et, soudain, l’homme fut contre elle : une masse de muscles durs qui l’étreignaient, l’épousaient des épaules aux genoux. Hortense sentit ses lèvres dans son cou et son souffle brûlant :

— Tu es trop belle, gémit-il contre sa gorge. Tu vaux bien plus qu’un simple chiffon de papier. Et moi je crois que je ne t’oublierai jamais…

Déjà il la soulevait, l’emportait jusqu’au lit où il s’ensevelit avec elle. Une tempête de caresses et de baisers s’abattit sur la jeune femme qui, inerte et désespérée, se laissa emporter ; il lui semblait qu’elle était en train de mourir, que c’en était fini d’elle à jamais. Et puis quelque chose réagit en elle, quelque chose qui était la voix même de sa honte et de son impuissance et, à l’instant où Butler s’assouvit en elle avec un grognement animal, elle éclata en sanglots. De gros sanglots de petite fille malheureuse qui le dégrisèrent. Encore haletant, il se pencha sur elle, toucha du bout des lèvres ses joues mouillées, ses yeux fermés…

— Pourquoi pleures-tu ? demanda-t-il doucement. Je t’ai fait mal ?

Incapable de répondre, elle hocha la tête négativement. Comment expliquer à cet homme impitoyable que c’était à son âme, non a son corps qu’il avait fait mal et que, de cette blessure qu’il venait lui infliger, elle aurait du mal à guérir.

— Je t’ai atteinte dans ton orgueil, n’est-ce pas ? Mais le mien, as-tu jamais songé à ce que tu lui as fait endurer ?

Alors elle ouvrit les yeux, vit tout près de son visage le terrible regard vert qui la regardait sans le moindre brin de tendresse.

— Vous avez eu ce que vous vouliez, murmura-t-elle d’une voix qu’elle ne reconnut pas elle-même. Alors, à présent, laissez-moi m’en aller.

— En pleine nuit ? Toute seule ? Le quartier est mal famé, tu sais. Il pourrait t’arriver malheur.

— Il m’est déjà arrivé malheur…

— Ce sont des mots, rien que des mots ! Quant à te laisser partir, n’y compte pas. Il est trop tôt. J’ai dit que je voulais une nuit. Et elle ne fait que commencer. Nous allons souper !

Il prit une robe de chambre de damas vert sombre sur un tabouret au pied du lit, s’en drapa et alla sonner. Presque instantanément, le valet apparut avec un grand plateau qu’il posa sur la table. Il s’apprêtait à mettre le couvert, mais Butler le chassa d’un mot :

— File ! Nous nous servirons nous-mêmes…

Hortense avait bonne envie de refuser ce que son ennemi lui offrait – une aile de volaille et une flûte de champagne – mais elle se sentait épuisée, elle avait froid jusqu’au cœur et elle savait qu’il n’est jamais bon de bouder contre son ventre. Butler sentit cette hésitation et se mit à rire :

— « Timeo Danaos et donc ferentes[7] », cita-t-il avant d’ajouter : Même si tu me détestes, ce n’est pas une raison pour te laisser mourir de faim.

Alors elle accepta, mangea, but et se sentit un peu mieux, l’esprit plus clair et le goût du combat revenu. Butler, quant à lui, dévorait, en homme soigneux de ses forces mais sans quitter Hortense des yeux comme s’il avait peur que, par Dieu sait quelle magie, elle réussît à lui échapper s’il cessait de la regarder.

Pour sa part, Hortense pensait que, peut-être, après ce repas, Butler serait gagné par la somnolence, qu’il s’endormirait ou que, tout au moins, elle pourrait encore discuter, tenter d’obtenir sa libération immédiate. Mais, à peine la dernière goutte de champagne avalée, sans d’ailleurs qu’un seul mot eût été échangé, il arracha sa robe de chambre plutôt qu’il ne l’ôta et sauta dans le lit.

— Vive Dieu, ma belle ! Je vais t’aimer jusqu’au matin ! Je ne veux pas perdre une seule minute de cette nuit…

Hortense comprit alors qu’elle n’échapperait pas avant l’aurore et aussi qu’on ne peut pas lutter contre l’ouragan. Mais ce fut avec une passivité absolue qu’elle subit les assauts répétés d’un homme qui semblait ne pouvoir se rassasier d’elle. Une passivité si totale même… qu’il finit par abandonner et la laissa s’endormir.

Le son d’une cloche réveilla Hortense en sursaut. Elle s’assit sur le lit en désordre, vit qu’elle était seule, que le feu flambait haut dans la cheminée, que ses vêtements abandonnés au hasard la veille étaient soigneusement étalés sur des sièges et qu’enfin sur la table, d’où avaient disparu le champagne et les reliefs du souper, un nouveau plateau était disposé supportant une cafetière, un pot à lait et les différents éléments d’un petit déjeuner. Mais ce fut la tablette de la cheminée que le regard de la jeune femme chercha tout d’abord et elle eut un soupir de soulagement : l’ordre d’élargissement de Felicia était toujours là, bien en évidence.

Sautant du lit sans se préoccuper de sa tenue sommaire, elle courut pour s’en emparer, s’assura que c’était bien le même et se hâta de chercher son réticule pour l’y resserrer. Ce faisant, elle vit une lettre disposée sur le plateau et la lut.

« Tu peux aller libérer ton amie, écrivait Patrick Butler. Je suis payé. A présent, déjeune et habille-toi. Une voiture t’attend en bas pour te conduire à la prison. Mais ne va pas t’imaginer que tu en as fini avec moi. Quand on a goûté au paradis, on n’y renonce pas facilement. Nous nous reverrons… »

Avec une colère née du souvenir de son humiliation, Hortense froissa la lettre et la jeta loin d’elle avec dégoût. En même temps, son regard cherchait le cadran de la pendule d’ébène et de bronze doré posée sur la cheminée. Elle vit alors qu’il était 9 heures et elle chassa énergiquement de son esprit l’image détestée de Patrick Butler pour ne plus songer qu’à la joie qui l’attendait dans une heure. Joie chèrement payée sans doute, mais d’autant plus précieuse.

Une main invisible mais attentive avait placé un pot d’eau chaude sur une table à toilette. Elle y fit de rapides ablutions, s’habilla, hésita à toucher au plateau mais réfléchit que se priver ne ferait que l’affaiblir et elle avala rapidement deux tasses d’un excellent café à la fois fort et parfumé, tout en remettant son chapeau devant une glace aux moirures anciennes.

L’image que lui renvoya le miroir lui parut étrangère. C’était celle d’une femme pâle, aux yeux tristes, aux traits tirés. L’image d’une femme qui venait de subir une terrible épreuve… Elle s’efforça cependant de lui sourire :

— Il va falloir essayer d’oublier, fit-elle à haute voix… Mais elle savait déjà que ce ne serait pas facile. D’autant moins que Butler semblait refuser de lâcher prise. Il laissait entendre clairement qu’il souhaitait revoir Hortense. Peut-être même la reprendre…

D’un furieux revers de main, elle essuya ses lèvres. Ce qui s’était passé ne devrait jamais plus se produire, dût-elle pour cela aller jusqu’au meurtre et abattre froidement l’homme qui venait de lui faire endurer la pire des hontes…