Выбрать главу

– Vous vous trompez, madame, reprit Fabien, l’opinion du monde ne relève du crime qu’au point de vue social et non au point de vue du sentiment. À cet égard, et je puis le dire à votre égard surtout, madame, le préjugé sous son double aspect me semble absurde.

– Je serai moins sévère que vous, monsieur, répondit la jeune femme en baissant les yeux. Je conçois tout dans cette circonstance, et, croyez-le bien, l’amour-propre ne m’aveugle pas. Le crime de Maurice, – et c’est à dessein que je me sers du mot que vous avez prononcé, pour en changer l’acception, – ce crime est involontaire. J’ai toujours entendu dire, et, si peu expérimentée que je sois en pareille matière, je crois, de mon côté, que la volonté est impuissante dans les choses du cœur et qu’elle ne fait pas plus naître l’amour qu’elle ne peut le faire cesser.

– Hélas! oui, sans doute, s’écria vivement Fabien, et ce que vous dites là, madame, n’est que trop vrai…

Un soupir suspendit la phrase de Fabien au moment où elle allait devenir trop significative, et un trouble parfaitement joué prit la valeur d’un trouble intérieur et comprimé.

Puis, après un moment de silence, il reprit comme s’il lui avait fallu tout ce temps pour maîtriser son émotion:

– Mais, pour ce qui se passe ici, pour ce qui vous concerne, permettez-moi de vous dire toute la vérité, madame. Eh bien, sur l’honneur, je vous le répète, je ne puis concevoir le fol entêtement de Maurice pour cette femme.

– Et cependant vous faisiez tout à l’heure son éloge de façon à excuser une passion si vive qu’elle soit, reprit Clotilde avec une inquiétude mal déguisée.

– Eh! mon Dieu, oui, sans doute, dit Fabien comme vaincu par la vérité. Dans toute autre maison, partout ailleurs, près de toute autre femme, je la trouverais belle peut être; mais, voulez-vous que je vous le dise? sa présence ici m’irrite, et, quoique en apparence, et pour ne pas désobliger madame de Barthèle, je me sois prêté d’abord à cette aventure, maintenant je la désapprouve. Cette femme près de vous, c’est une profanation!

– Ah! monsieur, s’écria Clotilde avec un élan spontané dans lequel, au reste, il y avait plus de fraternité que d’affection conjugale, ce n’est pas dans l’affreuse alternative de sauver ou de perdre un mari qu’il est permis à une femme de réfléchir et d’être sévère sur les moyens qui peuvent amener un résultat comme celui que nous espérons. Souvenez-vous que c’est le docteur, l’ami d’enfance de Maurice, un des médecins les plus distingués de Paris, qui a combiné, exigé tout ceci. D’ailleurs, il n’est au pouvoir de personne de changer le passé… Le danger modifie bien des choses, fait passer par-dessus bien des convenances, et il m’impose, à moi, la patience et la résignation. C’est mon devoir, à ce que l’on m’a dit; je ferai mon devoir, et un jour la reconnaissance de Maurice me récompensera.

– J’éprouve, je l’avoue, quelque surprise, madame, reprit Fabien, de vous entendre parler ainsi, à cette heure. Hier, il m’avait semblé, à la suite de cette scène, à laquelle j’étais si loin de penser que notre visite donnerait lieu, il m’avait semblé, dis-je, remarquer dans votre langage une sorte de douleur et d’indignation que je me suis permis de blâmer. Je n’en comprenais pas bien toute l’importance, je dois en convenir; mais la réflexion et, plus encore, un sentiment qui, depuis hier, s’est éveillé en moi à l’aspect de votre situation, m’ont fait revenir sur ce que je vous avais dit.

– Eh bien, monsieur, répondit Clotilde, depuis hier, il s’est fait en moi un changement tout contraire; oui, monsieur, l’espoir a produit son résultat ordinaire; on pense beaucoup dans la lenteur d’une nuit sans sommeil passée au chevet d’un mourant qui nous est cher. L’indulgence, d’ailleurs, est souvent le secret de la tranquillité, et la tranquillité, c’est presque le bonheur. Vous voyez, monsieur, que je suis raisonnable, et que je puis répondre aujourd’hui à tout ce que vous m’avez fait entendre hier.

– Ai-je donc été assez malheureux, répondit Fabien, pour vous déplaire par ma franchise? Et cependant, hier, je ne vous ai rien dit que je ne sois prêt à vous répéter aujourd’hui. Seulement, aujourd’hui, je vous ai vue une fois de plus; seulement, depuis hier, j’ai pu vous apprécier entièrement, et, à ce que j’ai dit hier, j’ajoute aujourd’hui que je ne comprends pas que l’on puisse vous être infidèle, et que je suis disposé à plaindre votre mari, si vous ne voulez pas absolument que je le blâme.

– Monsieur,… balbutia Clotilde en rougissant et en dénonçant, par un mouvement de retraite involontaire, l’extrême embarras où venait de la jeter Fabien.

– Je me tairai si vous l’exigez absolument, continua le jeune homme; mais, quand nous amenons près de vous la femme qui aveugle votre mari au point de l’empêcher de vous rendre la justice qui devrait vous assurer la supériorité sur toutes les autres femmes, vous me permettrez de déplorer moins encore les moyens que nous employons pour le guérir, que la cause qui met ses jours en péril. Votre bon cœur, je le sens, doit excuser un caprice qui cause de tels ravages; mais votre esprit peut-il les comprendre?

– Il faut cependant croire à ce que l’on voit, monsieur.

– Madame de Barthèle me disait tout à l’heure que votre mariage avait été un mariage d’amour bien plus que de convenance. Ou elle était dans l’erreur, ou je dois être étrangement étonné de voir votre bonheur détruit. L’amour, je le sais, et vous-même le disiez tout à l’heure, se rit de toutes les conventions de la société; le cœur n’entre pour rien dans les combinaisons des familles: mais vous avouez, alors, que Maurice ne vous aimait pas. Voilà ce que prouve sa situation présente, voilà ce que je puis concevoir; voilà, enfin, ce qui m’indigne contre lui.

Fabien avait parlé avec une telle ardeur de conviction, avec une chaleur de sentiment si puissante, que Clotilde n’osa relever les yeux; en même temps, elle craignit de se taire, et, quoique son émotion la portât à garder le silence, elle fit un effort sur elle-même pour le rompre. Cette espèce de véhémence à laquelle Fabien s’était laissé aller lui inspirait une terreur vague dont elle cherchait en vain à se défendre. Enfin, sans trop chercher à se rendre compte du trouble qu’elle éprouvait, elle répondit avec un calme apparent dont Fabien ne fut pas dupe:

– Depuis trois ans que je suis mariée, je n’ai jamais eu à me plaindre de M. de Barthèle, et, sans cette maladie fatale, j’ignorerais encore un oubli d’un instant que je pardonne et que je saurai oublier; car j’aime mon mari.

Mais sa voix expira sur ses lèvres en prononçant ces mots solennels. Il se fit un nouveau silence que ni l’un ni l’autre n’essaya de rompre. Fabien avait fait un grand pas; dans ce charmant réduit, au milieu du parfum de ces fleurs auquel Maurice avait si souvent mêlé la douce harmonie de sa voix, Clotilde écoutait une autre voix que cette de son mari, et cette voix arrivait jusqu’à son cœur et la faisait tressaillir.

Quant à Fabien, comme il était guidé bien plus encore par un désir de vengeance que par un amour réel, il se sentait maître de lui-même et, par conséquent, de Clotilde. Aussi, tandis que la jeune femme, embarrassée dans ce silence comme dans un réseau qu’elle n’avait pas le courage de rompre, s’abandonnait à une hésitation vague, se laissait aller enfin à l’étonnement et au trouble d’impressions qui lui semblait d’autant plus étranges qu’elles étaient entièrement nouvelles, Fabien mettait le temps à profit, combinant la portée des moindres paroles qu’il allait dire, et prenant la résolution d’éclairer Clotilde sur ce qu’elle éprouvait, sans cependant rendre le jour assez vif pour que le trouble qu’elle devait ressentir, la conduisît jusqu’à l’effroi.