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Aussitôt une seconde révérence, moins cérémonieuse que la première, exprima par un mouvement involontaire, soit une expiation de sa terreur, soit l’effet d’une satisfaction bizarre, en apercevant une personne d’une tournure distinguée, et belle surtout de sa simplicité et de son goût exquis.

Madame de Barthèle, exercée dans le monde aux investigations rapides, vit, grâce à ce coup d’œil dévorant par lequel une femme procède à l’examen d’une autre femme, dans son ensemble et dans ses détails, tout ce qu’elle voulait voir: c’est-à-dire que la robe blanche dont Fernande était vêtue était de la plus fine mousseline de l’Inde; que le chapeau de paille d’Italie dont elle était coiffée avait été coupé par mademoiselle Baudran; que le mantelet noir qui était jeté sur ses épaules, et qui dessinait sa taille fine et élégante, au lieu de la cacher, sortait, comme on le dit maintenant, des ateliers de mademoiselle Delatour; enfin, que la couleur du soulier qui chaussait un pied d’enfant et la nuance des gants qui couvraient les mains de Fernande, dénonçaient jusque dans les moindres détails ce je ne sais quoi de bonne compagnie, que la grisette, si enrichie qu’elle soit, ne parviendra jamais à atteindre; car ce je ne sais quoi est une essence suave et subtile qu’on sent bien plutôt qu’on ne la voit, et qui, pareille à un parfum, se révèle à l’âme encore bien plus qu’aux sens.

Troublée et ravie à la fois de cet examen, madame de Barthèle parla dès lors librement, et, laissant les paroles exprimer ses pensées:

– J’ai l’honneur de vous remercier, madame, dit-elle presque avec une effusion cordiale, du temps que vous consentez à nous accorder pour le bonheur de ma famille.

Fernande, non moins étonnée aux paroles de madame de Barthèle que celle-ci ne l’avait été à son aspect, mais retenue par cette circonspection et cette réserve toujours indispensables, dans sa situation, à l’égard de tout le monde, et qui s’étaient doublées dans cette circonstance exceptionnelle, fit de son côté deux révérences modelées en tout sur celles qui lui avaient été adressées, et elle répondit de cette voix harmonieuse et vibrante à la fois, qui donnait tant de prix à ses moindres paroles, et surtout avec ce ton parfait qui semble, par une intention gracieuse, prêter un sens aux phrases les plus vides d’intention:

– Quand je saurai, madame, dit-elle, de quelle façon je dois vous être agréable, quand je saurai ce que je puis faire, comme vous le dites, pour votre bonheur…

– Ce que vous pouvez? s’écria madame de Barthèle cédant peu à peu à une influence irrésistible. Mais vous pouvez tout. Ce que vous pouvez, le docteur vous l’apprendra. C’est un fort habile médecin que le docteur, et, de plus, un homme de l’esprit le plus distingué…

Fernande adressa aux deux jeunes gens un coup d’œil expressif, comme pour leur demander le sens de ce langage et le mot de cette énigme, qui devenait de plus en plus inintelligible pour elle. Pendant ce temps, madame de Barthèle, à part soi, confirmait par la réflexion l’opinion favorable que de prime abord elle avait conçue sur la singulière femme avec laquelle le malheur la mettait en rapport.

– Madame, répondit Léon de Vaux à la muette question qui lui était faite et en désignant madame de Barthèle avec l’apparence d’un profond respect, c’est une mère qui sera charmée de vous devoir le bonheur de son fils.

Il y avait dans le sens de ces paroles, et surtout dans le ton sérieux et niaisement malin de celui qui les prononçait, quelque chose de si ridicule que, dans toute autre occasion, Fernande en eût ressenti un de ces mouvements d’hilarité auxquels elle aimait parfois à se laisser aller; mais elle se contenta de sourire, et encore ce sourire effleura-t-il à peine ses lèvres. La femme qu’on lui présentait comme une mère inquiète pour la vie de son fils était, dans son assurance, si simple et si vraie, une tristesse si profonde se révélait, comme à son insu, sur sa physionomie, que Fernande comprit, par un vague pressentiment de l’âme, qu’il y avait, au fond de cette aventure, ridicule en apparence, un sujet d’affliction réelle, et peut-être un profond malheur. Aussitôt, avec une bonté parfaite, elle pria madame de Barthèle de s’expliquer.

Alors celle-ci, oubliant peu à peu la résolution qu’elle avait prise de rester grande dame, en conservant la sévérité de langage et d’attitude qu’elle avait méditée, et cédant sans trop s’en douter à l’attraction qu’exerçait Fernande, répondit avec sa bonhomie et sa légèreté ordinaires:

– Mais c’est qu’il vous aime, le pauvre enfant! oui, madame, il vous aime, et l’amour que vous lui avez inspiré le jette dans une langueur et dans un délire impossibles à calmer. Il y a péril de mort, madame; mais, puisque vous êtes assez bonne pour accepter notre proposition et pour venir passer quelques jours près de nous, près de lui…

L’étonnement de Fernande se manifesta par un mouvement d’indignation si expressif, que madame de Barthèle, voyant qu’elle avait cruellement blessé la jeune femme, saisit la main de la courtisane, et, la pressant avec une affection involontaire:

– Ah! madame, s’écria-t-elle, soyez touchée du mal que vous causez sans le savoir, peut-être, et soyez bien convaincue que nous saurons apprécier et reconnaître tout ce que votre bonté, tout ce que votre complaisance…

Fernande pâlit affreusement, et, à la vue de sa pâleur, madame de Barthèle comprit seulement jusqu’à quel point les paroles qu’elle venait de prononcer, prises dans un certain sens, devenaient inconvenantes; elle s’arrêta donc tout à coup elle-même, balbutia quelques mots inintelligibles, et sentit son trouble s’augmenter en entendant Léon dire à demi-voix à Fernande, pour se venger sans doute de la rebuffade qu’il avait reçue un instant auparavant:

– Eh bien, maintenant, madame, vous comprenez, n’est-ce pas?

Ce manque de convenance blessa au cœur les deux femmes à la fois et du même coup, et chacune d’elles eut, à part soi, un effort inouï à faire pour maîtriser le reproche qui semblait prêt à sortir de leurs lèvres, et que cependant leur regard seul exprimait.

Quant à Fabien, il semblait assister en simple spectateur à une scène de comédie; il comprenait l’embarras réciproque de la femme du monde et de la courtisane, et, comme, quoi que l’on dise, l’amitié ne nous aveugle généralement que sur les qualités de nos amis, il trouva que le rôle de Léon était, dans cette circonstance, grâce à son caractère de soupirant surtout, le plus ridicule des trois.

Quant à Fernande, l’impression produite sur elle par les paroles innocemment cruelles de madame de Barthèle passa, ou du moins parut passer avec la rapidité de l’éclair. Une résolution intérieure, dont on vit briller la flamme dans ses yeux, donna à sa contenance une fierté qui ne fit qu’ajouter à la décence qui était inhérente à sa nature et relevait toutes ses actions; elle repoussa doucement la main de madame de Barthèle, et répondit avec une mesure admirable d’accent et de maintien:

– Madame, je ne saurais, sans m’exposer à être injuste envers vous peut-être, tenir en ce moment le langage qu’il convient à mon caractère de faire entendre. Aussi, n’est-ce point à vous que je m’adresse; c’est à MM. de Rieulle et de Vaux, qui m’ont conduite ici.

Alors, se tournant du côté des deux amis avec calme et dignité:

– C’est une audace qui ne saurait m’étonner de votre part, messieurs, quoique je vous fisse encore l’honneur de vous en croire incapables, que de placer une femme dans une position humiliante en face d’une autre femme, sans qu’elle ait mérité ce châtiment; c’est une lâcheté de plus commise par vous contre ces êtres faibles que vous dépouillez, dès l’enfance, par la séduction, par la ruse, par la surprise, des vertus qui font la seule force de leur sexe; que vous guettez sur le seuil de l’enfance, et avant quelquefois que la raison leur soit venue, pour les corrompre d’abord et vous arroger ensuite le droit de les abreuver d’outrages et de mépris; et cependant ni l’un ni l’autre de vous, je le répète, n’avait le droit de me mettre dans la position où il m’a mise à cette heure et où je suis.