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À cette voix vibrante et dont l’accent maternel allait jusqu’au cœur, au geste dont Clotilde accompagna les paroles de sa belle-mère, Fernande comprit que deux femmes aussi distinguées ne se trouvaient pas dans une position semblable sans y avoir un de ces intérêts puissants qui élèvent les situations au-dessus des règles du monde. Elle fit donc un prompt retour sur elle-même, et, se rendant maîtresse de sa fierté bouillonnante et révoltée au fond de son cœur:

– Je n’ai plus de volonté, madame, dit-elle à la baronne en s’inclinant avec un respect plein de grâce; faites de moi ce que vous voudrez; que m’importe, d’ailleurs, le nom dont on m’appelle, puisque j’ai renoncé à mon véritable nom! Seulement, je réclame maintenant l’explication que je refusais tout à l’heure et que vous alliez me donner lorsque madame est entrée.

Et elle désigna de la main Clotilde, dont elle ne savait pas le nom.

– Oh! merci, merci! s’écria madame de Barthèle enchantée; je sentais que vous nous seconderiez: vous êtes trop belle pour n’être pas bonne… Vous saurez donc…

Madame de Barthèle achevait à peine de prononcer ces mots, qu’une péripétie nouvelle vint encore changer la face de cette scène, sans qu’on pût prévoir dès lors comment elle pourrait se terminer. M. de Montgiroux entra.

En apercevant Fernande, M. de Montgiroux s’arrêta court et poussa un cri. Cette arrivée inattendue, cette exclamation de surprise échappée au comte, produisirent un de ces effets de théâtre que la différence des impressions reçues par chaque personnage rend si difficiles à décrire, et pour lesquelles il faut laisser agir l’imagination, qui révèle plus à l’esprit que l’art presque toujours impuissant du narrateur.

Seulement, il fut évident pour chacun que la fausse madame Ducoudray et le comte de Montgiroux se connaissaient plus qu’ils n’avaient voulu le laisser croire; car, immédiatement, l’un et l’autre se remirent de l’étonnement réciproque qu’ils avaient manifesté; mais cet étonnement avait été assez visible, cependant, pour donner lieu à toutes les suppositions qu’il plaisait de faire aux spectateurs intéressés ou désintéressés de cette scène.

– Voilà le mot de l’énigme qui t’inquiétait, dit Fabien à Léon; le prince régnant, c’est le comte de Montgiroux.

– Que peut il y avoir de commun entre M. de Montgiroux et cette femme? se demanda madame de Barthèle.

– Ah! c’est pour Fernande que mon neveu se meurt d’amour! murmura le grave pair de France.

– Est-ce un piège habilement tendu, une vengeance de Léon de Vaux? se demanda Fernande.

Clotilde seule, calme et en dehors des impressions du moment, ne percevait aucune crainte secrète; aussi fut-elle la première à rompre le silence.

– Mon oncle, dit-elle, n’est-ce point le médecin qui vous envoie auprès de nous?

– Oui, sans doute, répondit vivement le comte, sans doute. Le docteur sait l’arrivée de madame et il s’impatiente.

– Eh bien, dit la baronne, puisque madame a la bonté de se mettre à notre disposition, et que le docteur s’impatiente, ne perdons pas un instant.

– Je vous ai déjà dit, madame, que j’étais à vos ordres, dit Fernande, et, puisqu’on prétend que je suis nécessaire…

– Nécessaire, murmura M. de Montgiroux, nécessaire! C’est le mot, madame. Un pauvre fou, le mari de ma nièce, a eu le malheur de vous voir, et, comme tous ceux qui vous ont vue, il se meurt d’amour.

Le comte avait prononcé ces paroles avec un tel accent de dépit, que Clotilde crut que, dans la sévérité de ses principes, M. de Montgiroux voulait faire une leçon à Fernande.

– Oh! mon oncle, s’écria-t-elle en se jetant dans les bras du comte, de grâce, je vous en prie!

Puis elle ajouta tout bas:

– La sévérité serait peu convenable de notre part, et en cette occasion.

Mais le pair de France était trop agité pour en demeurer là, et, comme Fernande s’empressait de lui répondre:

– Oh! monsieur le comte, j’espère que votre galanterie vous fait exagérer la position du malade.

– Non, madame, dit-il, non; car, dans son délire, il vous nomme, vous accuse d’ingratitude, de perfidie, de trahison: que sais-je, moi!

La scène menaçait de tourner en une querelle personnelle, que, dans son imprudence, M. de Montgiroux allait faire à Fernande, lorsque la baronne, d’un mot, fit rentrer son ancien amant dans les convenances de sa position.

– Monsieur le comte, dit-elle avec dignité, vous oubliez que madame Ducoudray est en ma présence, chez mon fils, devant votre nièce, et que, si vous avez une explication quelconque à lui demander, le lieu est mal choisi, et le moment inopportun.

– Oh! oui, oui, mon oncle, s’écria Clotilde sans rien comprendre aux sentiments qui préoccupaient M. de Montgiroux dans ce moment, je vous en supplie, ne songeons qu’à Maurice.

– Maurice! s’écria Fernande; est-ce que le malade se nomme Maurice?

– Oui, madame, répondit la baronne. Ne savez-vous donc pas chez qui vous êtes, je suis la baronne de Barthèle.

– Maurice de Barthèle! s’écria Fernande. Ô mon Dieu, mon Dieu! ayez pitié de moi!

À ces mots, elle porta la main à son front, et, après avoir chancelé un instant elle tomba sans connaissance entre les bras de Clotilde et de la baronne, qui, en la voyant pâlir et s’affaisser, s’étaient avancées pour la recevoir.

CHAPITRE VII

La femme qui causait tant de trouble dans la famille de madame de Barthèle se souvint, en reprenant ses sens, de la situation dans laquelle on venait de la placer malgré elle. Par une puissante réaction, elle retrouva sa présence d’esprit, et rappela cette force de volonté qui lui donnait tant d’assurance; car, pour quiconque n’était pas intéressé à connaître le fond de son existence, la vie de Fernande était pure de tout scandale.

Il y a plus, Fernande s’était, pour ainsi dire fait un rang dans le monde parisien, et, par ce mot, il faut entendre ce cercle de jeunes gens riches, nobles et élégants, qui, du boulevard des Italiens, donnent le ton au monde. Quoique l’on eût connu à Fernande peu de relations intimes, tous la connaissaient pour avoir été reine, sinon dans son boudoir, du moins dans son salon, centre des gens d’esprit qui se faisaient présenter à elle, comme autrefois on se faisait présenter à Ninon de Lenclos. L’entourage de Fernande était donc une véritable cour, un hôtel de Rambouillet, moins le pathos philologique et les haines littéraires, un tribunal de goût par lequel les gens ayant prétention à l’élégance ou à l’esprit devaient passer, et du milieu duquel les jugements rendus se répandaient avec force d’arrêt chez les artistes et chez les gens du monde. Il en était résulté que les soupers de Fernande avaient acquis une grande réputation, et que l’on disait tout haut dans le salon le plus aristocratique du faubourg Saint-Germain, et dans l’atelier le plus élégant de la Nouvelle-Athènes: «J’ai soupé hier chez Fernande;» puis, si l’on demandait avec qui, il arrivait presque toujours que les noms des convives appartenaient à la liste des noms illustres de la France. Il en était résulté que l’esprit de justice, si rare cependant chez nous, avait assigné à Fernande une position exceptionnelle, et qu’on ne la confondait pas avec les femmes vulgairement appelées femmes entretenues, sans cependant qu’on eût pour elle toutes les déférences accordées aux femmes mariées, quelque galantes quelles soient.