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En effet, à droite, à travers l’ouverture d’une portière, on apercevait une espèce d’atelier; c’était là que le goût et l’esprit de la maîtresse du logis se retiraient pour faire en quelque sorte l’histoire de ses habitudes. Maurice, sans en dépasser le seuil, y plongea ce regard avide qui sait tout parcourir d’un coup d’œil; les fenêtres, masquées dans leur partie inférieure par une serge verte, ne laissaient pénétrer dans cette chambre qu’un jour favorablement ménagé pour les esquisses pendues aux murailles et pour les toiles commencées qui chargeaient les chevalets. Cette chambre était consacrée entièrement à l’art; c’étaient des réductions des plus belles statues de la Grèce; c’étaient des plâtres moulés sur les chefs-d’œuvre du moyen âge; c’étaient des armes de tous les pays, des étoffes de toutes les époques, des damas et des brocarts comme Paul Véronèse et Van Dyck en jettent sur les épaules de leurs doges ou sur les corps de leurs duchesses; c’était un désordre étudié, c’était un chaos pittoresque qui réjouissait l’œil, et qui indiquait, dans celle qui était arrivée à cette réunion des objets et à cet arrangement des choses, un profond sentiment de la composition et de la couleur.

En face de l’atelier, une porte, défendue par une double portière, était ouverte: c’était celle de la chambre à coucher; celle-là était tendue de damas grenat avec des rideaux orange. Le lit, l’armoire à glace et les autres meubles, étaient en bois de rose. Là, Fernande s’était un peu relâchée de la sévérité générale de l’ameublement. Un poëte du temps de l’Empire aurait dit, en voyant les deux pièces que nous venons de décrire, que le temple de l’Amour était en face du temple des Arts.

Maurice n’y jeta qu’un coup d’œil et se recula le cœur serré. Pourquoi ce sentiment douloureux à la vue de cette chambre toute coquette et toute parfumée? Explique qui pourra cette impression.

Maurice revint donc au salon; il ouvrit les partitions qui étaient sur le piano: c’étaient le Freischütz de Weber, le Moïse italien de Rossini, le Zampa d’Hérold. Il ouvrit les livres qui étaient sur la table: c’étaient des Bossuet, des Molière, des Corneille. Rien ne dénotait la frivolité dans tout ce qui frappait ses yeux; aucun indice accusateur ne dénonçait la position que Fernande tenait dans la société; tout révélait, au contraire, la femme à la fois simple, gracieuse et sévère. Maurice aurait pu se croire dans l’hôtel de quelque jeune et jolie duchesse du faubourg Saint-Germain.

En ce moment, Fernande entra, ou plutôt, sans être entendue, souleva la portière; mais, par un frémissement instinctif, par une sensation magnétique, Maurice devina son approche et leva les yeux. Peut-être y avait-il eu de la part de la jeune femme un certain calcul à laisser Maurice ainsi seul quelques instants; peut-être avait-elle pensé qu’une certaine réhabilitation morale devait précéder entre eux toute conversation. Aussi, comprenant par son propre cœur, plus encore que par l’étonnement qui se peignait sur le visage du jeune homme, tout ce qui se passait en lui, elle aborda franchement la question importante pour elle, celle qui devait guider sa conduite en cette circonstance, et, sa situation exceptionnelle lui rendant tout facile à cet égard, elle eut recours audacieusement à la franchise: c’était d’un mot et brusquement raffermir son espoir de bonheur ou le détruire.

– Vous avez pensé, monsieur, dit-elle sans que sa voix ni son visage trahissent la moindre émotion, et en arrêtant sur Maurice un regard perçant, vous avez pensé, n’est-ce pas, qu’il suffisait de se présenter chez moi pour pouvoir y être admis?

– Excusez-moi, madame, balbutia Maurice; mais, à Chantilly, j’eus l’honneur de vous faire remettre ma carte, et, depuis deux jours, je me suis si fort reproché dans mon cœur de n’avoir pas insisté pour vous voir…

– Oh! monsieur, pas d’excuse, dit Fernande; je n’ai le droit ni de m’étonner, ni de m’offenser. Vous m’avez vue une seule fois, vous ne me connaissiez pas, et la réputation qu’on m’a faite, par ma faute sans doute, car, vous le savez, le monde est infaillible, a dû vous autoriser à cette démarche; soyez sincère, monsieur.

Et, en disant ces mots, la voix de Fernande retomba du diapason auquel elle s’était élevée d’abord à un accent doux et mélancolique. Maurice crut même voir une larme briller dans ses yeux.

– Madame, répondit Maurice non moins ému qu’elle, ma sincérité, je l’espère, aura son pardon, car elle a son excuse. L’impression que vous avez produite sur moi pendant la soirée que j’ai eu l’honneur de passer avec vous a été si profonde, que, depuis ce moment, je n’ai eu qu’un seul désir, celui de vous revoir. Si ce désir, mis à exécution aussitôt que je l’ai pu, est une inconvenance, accusez-en mon cœur, madame, et non mon esprit; mais ne me punissez pas trop rudement; les moindres blessures au cœur sont mortelles, vous le savez.

Fernande sourit, s’assit sur un large divan, et fit signe à Maurice de s’asseoir; Maurice porta la main à un fauteuil, mais Fernande lui désigna sa place auprès d’elle.

– Merci, monsieur, lui dit-elle: merci si vous dites vrai; car, moi, je serai franche avec vous; car, ajouta-t-elle en relevant la tête, et avec un accent de naïveté charmante, si jamais j’ai désiré plaire à quelqu’un, c’est à vous.

– Grand Dieu! madame, s’écria Maurice en pâlissant, dites-vous là ce que vous pensez?

– Écoutez-moi, monsieur, continua Fernande en imposant silence au jeune homme par un geste à la fois plein de grâce et d’expression, écoutez-moi.

Maurice joignit les deux mains avec une expression d’attente à la fois craintive et passionnée à laquelle il n’y avait point à se tromper.

– Si, au milieu des mille choses qu’on n’a pas manqué de vous dire de moi, reprit Fernande, on ne vous a pas dit que ma fortune m’assure aujourd’hui l’indépendance, je dois tout d’abord vous l’apprendre; puis, si l’on vous a dit que je n’étais pas entièrement maîtresse de mon cœur et de ma personne, on vous a fait un mensonge, et ce mensonge, je dois le rectifier: je suis indépendante de toute façon, monsieur; de l’homme que j’aimerai, je ne veux donc rien que son amour, si j’ai pu le faire naître; à cette condition et sur ce serment, je consens à tout. Bonheur pour bonheur. Le voulez-vous? Je vous aime.

En achevant ces mots, la voix de Fernande lui manqua, et la main qu’elle avançait toute tremblante vers Maurice ne put attendre l’adhésion du jeune homme, et retomba sur ses genoux.