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Si Maurice, libre d’esprit et de cœur, eût pu réfléchir sur le sens sérieux et profond de ce langage, un étrange étonnement se fût certes emparé de lui en songeant que c’était une courtisane qui parlait ainsi; mais, dans le vague d’une passion naissante, il n’était déjà plus maître de rien apprécier ni de rien repousser de celle qui l’inspirait; le charme était si puissant, le prestige si complet, qu’absorbé tout entier par le présent, il n’avait plus de souvenirs, et ne formait pas d’espérances, comme si la vie se fût résumée, passé et avenir, dans le regard, dans le geste de Fernande.

Elle avait interrompu son travail, et, souriant avec une naïveté d’enfant:

– M’avez-vous comprise? demanda-t-elle.

– Oh! oui, répondit Maurice, et il me semble que tout ce que vous me dites n’est que l’écho de mes propres pensées. Fernande, vous m’aimez, dites-vous? Eh bien, moi aussi, je vous aime, et de toutes les forces de mon âme.

– Mon Dieu! s’il était vrai, s’écria Fernande en joignant les mains, s’il était vrai, que je serais heureuse! car, d’aujourd’hui seulement, je commence à comprendre qu’il doit être affreux d’aimer seule, de vivre seule, de passer seule son temps à vouloir, à prévoir. Eh bien, si vous ne m’aimiez pas, Maurice, je serais désormais seule dans la vie. Mais tout alors serait bientôt dit; car, en vous voyant ici chez moi, près de moi, en écoutant les paroles que vous venez de me dire, j’ai reçu dans mon âme une espérance si douce, que je mourrais de la perdre.

– Eh! dépend-il de moi maintenant de vous aimer ou de ne pas vous aimer? s’écria Maurice; ne suis-je pas entraîné vers vous par un sentiment irrésistible, et, quand je le voudrais, pourrais-je donc me séparer de vous?

– Ce que vous dites là, Maurice, n’est pas ce que vous diriez à une autre femme? s’écria Fernande. Ce que vous me dites là est vrai?

– Oh! sur ma foi et sur mon honneur, répondit Maurice la main sur sa poitrine.

Fernande se leva.

– Ce moment me fait oublier bien des chagrins, dit-elle; Maurice, vous êtes mon sauveur.

Et, reportant son regard sur la peinture:

– Voyez, dit-elle, comme mes sens étaient d’accord avec ma pensée; il y a un mois que j’hésite à faire la tête du Sauveur, et en dix minutes cette tête a été achevée.

Maurice jeta les yeux sur le tableau, et vit avec étonnement que la tête triste et mélancolique de Jésus était son propre portrait.

– Vous vous reconnaissez, n’est-ce pas? dit Fernande. Eh bien, comprenez-vous à la fois ma pensée et mon espérance? Dieu pardonne à la femme coupable par votre bouche et par vos yeux. Démentirez-vous sa divine parole? Et moi, si je devais manquer jamais à la sainte promesse que je fais de ne pas vous trahir, ne me suffirait-il pas, pour raffermir mon âme, de prier devant cette peinture, qui parle de la miséricorde céleste?

Elle posa sa palette et son pinceau sur une chaise.

– Je ne toucherai plus à cette toile, dit-elle, j’y gâterais quelque chose. Ce qui se fait sous l’inspiration du sentiment a toujours un caractère de grandeur et de vérité. Quittons cet atelier, Maurice, et venez au salon; je veux me montrer à vous tout entière, je veux que vous m’aimiez.

Elle tendit la main à Maurice, qui lui offrit son bras, et, appuyée sur le jeune homme, le regardant avec un sourire doux et mélancolique, accordant, pour ainsi dire, son pas avec son pas, elle alla s’asseoir à son piano.

– Je vous l’ai dit, Maurice, continua la sirène, ici chaque place est marquée pour une étude; quand la peinture m’a fatiguée, la musique me distrait. Aimes-tu la musique, Maurice?

– Oh! tu me le demandes, Fernande!

– Tant mieux! moi, je l’adore. C’est l’expression vive et momentanée des impressions de l’âme. Je suis seule, je souffre ou je suis gaie, ma douleur ou ma joie sont trop intimes pour les confier à une amie qui en rirait, je me mets à mon piano, et mes doigts lui disent les secrets les plus profonds de mon cœur. Là, jamais d’émotion incomprise. Écho fidèle et harmonieux, il répète ma pensée dans tous ses détails et dans toute son étendue. Au bout d’un quart d’heure que je suis à mon piano, je me sens soulagée. Mon piano, Maurice, c’est mon meilleur ami.

Et alors, après avoir laissé courir ses doigts sur les touches, comme pour dégager la fleur du chant des nuages de la pensée, elle fit entendre l’air de Roméo, Ombra adorata, et le récitatif qui le précède, avec une accentuation si vraie et si entraînantes que Duprez et la Malibran en eussent été jaloux.

Maurice écoutait dans un pieux ravissement; toutes les fibres de son âme, éveillées par cette voix pure et sonore, résonnaient sous les doigts de Fernande. Aussi, lorsqu’elle eut fini, ne songea-t-il point à faire un éloge banal.

– Fernande, dit Maurice laissez-moi baiser votre voix.

Et, tandis que la jeune femme, renversée au dossier de sa chaise, faisait entendre un des plus doux sons de l’air qu’elle venait de chanter, Maurice rapprocha son visage du sien, et aspira le souffle harmonieux qui s’échappait de ses lèvres.

– Que vous êtes belle ainsi! dit Maurice, et comme toutes les impressions de votre âme se reflètent sur votre visage!

– Et comment ne serait-on pas impressionné par cette musique! s’écria Fernande. Dites, ne la sent-on pas vibrer jusqu’au plus profond du cœur?

– Oui; mais voici la première fois que je l’entends chanter ainsi. Où avez-vous donc passé votre jeunesse, Fernande, et qui vous a fait cette admirable éducation que je n’ai trouvée jusqu’à présent dans aucune femme du monde?

Un nuage de tristesse passa sur le visage de la jeune femme.

– Le malheur et l’isolement, dit-elle, voilà mes deux grands maîtres; mais je vous ai prié, Maurice, de ne jamais me parler du passé. N’attristons pas cette journée, c’est ma journée la plus heureuse, et je veux la garder dans ma vie pure de tout nuage. Et maintenant, Maurice, suivez-moi, continua Fernande avec une expression d’amour infini, j’ai encore quelque chose à vous faire voir.

– Une nouvelle surprise? dit Maurice.

– Oui, répondit la jeune femme en souriant.

Et, s’élançant toute rougissante d’une pudeur de jeune fille, elle alla dans l’angle du salon pousser un ressort invisible, et une porte s’ouvrit.

Cette porte donnait dans un charmant boudoir tout tendu de mousseline blanche; des rideaux blancs retombaient devant la croisée, des rideaux blancs enveloppaient le lit; cette chambre avait un aspect de calme virginal qui reposait doucement l’œil et la pensée.