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Elle fit un puissant effort sur elle-même, et, se glissant avec le pas d’une ombre jusqu’au piano entr’ouvert entre les deux fenêtres, elle s’assit; puis, laissant courir ses doigts sur les touches, elle préluda lentement à l’air Ombra adorata, qu’elle fit entendre à demi-voix avec une telle puissance de sentiment, qu’aucun des spectateurs de cette scène n’échappa à l’influence de cette mélodie, qui, pareille à une voix venant du ciel, à une consolation merveilleuse, à un écho mystérieux du passé, flotta un instant dans l’air, et vint s’abattre sur le malade. En proie à une émotion intime, Maurice alors rouvrit lentement les yeux, et, se soulevant comme en extase, sans chercher à savoir d’où venait le prodige, il écouta, comme si tous ses sens s’étaient réfugiés dans son âme, tandis que le médecin recommandait à tous l’immobilité et le mutisme. Rien ne troubla donc Fernande pendant toute la durée de l’air, et la dernière note vibra et s’éteignit au milieu d’un silence religieux. Maurice, qui avait écouté en retenant son souffle, respira comme si un poids énorme lui était enlevé de dessus la poitrine. Alors, encouragée par l’effet qu’elle venait de produire, Fernande osa se montrer.

Elle se leva du fauteuil où elle était assise, se tourna vers le lit, et s’avança du côté du malade, tandis que le médecin ouvrait un des rideaux qui interceptaient le jour. Fernande se révéla aux yeux de Maurice comme une apparition surhumaine, toute resplendissante d’une sorte d’auréole que le soleil formait autour d’elle.

– Maurice, dit la courtisane en tendant la main au malade, qui la voyait s’approcher de son lit avec l’anxiété du doute, Maurice, je viens à vous.

Mais le jeune homme, se rappelant instinctivement la présence de sa mère et de sa femme, se retourna du côté où il devinait qu’elles devaient être, et, les apercevant toujours à la même place:

– Clotilde! s’écria-t-il, grâce! Ma mère, ma mère, pardonnez!

Et une seconde fois il retomba sur son lit, sans force, les yeux fermés, et dans le plus profond accablement.

Alors Fernande sentit que le moment était venu de se placer au-dessus des considérations de délicatesse qui l’avaient retenue jusqu’à cette heure, et de recourir à l’ascendant que la passion de Maurice lui assurait. Elle s’empara donc de la main dont le malade couvrait ses yeux, et, sans paraître remarquer le frémissement que son simple toucher faisait courir par tout ce corps affaibli:

– Maurice, dit-elle avec une fermeté d’accentuation qui le fit tressaillir, et en le forçant à subir en même temps l’influence de son regard et la prépondérance de sa voix; Maurice, je veux que vous viviez, m’entendez vous? Je viens au nom de votre mère, au nom de votre femme, vous ordonner de reprendre courage, d’appeler la santé, de recouvrer la vie.

Et, comme à son agitation elle sentit qu’il allait répondre:

– Écoutez-moi, continua-t-elle en interrompant sa pensée; c’est à moi de parler, c’est à moi de me justifier. Croyez-vous que le caprice ait seul réglé ma conduite? croyez-vous que j’aie vécu calme, sans souffrance, sans regrets, sans remords, moi qui n’ai pas de mère pour pleurer dans mes bras, moi qui n’ai pas d’amis dans les bras de qui je puisse pleurer, moi qui suis déshéritée à jamais des joies de la famille, moi qui regarde, triste et stérile, les autres femmes accomplir sur la terre la sainte mission qu’elles ont reçue du ciel? Dites, Maurice, croyez-vous que j’aie été heureuse? croyez-vous que je n’aie pas horriblement souffert?

– Oh! oui, oui! s’écria Maurice. Oh! je le crois, j’ai besoin de le croire.

– Eh bien, Maurice, regardez autour de vous maintenant. Voyez trois femmes dont la vie est suspendue à votre existence, et qui vous conjurent de renaître. Songez qu’à deux d’entre elles votre vie rend le bonheur, qu’à la troisième elle épargne un remords, et dites si vous vous croyez toujours le droit de mourir.

Pendant que Fernande parlait, le malade semblait, par ses grands yeux béants, par sa bouche entr’ouverte aspirer chacun des mots qui tombaient de ses lèvres, et l’effet que cette voix produisait sur lui était immédiat et visible, chaque parole semblait, en pénétrant jusqu’au fond de son cœur, y paralyser un principe funeste. Ses nerfs, détendus comme par miracle, rendaient à ses membres roidis un peu de leur ancienne souplesse. Ses poumons oppressés se dilataient, et semblaient remplis d’un air plus pur.

Un sourire passa sur ses lèvres, doux et mélancolique encore, mais enfin le premier sourire qui y eût passé depuis bien longtemps.

Il essaya de parler; cette fois, ce fut son émotion et non sa faiblesse qui l’en empêcha.

Le docteur, enchanté de cette crise dont il avait prévu l’effet salutaire, recommanda par un signe aux différents acteurs de cette scène d’agir avec prudence.

– Mon fils, dit madame de Barthèle en se penchant vers Maurice, Clotilde et moi, nous savons tout comprendre, tout excuser.

– Maurice, ajouta Clotilde, vous entendez ce que dit votre mère, n’est-ce pas?

Fernande ne dit rien, elle poussa seulement un profond soupir.

Quant au malade, trop bouleversé pour percevoir des idées bien nettes, trop ému pour demander des explications, portant alternativement ses regards pleins de doute, de surprise et de joie, sur les trois femmes debout autour de lui, il tendit une main à sa mère, une main à Clotilde, et, tandis que toutes deux se penchaient sur lui, il échangea avec Fernande un regard où Fernande seule pouvait lire.

Le docteur, comme on le pense bien, n’était point resté spectateur indifférent de la scène qu’il avait provoquée. Il avait, au contraire, observé toutes les impressions reçues par son malade, et, voyant qu’elles autorisaient des prévisions favorables, il s’empara de la situation pour la diriger.

– Allons, mesdames, dit-il en intervenant avec une sorte d’autorité respectueuse, ne fatiguons pas Maurice, il a besoin de repos. Vous allez le laisser seul, et, après le déjeuner, vous reviendrez faire un peu de musique pour le distraire.

Une inquiétude vague se peignit alors dans le regard du malade, dont les yeux suppliants se fixèrent sur Fernande; mais, pour le rassurer indirectement, le docteur ajouta en s’adressant à madame de Barthèle et en désignant Fernande:

– Madame la baronne ordonne que l’on conduise madame dans l’appartement qui lui est destiné.

– Comment! s’écria Maurice ne pouvant retenir cette exclamation de joie.

– Oui, dit négligemment le docteur, madame vient passer quelques jours au château.

Un sourire d’étonnement et de joie éclaira les traits du malade, et le docteur continua en affectant un ton magistraclass="underline"

– Allons, puisqu’on m’a constitué dictateur, il faut que chacun m’obéisse. D’ailleurs, ce n’est pas bien difficile, je ne demande que deux heures de repos.

Et, prenant une potion préparée à l’avance et la présentant à Fernande:

– Tenez, madame, dit-il, donnez ceci à notre ami. Engagez-le à ne plus se tourmenter, et dites-lui bien que nous le gronderons, que vous le gronderez, s’il n’est pas docile à toutes nos prescriptions.