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– Et quel est ce successeur tout-puissant? demanda madame de Barthèle.

– Ah! dame! qui sait cela? reprit Léon. Le sais-tu, Fabien? Le savez-vous, monsieur le comte?

– Comment voulez-vous que je sache de pareilles choses, monsieur?

– En tout cas, si les choses se sont passées comme vous le dites, cela prouve de la conscience de sa part. Bien des femmes de la classe à laquelle vous prétendez qu’elle appartient, auraient promis et n’auraient pas tenu.

– Oui, oui, dit Léon, cela se fait quelquefois en amour, et même en politique, n’est-ce pas, monsieur le comte?

– Laissons continuer madame de Barthèle, répondit le pair de France.

– Eh bien, quand elle a eu chanté, et d’une façon adorable, je dois le dire, elle s’est approchée du lit. Alors mon fils, ravi de la revoir et d’apprendre qu’elle consent à rester ici…

– Comment! sérieusement elle reste? demanda le comte de Montgiroux avec inquiétude.

– Oui, monsieur; si sérieusement, que nous l’avons conduite à son appartement.

– Quoi! madame, elle restera ici, dans cette maison?

– Et où voulez-vous qu’elle aille? à l’auberge?

– Sous le même toit que Maurice?

– Puisque c’est elle qui doit le guérir.

– Le guérir, le guérir! s’écria le pair de France.

– Oui, monsieur, le guérir. Je n’ai qu’un fils, et j’y tiens.

– Mais ma nièce, madame? mais Clotilde?

– Clotilde n’a qu’un mari, et elle doit y tenir.

– Mais, madame, songez donc au monde; le monde, que dira-t-il?

– Le monde dira ce qu’il voudra, monsieur. Ce n’est pas du monde que mon fils est amoureux; ce n’est pas le monde qui lui chantera l’air Ombra adorata. Le docteur n’a pas mis dans son ordonnance qu’on lui amènerait le monde.

Sans doute, la discussion allait devenir plus vive entre le comte et madame de Barthèle, lorsque le bruit d’une voiture se fit entendre, et, avant qu’on eût le temps de regarder qui arrivait et de donner des ordres pour ne pas recevoir, un valet ouvrit la porte et annonça madame de Neuilly.

Ce nom, qui semblait répondre aux craintes de M. de Montgiroux à l’instant même où il les exprimait, fit pâlir madame de Barthèle. Le comte lui-même parut on ne peut plus contrarié; mais madame de Neuilly était une parente, et il était trop tard maintenant pour ne pas la recevoir.

CHAPITRE XI

Madame de Neuilly était une femme de vingt-quatre à vingt-cinq ans, qui en paraissait trente: grande, maigre, blonde, couperosée, plus disgracieuse encore au moral qu’au physique; c’était une de ces créatures pour lesquelles on se sent une répulsion instinctive, que cependant on rencontre partout et dont on ne peut pas se débarrasser, une fois qu’on les a rencontrées. Déshéritée de tous les charmes de la jeunesse et de toutes les grâces de la femme, l’envie était le mobile constant de ses actions, le trait saillant de ses discours; elle aimait le luxe et la représentation; mais, quoique tenant aux plus grandes familles, sa fortune, plus que médiocre, ne lui permettait pas de se satisfaire à cet égard. Au reste, toujours hostile, mais toujours hors de l’atteinte des coups elle-même, elle se réfugiait dans l’impunité par l’observance la plus rigoureuse des usages du monde. N’ayant jamais été exposée à succomber à une séduction, elle était sans pitié pour quiconque osait braver les préjugés ou franchir les barrières établies dans l’intérêt des mœurs sociales. Affichant le plus grand mépris pour la richesse et la beauté, les deux choses qu’elle jalousait le plus au monde, il fallait, avant tout, que l’on fût d’une de ces noblesses reconnues par d’Hozier ou par Chérin, pour qu’elle daignât vous croire digne de sa fatale intimité. Au reste, l’instinct guidait admirablement madame de Neuilly, et lui faisait, avec un rare bonheur, mettre le doigt sur toutes les plaies. C’était, enfin, une de ces créatures dont on sent toujours le contact par une douleur.

Son arrivée à Fontenay, dans les circonstances où se trouvait la famille de madame de Barthèle, devenait une espèce de calamité. Il n’en fallait pas moins faire bonne contenance et ne laisser rien percer de l’embarras de la situation. Mais, quelle que fût l’expérience de la douairière dans l’art un peu menteur de recevoir son monde, et quoiqu’elle s’avançât de son air le plus riant au-devant de la visiteuse, celle-ci, du premier coup d’œil, aperçut sur son visage une contrariété mal déguisée; car, toujours en garde contre chacun pour n’être jamais surprise en défaut d’observation, elle devinait avec une rare perspicacité les plus secrètes pensées, et, entre deux suppositions vraisemblables, c’était toujours à la seule vraie qu’elle avait le secret tout particulier de s’arrêter.

– Ah! chère cousine, dit-elle après avoir embrassé madame de Barthèle, j’arrive dans un mauvais moment, je le vois. Ma présence vous contrarie, j’en suis certaine. Je venais vous demander à déjeuner; mais, je vous en supplie, si je suis de trop, chassez-moi.

– Vous n’êtes jamais de trop, et surtout ici, vous le savez bien, chère belle, répondit la baronne. Ne changez donc rien à vos projets, et restez-nous, je vous en prie.

En entrant dans le salon, madame de Neuilly avait embrassé du regard tous ceux qui s’y trouvaient, et le motif qui l’excitait le plus à rester fut celui qu’elle fit valoir pour feindre de vouloir partir.

– Si fait, dit-elle, si fait, je repars. Vous avez MM. de Rieulle et de Vaux. Je vous croyais seule, moi, d’après tout ce qu’on raconte à Paris sur vous.

– Oh! mon Dieu! chère amie, demanda vivement madame de Barthèle, et que raconte-t-on? Dites-moi vite cela.

La manière dont madame de Barthèle fit cette question eût suffi pour faire comprendre à madame de Neuilly qu’il se passait effectivement quelque chose d’extraordinaire à Fontenay. Aussi, décidée à approfondir une situation qui se présentait à elle avec tout l’attrait du mystère:

– Et M. de Montgiroux, dit-elle, qui ne me voit pas, tant il est préoccupé! Décidément, baronne, j’arrive mal à propos…

Et, en prononçant ces mots, elle salua d’un signe de tête les trois hommes qui formaient un groupe, et se laissa tomber sur un fauteuil comme exténuée de fatigue. Le comte s’excusa d’un ton grave; les deux jeunes gens firent un salut roide et empesé, mais rien n’intimida madame de Neuilly; elle avait une de ces assurances imperturbables qui, d’ordinaire, proviennent d’une grande supériorité ou d’une grande bêtise, et qui, chez elle, par exception, était un effet naturel dont il était difficile d’expliquer la cause.

– Eh bien, chère amie, ne me raconterez-vous point ce que l’on dit de nous à Paris? demanda madame de Barthèle pour la seconde fois.

– Mais on dit que Maurice est très-malade, en danger même. Hier, on assurait qu’il ne passerait pas la journée; aussi je suis accourue, chère cousine, pour vous offrir les consolations d’une sincère amitié. Heureusement, votre tranquillité me rassure. Et quelle est donc cette maladie, grand Dieu?

L’espèce de grimace sentimentale dont madame de Neuilly accompagna cette exclamation allait si peu à l’air de son visage, qu’un sourire involontaire passa sur les lèvres des jeunes gens, et que le pair de France, malgré sa gravité, ne put réprimer un geste d’impatience. D’ailleurs, un souvenir donnait encore à cette pantomime un caractère plus comique: les deux jeunes gens ni le comte n’ignoraient pas que la gracieuse personne qu’ils avaient sous les yeux, s’était autrefois laissée prendre pour Maurice d’une violente passion, et qu’elle avait tout tenté pour devenir sa femme. C’était à la suite de l’échec qu’elle avait éprouvé, en cette occasion que mademoiselle de Morcerf – c’était le nom de famille de madame de Neuilly – s’était décidée à épouser un vieillard sexagénaire que tout le monde croyait fort riche, et dont, à force de soins et d’attentions, elle était parvenue à abréger la vie. Malheureusement, comme si la pauvre femme devait subir tous les désappointements, elle trouva que cette succession, dont elle attendait une grande fortune, se composait d’un domaine substitué à un neveu et de rentes viagères.