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– Eh bien, dit le docteur, qui, moins préoccupé de lui-même que les autres, devait tout naturellement rompre le premier le silence; eh bien, puisque le malade sent qu’il a besoin d’air, prenons l’air. Au jardin, mesdames, s’il vous plaît; le malade qui marche est promptement en état de courir.

Et, tout en s’emparant du bras de Maurice, le docteur rassura madame de Barthèle du regard. Clotilde s’élança en avant pour faire préparer, sous le massif d’acacias et d’érables, où l’on devait prendre le café, un grand fauteuil pour le malade. Madame de Neuilly s’accrocha à Fernande, en l’accablant toujours de ses protestations d’amitié mêlées de questions. Les trois hommes suivirent lentement le groupe principal, c’est-à-dire Maurice, sa mère et le docteur.

M. de Montgiroux, contrarié du retard que cet événement apportait à son explication avec Fernande, avait bien fait quelques objections à cette promenade; mais où a-t-on jamais vu le médecin revenir sur ses ordonnances? Ce serait avouer qu’il peut se tromper. Or, c’est surtout en médecine que l’infaillibilité est reconnue, par les médecins bien entendu. Le docteur avait donc tenu bon.

Madame de Neuilly n’avait pas encore cru devoir importuner de ses questions le malade à qui elle avait eu le temps d’adresser la parole, mais elle préparait dans le fond de sa pensée un interrogatoire si épineux, que Maurice, quelle que fût la subtilité de son esprit, ne pouvait manquer d’y laisser accroché quelque lambeau de vérité. Avec ces lambeaux, madame de Neuilly se faisait fort de reconstruire toute l’histoire, comme Cuvier, avec un fragment de mammouth ou de mastodonte, reconstruisait non-seulement l’animal mort, mais toute une race disparue. Elle avait, d’ailleurs, en attendant et pour lui faire prendre patience, à se réjouir in petto du changement que les souffrances avaient amené dans la personne de son jeune parent, et, prenant un air hypocrite, elle trouva moyen d’épancher, avec son ancienne amie, la satisfaction secrète que l’envie lui faisait éprouver.

– Pauvre Maurice! dit-elle, si je l’avais vu autre part qu’ici et sans être prévenue, j’aurais vraiment eu peine à le reconnaître. Croirais-tu, chère Fernande, – mais tu ne peux pas savoir cela, toi qui ne l’as pas vu au temps de ses beaux jours, – croirais-tu que c’était un charmant cavalier? Comptez donc sur la beauté, mon Dieu, puisqu’en trois semaines ou un mois la maladie peut faire de tels ravages!

Fernande jeta les yeux sur Maurice et étouffa un soupir. En effet, la trace des douleurs de l’âme avait profondément sillonné ce visage; ce front si pur et si poli était plissé par une ride pensive; ces yeux ardents et passionnés, à part l’étincelle fiévreuse qui en animait encore l’expression, semblaient éteints, et, cependant, jamais ces yeux n’avaient échangé avec Fernande un regard qui répondit plus intimement à la pensée qui la dominait en ce moment. C’était une joie si plaintive, un reproche si suppliant, une prière si tendre qu’elle venait d’y recueillir, que son amour, comprimé peut-être, mais jamais éteint, reprenait une nouvelle force à la douce flamme de la compassion. Et cependant, en même temps et par un effet contraire, dans la pure atmosphère de cette famille, au contact de ces femmes respectées, un remords véhément, un espoir douloureux la rendaient avide d’émotions fortes, et ce calme apparent où chacun était plongé, auquel elle était condamnée elle-même, rendait sa situation insupportable. Elle eût voulu, le cœur serré ainsi entre deux sentiments opposés, donner un libre cours à ses larmes, s’agiter dans son désespoir et dans sa joie, se soulager par des cris, par de violentes étreintes, elle eût voulu courir et s’arrêter capricieusement; mais sous les yeux de Maurice et de sa famille, elle se sentait observée dans tous ses mouvements, elle n’avait plus d’autres volontés que celles des convenances imposées, et elle marchait tout en répondant avec un gracieux sourire aux avances de son ancienne compagne.

Par une bizarre destinée, dans ce drame si tranquille, si simple à la surface, où chacun comprimait avec tant de soin et d’adresse les différentes émotions qu’il éprouvait intérieurement, c’était au tour de Maurice de marcher de surprise en surprise. Ce n’était pas le tout pour lui que de voir Fernande reçue au château par sa mère et par Clotilde, mais encore il la voyait au bras de madame de Neuilly, qui la tutoyait et l’accablait d’amitiés. Madame de Neuilly, cette femme si prude, si réservée, caressait et tutoyait Fernande: c’était à n’en croire ni ses yeux ni ses oreilles, c’était à penser qu’il continuait le rêve fiévreux dont l’apparition de la courtisane dans sa chambre était l’exposition. Pareil à une pièce de théâtre, ce rêve semblait encore se développer sous ses yeux par des péripéties plus invraisemblables à ses yeux les unes que les autres, et auxquelles, cependant, son cœur ne pouvait s’empêcher de prendre un vif intérêt.

Le médecin, qui donnait le bras à Maurice et qui marchait le doigt appuyé sur son pouls, suivait, chez le malade, tous les mouvements de sa pensée, qui se traduisaient par le ralentissement ou la vivacité des battements de l’artère. Or, pour lui, toutes ces émotions de l’âme, en distrayant Maurice de cette douleur première, unique, profonde, que lui avait causée l’absence de Fernande, tendaient à la guérison.

Sans s’en douter, madame de Barthèle vint encore jeter une confusion nouvelle dans l’esprit de Maurice. Craignant que les questions de madame de Neuilly ne fatiguassent Fernande, et que celle-ci, dans ses réponses, ne laissât échapper quelques paroles qui missent son ancienne compagne sur la voie de ce qu’était devenue la jeune femme, depuis leur séparation aux portes de Saint-Denis, elle vint se jeter en travers de la conversation qui, ainsi qu’elle l’avait prévu, devenait de plus en plus embarrassante pour Fernande.

– Eh! mesdames, cria la baronne avec l’autorité de son âge et l’aplomb que lui donnait son titre de maîtresse de maison, vous marchez trop vite, attendez-nous donc, je vous en prie.

En même temps, se retournant du côté des trois hommes qui venaient par derrière:

– En vérité, je ne vous comprends pas, messieurs, ajouta-t-elle; tout est bouleversé en France. À quoi songez-vous donc, monsieur de Rieulle? Êtes-vous en brouille avec madame de Neuilly? Et vous, monsieur de Vaux, est-ce que vous n’avez rien à dire à madame Ducoudray? C’est à nous autres invalides à traîner le pas, et non à vous; voyons, rejoignez ces dames, et empêchez qu’elles ne nous devancent si fort.

Le comte fit un mouvement pour rejoindre Fabien et Léon; mais, comme il passait près de madame de Barthèle, celle-ci l’arrêta par la main.

– Un instant, comte, dit-elle, vous faites partie des invalides; restez donc avec nous à l’arrière-garde, je vous prie.

– Ma cousine, reprit madame de Neuilly qui, autant qu’il lui était possible, voulait s’épargner l’audition des compliments que les jeunes gens ne manqueraient pas d’adresser à Fernande, ne vous préoccupez pas de nous; nous avons à causer, madame Ducoudray et moi.

C’était la seconde fois que ce nom de madame Ducoudray était prononcé, et, pour Maurice, il était évident que c’était Fernande que l’on désignait sous ce nom.

– Et de quoi causez-vous? demanda madame de Barthèle.

– De somnambulisme; je veux que Fernande m’explique tout ce qu’elle éprouve dans ses moments d’extase.

Fernande somnambule, c’était encore là un de ces épisodes inintelligibles à l’esprit de Maurice: il passa la main sur son front comme pour y fixer la pensée prête à s’enfuir.